Les Grandes Dynasties arabes

Sommaire :


1-Les Umeyyades : 661-750


Les Umeyyades sont une Dynastie de califes arabes, fondée par Muâwiya ibn Abû Sufyân, descendant de Umayya, membre du même clan que le Prophète Muhammad. Les Banû Umayya, grands marchands caravaniers de La Mecque, longtemps hostiles au Prophète et convertis de la dernière heure, étaient parvenus à prendre le pouvoir, qu'ils vont exercer sur les pays arabes de 661 à 750.

Le Califat de Muâwiya Ier : 661-680

Le premier calife umeyyade, descendant de Umayya, Muâwiya Ier ibn Abî Sufyân (661-680), naquit au début du VIIe siècle. Tout jeune, contrairement à sa famille, il adhéra à l'Islam et vécut dans l'entourage du Prophète en qualité de secrétaire. Sous Abu Bakr, il participa à la conquête de la Palestine et de la Syrie où il se distingua par ses qualités de chef militaire. À la mort de son frère aîné, Yazid, il lui succède dans la charge de gouverneur de la Syrie-Palestine, lorsque la peste d'Emmaüs eut emporté ce dernier prématurément. Confirmé dans ses fonctions par Umar et Uthman, il devait rester vingt ans à ce poste où, Gouverneur de Syrie, province qui séparait le monde musulman de l'Empire byzantin, il était à la tête d'une armée disciplinée et bien entraînée, tout auréolée de la gloire acquise de la guerre sainte et disposant d'une solide expérience. À partir de ce moment, et en cinq ans à peine, Muâwiya sut faire de cette province une base solide, pour appuyer son ambition personnelle, tout en poursuivant activement la lutte contre Byzance.

Parent du calife Uthman, après l'assassinat de celui-ci, il estima de son devoir de le venger, ce qui le mit en conflit avec Ali et aboutit à Siffin, et à l'arbitrage qui lui fut favorable.

À la mort d'Ali, en 661, Muâwiya est proclamé Calife en Syrie, par ses troupes, et le fils aîné d'Ali, al-Hasan, en qui certains voyaient leur nouveau chef, renonça à ses prérogatives. Ainsi s'ouvrit une nouvelle ère dans l'histoire musulmane : le califat umeyyade, qui devait durer un peu moins d'un siècle.

La première mesure de Muâwiya fut de transférer la capitale de Médine, trop excentrée, et de Kufa, à Damas, d'où il gouverna l'Empire pendant 20 ans. Il exercera son autorité par des décisions faisant force de loi. Maître de lui, courtois et prévenant, généreux, sachant s'entourer de compétences, ménager l'aristocratie arabe autant que les autorités spirituelles, il demeure un modèle politique et fut providentiel pour l'Empire. Muâwiya put assurer à l'Umma vingt ans de tranquillité prospère et de nouvelles conquêtes. Il s'appuiera sur une armée immédiatement mobilisable, entraînée, expérimentée et aguerrie. Elle sera sollicitée pendant des décennies pour les guerres contre Byzance, l'Afrique du Nord et l'Espagne. À côté de cette armée de métier, il dispose d'une force maritime importante, qu'il avait créée lorsqu'il était gouverneur. Elle sera essentielle dans les conflits contre Constantinople et les expéditions au Maghreb et contre les îles de la Méditerranée.

Le vieux Muâwiya renonce à la lutte de toute sa vie. Il n'a pas pu briser le centre de l'Empire romain d'Orient et signe une paix de trente ans avec son adversaire de toujours. Il réussit, néanmoins, en cette année de défaite, à faire reconnaître comme héritier son fils Yazid, âgé de trente-six ans, pour éviter tout conflit après sa mort. Ainsi, il y eut substitution du principe héréditaire au système électif. Personne ne s'oppose en Syrie, à cette succession héréditaire, lorsque meurt le vieux souverain arabe, en avril 680, à l'âge de quatre-vingts ans. Et depuis, le principe de la succession se perpétua dans la Dynastie umeyyade, ainsi que dans les Dynasties qui régnèrent par la suite, même si ceci était contraire à l'esprit de l'Islam.

Le Califat de Yazid Ier : 680-683

Le nouveau calife est légitime, depuis que les notables arabes ont accepté en 678 la transmission de père en fils de la dignité impériale. Mais sa désignation soulève bien des réticences, parfois de l'hostilité, surtout parmi les Chiites. Le chef de la famille alide, al-Husayn, le fils cadet d'Ali, réfugié à La Mecque depuis la mort de Muâwiya, qui ne manque pas de droits (il est fils du calife Ali, et petit-fils du Prophète), refuse son allégeance.

Pendant ce temps à Kûfa, se révolte un partisan d'Ali, Muslim ibn Aqil, et al-Husayn est appelé à prendre la direction de ce mouvement d'insurgés. Al-Husayn, répond à leur appel, il quitte Médine pour rejoindre ses partisans à Kûfa ; mais, sur la plaine de Kerbala en Iraq, il est intercepté, avec sa petite escorte, par les troupes de Yazid et furent tous massacrés. C'est "la deuxième fitna".

Aujourd'hui encore la sensibilité chiite se rappelle cet événement qui marque une fracture définitive entre sunnisme et chiisme. Cet événement marque, plus que tout autre, le véritable début du schisme chiite. Il est encore, de nos jours, commémoré par une grande journée de deuil, de jeûne et d'affliction, "l'ashura" (10 muharram 61/10 octobre 680) par les Chiites du monde entier, notamment en Iran. Et Kerbala devint un lieu de pèlerinage célèbre.

Mais cette révolte n'est pas la seule en Iraq. La même année, les Kharidjites se soulèvent à Basra et s'épandent au Khûzistan, dans les plaines à l'Est du Tigre, jusqu'à ce que les troupes umeyyades les réduisent. Ils sont à l'origine d'un kharidjisme assez extrême, les Sufrites.

À Médine, les "Compagnons", à la mort de Muâwiya, refusèrent de reconnaître Yazid comme calife. La tension perdure et en 682, la ville se révolte et expulse le gouverneur umeyyade, Marwan ibn al-Hakam, l'ancien bras droit du calife Uthman. L'opposition se cristallise autour d'Abd Allah ibn Zubayr, maître du Hidjaz, qui avait des liens de parenté avec le Prophète. Enfin, en Arabie, des kharidjites, se révoltent dans le Yamama et se placent également sous l'autorité d'Abd Allah ibn Zubayr.

En en 683, une armée syrienne en place dans le Hidjaz, aux ordres d'un vieux général fidèle du calife, Muslim ibn Uqba, bat les révoltés de Médine, pille la ville et se dirige sur La Mecque, où s'était réfugié Abd Allah ibn Zubayr. La ville est assiégée, bombardée de pierres et durant les combats, la Kaaba est endommagée par le feu, quand arrive, en novembre, la nouvelle de la mort de Yazid Ier à Hawrân (Hauran). Les troupes syriennes, qui avaient perdu Muslim pendant la bataille, décident de regagner la Syrie.

Cette année 683 est également l'année d'un "voyage" conquérant d'Uqba ibn Nafi dans le Maghreb. Cette expédition devenue légendaire le mena jusqu'à l'Atlantique, mais il mourut au retour sous les coups d'un chef berbère, Kusayla, aidé de soldats byzantins.


Le califat de Marwan Ier : 684-685

À Damas, le successeur de Yazid Ier est son jeune fils, encore adolescent, Muâwiya II (683-684). Mais au Hidjaz, Abd Allah ibn Zubayr se proclame également calife. Enfin, l'Iraq est en butte à la révolte des Chiites. Ils répandent leur agitation vers le Nord avant d'être réduits par les contingents umeyyades en haute Mésopotamie. Tandis que le sud de l'Iraq est agité par les kharidjites. Ils se soulèvent à Basra, conduits par Nafi ibn al-Azraq, inspirateur des Azraqites, la branche la plus radicale du mouvement.

Le jeune calife meurt très vite, lors d'une épidémie, début 684, ne laissant pas d'héritier. Dès lors, Marwan ibn al-Hakam devient prétendant de la dynastie. Cousin germain et collaborateur du calife Uthman, il vient d'être chassé de Médine, où il était gouverneur de province, et se retrouve en Syrie où il convainc de nombreux chefs arabes de le désigner successeur de Muâwiya II.

Désormais, la lutte en Syrie se déroule entre le calife de La Mecque, Abd Allah ibn Zubayr, soutenu par les Banû Qays et le calife umeyyade de Damas, Marwan Ier, assisté par les Banû Kalb. La rencontre a lieu au nord de Damas, à Marj Râhit, où Marwan défait les partisans de l'anti-calife ibn Zubayr, en juillet 684. Le calife umeyyade est confirmé par les armes. Son fils Abd al-Aziz reçoit l'Égypte, où il bat le gouverneur à peine nommé par Abd Allah ibn Zubayr, et où il s'installe pour un règne de vingt ans. Par ailleurs, Marwan Ier, fait reconnaître comme héritier son autre fils, Abd al-Malik, puis se rend en Égypte. C'est au retour de ce voyage, en février 685, qu'il meurt en Syrie. Il n'avait pas pu se consacrer à la réorganisation de l'État. Cette lourde tâche ainsi que celle de la réunification de l'Empire fut laissée à son fils, Abd al-Malik (685-705), auquel succédera al-Walid (705-715), "le bâtisseur".

Le Grand Califat d'Abd al-Malik ibn Marwan : 685-705

À son avènement, la situation d'Abd al-Malik (685-705), qui commence le règne fondateur de la nouvelle branche des Umeyyades, les Marwanides, issue de Marwan Ier, qui va régner jusqu'à la fin de la dynastie (celle qui était arrivée au pouvoir avec Muâwiya Ier se dénommait sufyânide, du nom d'Abû Sufyân, père de Muâwiya), est difficile. Son père n'a pu affirmer son pouvoir. Il laisse, après moins d'un an de règne, un empire toujours divisé.

L'antagonisme entre Qaysites et Kalbites s'aggrave. Abd Allah ibn al-Zubayr règne sur l'Arabie et son frère Musaab gouverne le sud de l'Iraq, depuis Basra. Ils sont confrontés aux kharidjites qui interceptent les caravanes, perturbent le commerce, prélèvent l'impôt au Yémen, au Hadramaout, à Bahraïn.
Au Khûzistan, dans le Fars et le Kirman, les "azraqites", les plus radicaux des kharidjites, continuent de sévir, même si leur chef, Nafi ibn al-Azraq, vient d'être battu et tué par le gouverneur du Khûrasan, al-Muhallab ibn Abi Sufra ; les rebelles se concentrent dans la province du Fars, pour établir un califat dissident dirigé par leur nouveau guide, Qatari ibn Fujâa. Ce dernier sera tué à son tour en 699.

D'autre part, cinq ans de troubles ont marqué la Syrie-Palestine, que le calife apaise comme il peut. Son frère, Abd al-Aziz, tient l'Égypte et envoie des renforts à Zuhayr ibn Qaïs, en Cyrénaïque, le faisant gouverneur d'un Maghreb à reconquérir.

Le reste de l'Iraq est aux mains des Chiites d'al-Mukhtar ibn Abi Ubayd, révolté à Kûfa au nom de Muhammad ibn al-Hanafiya, fils d'une autre branche du calife Ali, qui vit à Médine, et à son corps défendant. Les mutins vont se réfugier en Haute Mésopotamie et le calife échoue à les réduire. C'est Musâab ibn Zubayr, le frère d'Abd Allah ibn Zubayr, parti de Basra, qui bat les rebelles et tue leur chef à Kûfa, d'où il gouvernera désormais l'Iraq (687).

La condition du calife est donc chancelante en l'année 688 où Zubayr ibn Qaïs, après avoir repris Kairouan et tué le berbère Kusayla, est tué à son tour en défendant la Cyrénaïque, enlevée par une flotte de Byzantins de Sicile, qui installent une faible autorité grecque sur l'Ifriqiya.

Le Califat de Walid Ier : 705-715

Sous le règne de son fils, Walid Ier (705-715), qui inaugure une série de quatre frères à la succession du califat, la période umeyyade est à l'apogée de l'Islam conquérant. L'Empire atteint son maximum d'extension et le Trésor a d'abondantes réserves. Le nouveau calife peut alors donner libre cours à sa passion de construire. Il fit construire la Grande Mosquée de Damas, un des plus beaux monuments de l'art musulman, ainsi que la Mosquée al-Aqsa de Jérusalem, face au Dôme du Rocher construit par Abd al-Malik. Il édifia des mosquées en province, remania celle de Médine (707-709)... Entre autres réalisations.

À l'intérieur, les provinces demeurent stables, mais la forte pression fiscale, inaugurée par Abd al-Malik, est la cause de bien des mécontentements, de même que la persistance d'inégalités et d'injustices criantes.

Cette énergie et cette richesse permettent au jeune calife, pendant les dix années de son règne, de continuer l'effort guerrier contre Byzance et une relance de la conquête vers l'Est et vers l'Ouest, poussant jusqu'aux principautés turques de l'Asie centrale et au royaume wisigoth d'Espagne, reculant ainsi les frontières d'au moins mille kilomètres, d'un coté comme de l'autre.

La politique d'un calife conquérant

Walid Ier décide de jeter ses armées aux extrémités de l'Empire :

Le Califat de Sulayman : 715-717

Le successeur de Walid Ier, est son frère Sulayman, reconnu héritier du vivant de leur père, et qui va hériter d'un Empire agrandi de mille cinq cents kilomètres à chaque extrémité, avec une péninsule européenne annexée sans obstacle. Il quitte alors ar-Ramlah, ville qu'il avait fondée en Palestine, quand il y commandait les troupes umeyyades engagées dans l'effort militaire contre Byzance.

Mais le nouveau calife de trente-cinq ans, passe pour un amateur de plaisirs, et il doit tenir un ensemble où se font jour des oppositions religieuses et politiques de mieux en mieux organisées autour de la famille du Prophète. De plus, au moment où s'approche l'année 719, terme du Ier siècle de l'Islam, les milieux religieux confortent leur influence. Il doit donc en tenir compte.

Le califat de Umar II ibn Abd al-Aziz : 717-720

Certes, sa politique de conciliation avait évité bien des troubles, notamment de la part des Kharidjites, mais des forces secrètes préparaient déjà dans l'ombre la chute de la dynastie umeyyade, lorsqu'il mourut empoisonné en février 720. Le IIe siècle de l'Islam commence. L'Empire musulman atteint ses limites, mais la volonté de conquête subsiste. Le règne bref qui s'achève est celui d'un homme pieux, attentif à l'équité, selon la tradition musulmane, ce qui le distingue des autres souverains umeyyades.

Le califat de Yazid II : 720-724

Après la mort d'Umar II, au tout début du IIe siècle de l'Islam, le trône échoit pour la troisième fois à un fils d'Abd al-Malik, Yazid II, frère des califes Walid Ier et Sulayman.

À son avènement, se réanime le clan de l'ancien gouverneur d'Iraq, al-Hajjâj ibn Yusuf, décédé six ans plus tôt. Yazid II lui est apparenté. Il remplace le gouverneur d'Égypte, Ayyub ibn Churabhil par Bichr ibn Safwan et nomme au Maghreb un officier d'al-Hajjâj, Yazid ibn Abû Muslim, qui se fait massacrer par sa garde berbère. Il est remplacé par Bichr ibn Safwan ; son frère Handhala ibn Safwan lui succède à Fustat.

Pendant ce temps, le maître de l'Iraq, Yazid ibn al-Muhallab, adversaire du clan d'al-Hajjâj, qui peu de temps auparavant s'était évadé de prison où l'avait incarcéré Umar, se révolte contre le nouveau souverain. Il est vaincu et tué par Maslama ibn Abd al-Malik, demi-frère du calife (août 720). L'Iraq reçoit dès lors un nouveau gouverneur, Umar ibn Hubayra. Le nouveau responsable de l'Iraq réprime, dès son arrivée, la fronde latente des Kharidjites de Bastam autour de Mossoul.

Par ailleurs, on tente de poursuivre la conquête. L'objectif est la Gaule où le duc d'Aquitaine repousse, en 721, du côté de Toulouse, le gouverneur d'Espagne, al-Samh al-Malik. Cet échec n'empêche pas, les années qui suivent, les raids dans le Massif central et la Provence.

De même, la Sicile byzantine et la Sardaigne sont assaillies, au début du règne de Yazid II, par des navires venus d'Ifriqiya.

Au début de 724, le calife Yazid disparaît. Comme les deux précédents, ce califat aura été court. Les querelles internes s'y multiplient, mais la volonté de conquête demeure.

Le Califat de Hicham : 724-743

En 724, Hicham, quatrième fils d'Abd al-Malik, prend la succession de Yazid II à Damas. Il a trente-trois ans. Son califat durera près de vingt ans, au cours desquels l'Empire connaîtra :
La dernière période de prospérité et de splendeur du califat umeyyade.

Pendant son mandat, Hicham, établit un nouveau cadastre, recense les populations et les richesses du pays, puis augmente l'impôt foncier.

En 743, se termine le règne de Hicham, le troisième des plus longs règnes de la dynastie umeyyade. Il fut consacré au maintien des acquis, à un moment où l'énergie musulmane a touché ses limites. Toutes les forces politiques, sociales et religieuses qui vont renverser la dynastie sont en place. Elles vont contribuer à la chute finale, en sept années de crise ininterrompue.
Les dernières années du califat de Hicham furent assombries par des problèmes de succession : il dut se résigner à nommer comme successeur son neveu al-Walid ibn Yazid. Hicham mourut en février 743, âgé d'environ cinquante-deux ans, après vingt ans de règne fécond pour le développement de la civilisation musulmane.

Le temps des califats éphémères

En plus de leur réputation de grands conquérants et de grands administrateurs, les Umeyyades furent aussi de remarquables bâtisseurs. Ils développèrent l'urbanisme et élevèrent de nombreux monuments et une série de grandes Mosquées, conçues pour répondre aux besoins des prières rituelles et pour implanter la religion nouvelle dans les pays conquis ; telle la célèbre Mosquée du Dôme du Rocher à Jérusalem sous Abd al-Malik, rocher où, selon la Tradition, Dieu avait appelé Abraham à sacrifier Ismaïl.
C'est, également à Abd al-Malik, que revient le mérite d'avoir fait frapper la première monnaie arabe et inaugurer l'utilisation de la langue arabe dans les affaires de l'État, en 690.

À l'actif des califes umeyyades, il faut, également, reconnaître qu'ils étendirent considérablement l'Empire musulman et qu'ils créèrent une bureaucratie capable de le gérer.
Sous les Umeyyades, les armées musulmanes avancèrent vers l'Est jusqu'aux frontières de l'Inde et de la Chine, et à l'Ouest, jusqu'à l'Atlantique à travers le Maghreb, puis au Nord, à travers l'Espagne et les Pyrénées, les armées arabes, bien avant 730, vinrent fouler le sol de la France.

Les Umeyyades s'assignèrent pour tâche majeure la consolidation de l'Empire, qui :

pour la seule fois de son Histoire, obéira, tout entier, à une seule dynastie et sera gouverné par les Arabes et pour les Arabes.



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2-Les Abbassides : 750-1517


Généalogie des Abbassides

Carte d'Expansion de l'Islam sous les Abbassides


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3-L'Espagne musulmane : 711-1442


  1. L'Espagne wisigothe (409-711) à la veille de l'invasion arabe

    La période des trente dernières années qui précédent l'invasion arabe et qui s'ouvre à la retraite du roi Wamba, en 680, est tout entière emplie de querelles anarchiques : compétitions sanglantes de candidats au trône, séditions provinciales, intrigues de la noblesse et du haut clergé qui cherchent à s'immiscer plus encore qu'auparavant dans la vie politique du royaume. Par ailleurs, jamais les Wisigoths ne parviendront à se rendre maîtres de toute la péninsule. Les Suèves en Galice, les Vandales puis les Byzantins au Sud, mais surtout les populations des régions du Nord (du pays basque aux Asturies) ont posé de sérieux problèmes à la monarchie.
    Wamba (672-680), successeur de Receswinth (653-672), fut un prince énergique et courageux. Après huit ans de règne, il est écarté du pouvoir et se retire au monastère. Ervig (680-687), qui lui succède, réunit, en 683, le treizième concile de Tolède. Après Ervig, son gendre, Egica (687-702), reçoit le sceptre à la fin de 687, pour le conserver jusqu'au début du VIIIe siècle.
    En 693, Egica avait associé à son trône son fils Witiza (702-710). Cinq ans plus tard, celui-ci devint régent de fait, jusqu'à la mort de son père, en 702. Puis il continua à régner, mais comme il était âgé, il se préoccupa sans retard d'assurer la succession à son fils Akhila, en même temps qu'il lui confiait le gouvernement de la Septimanie et de la Tarraconaise. Ces dispositions déchaînèrent contre Witiza l'opposition des magnats wisigoths.
    La situation était ainsi de nouveau fort trouble dans la Péninsule quand Witiza mourut, en 710. Akhila était toujours au siège de son gouvernement du Nord (Narbonne et Tarragone). Bien qu'il fût l'héritier présomptif de son père, il n'était pas question pour lui de revenir à Tolède pour y prendre possession du trône. À Tolède, le parti de l'opposition décida au bout de quelque temps de confier la couronne au duc Roderic (710-711), qui résidait à Cordoue en qualité de gouverneur de la Bétique. La guerre civile est inévitable. Proclamé au cours de l'été 710, Roderic, sans perdre de temps, neutralisa l'activité déployée par le prétendant Akhila. Mais sous son règne éphémère, l'Espagne avait perdu davantage encore la notion de son unité politique et où les factions s'y déchaînèrent sans répit ; autant de signes qui indiquent clairement qu'au début du VIIIe siècle, la terre ibérique offrait une proie facile à un envahisseur, qu'il vint du Nord ou du Midi. Comme à point nommé, les Arabes se trouvèrent de l'autre côté du détroit pour s'en saisir sans peine et abattre du premier coup le ruineux édifice de la monarchie wisigothe.

  2. La conquête de l'Espagne : 710-756

    Alors que Roderic se bat au Nord, les musulmans pénètrent en Espagne. Il revient rapidement au Sud pour trouver la mort à la bataille de Guadalete en 711. Le royaume wisigoth d'Espagne allait être liquidé en moins de deux années.
    La conquête de l'Espagne est le fait du gouverneur de l'Afrique du Nord, Mûsa ibn Nusayr, qui en prend l'initiative sans en référer au calife de l'époque, al-Walid. Depuis sa résidence de Kairouan, il désigne, dans un premier temps, un officier berbère, Abû Zaara Tarif ibn Mulluk pour aller explorer la rive espagnole du détroit de Gibraltar. En juillet 710, Tarif, avec quatre cents hommes seulement, débarque dans une petite île toute proche du port qui devait conserver son nom, Tarifa (Djazirat Tarif). De là, la troupe musulmane se livre à une série de fructueuses incursions sur le littoral. Elle s'empare d'un riche butin avant de retourner au Maghreb.
    À la suite de ce raid de reconnaissance, le gouverneur de Tanger, Tariq ibn Ziyad, un affranchi de Mûsa ibn Nusayr, d'origine berbère, fut chargé de commander une nouvelle expédition. Le moment était propice, car Roderic était occupé au Nord de son royaume, dans la région de Pampelune, à réduire une révolte des Vascons. Tariq traversa le Détroit et alla se retrancher dans le flanc de la montagne Calpe (le futur Gibraltar, Djabal Tariq, "la montagne de Tariq"), en attendant le débarquement de tous ses soldats, au printemps 711. Une fois réunie, son armée de sept mille hommes, presque tous d'origine berbère, Tariq se mit en campagne. Il se transporta plus à l'Ouest où il organisa une base destinée à lui servir de camp retranché en cas de retraite, face à une petite île, "l'île verte" (al-Djazira al-Khadra) la future Algeciras. Puis, après avoir reçu le renfort de cinq mille autres berbères envoyés par Mûsa, il met en déroute l'armée du roi wisigoth Roderic, revenu en toute hâte du Nord du pays, lors de la bataille du Guadalete, en juillet 711, et où Roderic aurait perdu la vie. Après cette victoire, Tariq voyait s'ouvrir toutes grandes devant lui les portes de l'Andalousie. Très rapidement, Cordoue est conquise (octobre 711). Grenade et Malaga se livrent, tout comme Tolède la capitale qui n'opposa aucune résistance.

    Au lieu de se réjouir des succès remportés par son lieutenant, Mûsa ibn Nusayr en conçut une vive irritation et beaucoup de dépit. Il ne voulait pas laisser à son seul subordonné le bénéfice de la conquête. Il concentra sur le littoral une armée de dix huit milles hommes, puis s'embarqua pour Algéciras en 712. Il commença par occuper la ville de Medina Sidonia et les deux places fortes qui couvraient vers l'Est Séville, non encore conquise : Carmona et Alcala de Guadaira. Il mit ensuite le siège devant Séville elle-même, qui ne lui opposa qu'une faible résistance. Puis, il prit Mérida, où les partisans de Roderic étaient parvenus à se rallier, le trente juin 713. Il poursuivit ensuite sa marche vers Tolède pour faire la jonction avec les troupes de Tariq, qui le rejoignit à Talavesa, avant d'aller s'installer à Tolède.
    De Tolède Mûsa envoya à Damas des messagers chargés de rendre compte au calife des résultats obtenus en Espagne et de lui annoncer la prise de la capitale des Wisigoths. Au printemps 714, il quitta Tolède et alla prendre Saragosse. De Saragosse, Mûsa voulut pousser sa conquête de l'autre côté des Pyrénées, mais ses projets furent bientôt contrariés par le retour de ses messagers qui lui apportèrent, de la part du calife al-Walid, l'ordre de rejoindre la Syrie, en compagnie de Tariq. Il quitta la Péninsule ibérique au cours de l'été 714, en laissant pour l'y suppléer son fils Abd al-Aziz. Il arriva à Damas où le calife, déjà malade, le reçoit avec Tariq ibn Ziyad et leur retire leurs titres et leur richesses, fort peu de temps avant de mourir (23 février 715). Mûsa, dont la disgrâce est confirmée par le calife Sulayman, successeur d'al-Walid, mourut peu de temps après en Syrie (716-717), de même que Tariq.

  3. Les gouverneurs de l'Espagne

    Après le départ de son père, Abd al-Aziz ibn Mûsa, ne gouverna l'Espagne que peu de temps : il devait être assassiné en mars 716, sur ordre du calife Sulayman, qui venait de succéder à Damas à son frère al-Walid. Entre temps, il avait pris possession d'Évora, de Santarem et de Coïmbre au Portugal. Il devait aussi poursuivre la conquête des régions sub-pyrénéennes et enlever notamment Pampelune, et plus à l'Est, Tarragone, Barcelone, Gérone et Narbonne. On lui attribue aussi la prise de Malaga et d'Elvira.

    La Péninsule, après la mort violente d'Abd-Aziz ibn Mûsa, fut dirigée par des gouverneurs, délégués pour l'Espagne, nommés directement par le calife de Damas, et dépendaient du wali arabe qui résidait à Kairouan. Leur rôle consistait avant tout à consolider la conquête et de poursuivre la pacification du pays, enfin, à pousser par-delà les Pyrénées des pointes plus ou moins profondes à l'intérieur du territoire de la Gaule. Mais, à partir de 732, à la mort du gouverneur Abd al-Rahman ibn Abd Allah al-Ghafiki, tué à la bataille de Poitiers, le pays fut troublé par de nombreux soulèvements et révoltes, dus aux rivalités entre les représentants des deux grands groupements ethniques arabes : les Kalbites, Yéménites, et Qaysites d'origine syrienne, et dont l'antagonisme remontait avant l'Hégire. Mais, le trouble le plus grave, fut le soulèvement des Berbères, soulèvement qui avait débuté au Maroc, sous la coupe d'un chef dynamique Maysara avec la prise de Tanger en 740, et la victoire à la bataille dite des "Nobles", dans la vallée du Chélif. Ceci donna aux Berbères d'Espagne, l'idée de tenter de secouer le joug de l'autorité arabe. Il a fallu l'arrivée massive de Djunds syriens, dépêchés de Damas, sous le commandement du général Baldj, pour en venir à bout en 741. Mais les troubles n'en continuèrent pas moins entre Arabes.
    Yûsuf ibn Abd al-Rahman al-Fihri, descendant en ligne directe du général Uqba ibn Nafi, fut le dernier des gouverneurs d'Espagne, en 747, avant la prise de pouvoir par Abd al-Rahman Ier. À l'époque les liens qui unissaient l'Espagne à l'Orient arabe et à l'autorité de Damas, qui avaient été toujours fort lâches, se trouvaient rompus, et le calife de Damas, déjà aux prises avec les Abbassides, eût été bien en peine de réagir pour les renouer.

  4. Le califat hispano-umeyyade : 750-1031

    • L'émirat de Cordoue

      Ce fut dans ces conditions qu'arriva, en 755, en Espagne, Abd al-Rahman ibn Hisham ibn Abd al-Malik ibn Marwan,"al-Dakhil", un des rares survivants du massacre de la dynastie des Umeyyades perpétré par les Abbassides de Bagdad en 750, et qui arriva en Espagne, après bien de péripéties et de pérégrinations en compagnie de son fidèle affranchi, Badr. Aidé des Arabes Syriens, qui appartenaient à la cavalerie naguère amenée par le général Baldj, et des Berbères (sa mère Rah était une captive berbère). Il fit son entrée à Séville, en mars 756, et y reçu le serment d'allégeance de la population. Il défit ensuite, le 15 mai 756, Yûsuf al-Fihri, le dernier gouverneur et se fit proclamer émir d'al-Andalus dans la Grande Mosquée de Cordoue. Il n'avait pas encore vingt-six ans.

      Abd al-Rahman Ier (756-788), s'efforça, peu à peu, de refaire l'unité de l'Espagne, qui avait vécu dans l'anarchie, pendant les décennies suivant la Conquête, et où s'affrontaient les différents groupes ethniques : Arabes yéménites et qaysites, Berbères et Arabes, Espagnols convertis (Muwalads) et Espagnols restés Chrétiens (Mozarabes)
      En dépit de nombreuses révoltes, fomentées par l'ancien Gouverneur Yûsuf al-Fihri, ou même commanditées directement par l'autorité Abbasside, comme en 763, celle d'Ibn Mughith à Béja, ou les nombreuses insurrections berbères, qui ensanglantèrent, presque de bout en bout, son règne ; ainsi que différentes tentatives de membres de sa propre famille pour le renverser. Abd al-Rahman Ier fut intraitable et put malgré tout jeter les bases politiques et administratives de son émirat.
      L'Éspagne musulmane, jusque-là simple province d'un immense Empire, se trouvait promue au rang de Principauté indépendante et, dès lors, maîtresse de sa destinée. Ce fut, également, sous le règne d'Abd al-Rahman Ier, "al-Dakhil" (l'Immigré), que Cordoue commença à faire vraiment figure de capitale musulmane, dotée d'une grande-mosquée et d'un palais émiral : l'Alcazar.



      Abd al-Rahman Ier mourut le 30 septembre 788, à moins de soixante ans et après trente ans de règne. Il transmettait à son successeur un royaume que les offensives chrétiennes et les nombreuses séditions arabes et berbères n'avaient guère entamé et qu'il avait dû, à plusieurs reprises, reconquérir sur ses propres sujets, à la force des armes.

      Abd al-Rahman Ier avait désigné pour lui succéder son fils Hisham Ier (788-796), dont le règne allait être fort court ; à peine un peu plus de sept ans, qui furent caractérisés par une absence presque totale de sédition à l'intérieur du pays ; mais il eut à juguler la révolte de ses frères Abd Allah et Sulaymân, évincés du trône et réfugiés à Tolède. Ils durent, l'un et l'autre, en 789, se soumettre à Hisham Ier, après que celui-ci eût investi Tolède, et être obligés de s'expatrier au Maghrib.
      Ce fut cette relative tranquillité intérieure qui encouragea le pieux Hisham Ier à porter, presque à chaque été de son règne, la guerre sainte sur le territoire asturien (sawaïfs ou campagnes estivales). Il porta même la guerre, en 793, dans l'enclave franque de Gérone et jusqu'en Septimanie où il razzia Narbonne, sans pouvoir enlever cependant la citadelle.
      Peu avant sa mort, il favorisa la doctrine malikite, de l'école juridique (mahdab) de Malik ibn Anas et son adoption officielle en Espagne musulmane. Il fit également des aménagements dans la grande Mosquée de Cordoue. Il mourut prématurément, le 17 avril 796, après avoir régné un peu plus de sept ans et à peine la quarantaine. Il avait désigné son second fils al-Hakam pour lui succéder.

      À son avènement, al-Hakam Ier (796-822), avait vingt-six ans, et, contrairement à son père, dut faire face à des révoltes incessantes, et en premier lieu, à une querelle dynastique de la part de ses deux oncles, Abd Allah et Sulayman, qui avaient dû passer au Maghrib, exilés par Hisham. À la mort de ce dernier, ils revinrent en Espagne et fomentèrent des troubles. Sulayman fut défait par les troupes royales et mis à mort à Mérida. Quant à Abd Allah, après avoir été défait à Huesca, en 800, il continua son agitation du côté de Valence. Puis, il se résigne à faire des ouvertures à son neveu ; al-Hakam lui accorde son pardon à condition qu'il ne quitterait plus Valence ; Abd-Allah, qu'on appela désormais al-Balanci ("le Valencien"), tint ses engagements jusqu'à la mort d'al-Hakam.
      Si l'on met à part, en même temps que l'activité hostile déployée par ses deux oncles et l'émeute qu'il dut successivement réprimer à Cordoue, on constate que le règne de ce prince fut presque entièrement consacré à éteindre les foyers d'incendie qui se rallumaient sans cesse dans les trois Marches-frontières du royaume, autour des villes de Saragosse, de Tolède et de Mérida.
      Les plus graves révoltes furent celles de Tolède, qui furent suivies d'une sauvage répression, menée par Amrus sous l'ordre de l'émir, en cette fameuse "journée de la fosse (797). Amrus commença par se débarrasser du chef de révolte, Ubaïd Allah, en le faisant tomber dans un piège, avant de s'en prendre aux Tolédans eux-mêmes dont il décima leur bourgeoisie, lors d'une barbare tuerie. Tolède fut maîtrisée pour plusieurs années, mais ceci ne l'empêcha pas de se révolter, de nouveau, en 811 et en 818.
      Dans la marche inférieure, la lutte fut menée contre les muwallads et les Berbères révoltés dans la ville de Mérida. Les opérations commencées par al-Hakam Ier en 805-806, devaient durer sept ans. Mérida ne se rendit qu'en 813. En 817, il fallut éteindre un nouveau soulèvement, et l'infant ("walad") Abd al-Rahman, dut se porter à Mérida avec une armée. Entre temps, en 808-809, une révolte se déclara à Lisbonne. Elle fut mâtée par un autre fils d'al-Hakam, le prince Hisham ; celui-ci purifia tout le pays situé entre Lisbonne et Coïmbre.
      Telle serait la liste, déjà longue, des principales révoltes dont la répression occupa la majeure partie du règne d'al-Hakam Ier, s'il ne fallait ajouter les deux graves affaires qui ensanglantèrent Cordoue à treize années d'intervalle, et dont l'une, au moins, faillit coûter son trône au troisième Umeyyade d'Espagne. En mars 805, un grand nombre de notables de Cordoue avaient comploté pour le renverser. Mis au courant, al-Hakam Ier les fit tous arrêter et exécuter sans pitié. L'émotion provoquée par l'impitoyable verdict fut extrêmement vive à Cordoue ; et le mécontentement ne fit que croître.
      En 818, une émeute d'un faubourg de Cordoue fut sauvagement réprimée et le faubourg complètement rasé, obligeant ses habitants à fuir le massacre et à s'expatrier au Maroc, où ils occupèrent un quartier de Fès, qui devait prendre le nom de "quartier des Andalous", ou en Crète, où ils formèrent une petite colonie, après avoir été chassés d'Égypte où ils avaient débarqué précédemment. Ces massacres de faubourgs valurent à l'émir le surnom d'al-Rabadi ("celui des faubourgs").
      À sa mort en 822, il avait à peine cinquante-trois ans, al-Hakam Ier laissait cependant à son fils et successeur, Abd al-Rahman, un royaume tout entier soumis à l'autorité émirale et à peine entamé par les offensives franques et asturiennes.

      En accédant au trône Abd al-Rahman II (822-852), fils d'al-Hakam Ier, prenait possession d'un territoire presque entièrement pacifié, pourvu de cadres administratifs suffisamment organisés, jouissant de finances prospères et d'une activité économique en plein essor.
      Il lui a fallu pourtant lutter contre le péril représenté par les Normands ("Madjus" ou idolâtres), lorsqu'ils s'emparèrent de Cadix et de Séville, qu'ils pillèrent en 845 ; poursuivre les "sawaïf contre les territoires asturiens et sévir contre une rébellion des Mozarabes de Cordoue, conduite par le clerc Euloge (850-859).
      C'est sous le règne d'Abd al-Rahman II, que le pays d'al-Andalus prend véritablement figure d'État indépendant, de Royaume incontesté au regard du monde musulman.

      Sous le règne de son fils, Muhammad Ier (852-886), l'Espagne musulmane allait connaître encore d'assez longues périodes de calme politique et jouir dans la paix intérieure, au moins jusqu'aux alentours de 875, des bienfaits d'une autorité, à la fois vigilante et équitable.
      Mais il y eut encore de nombreuses révoltes et dissidences, parmi lesquelles celle des Mozarabes Tolédans, aidés d'une forte armée asturienne envoyée par le roi Ordono Ier, et écrasés en 854 ; ou celle, plus grave, fomentée par Ibn Marwan al-Djilliki, qui finit par créer une principauté autonome autour de Badajoz (886), l'année de la mort de l'émir.

      Son successeur al Mundhir (886-888), eut, pendant son court règne, des soucis bien plus pressants que la soumission d'al-Djilliki. Il était, en effet, urgent de combattre Ibn Hafsoun, qui avait soulevé l'Andalousie actuelle ; mais il tomba malade alors qu'il assiégeait le rebelle à la tête de ses troupes. Il n'eut alors que le temps de mander de Cordoue, son frère, Abdallah, pour lui confier la direction du siège, avant de rendre l'âme.

      Le règne d'Abd Allah (888-912) fut relativement agité. Ce sont tantôt les Muwallads qui se dressent contre les Arabes, tantôt ces derniers qui, avec ou sans le concours des Berbères, se portent à l'attaque des néo-musulmans ; sans parler des multiples complots dynastiques, qui coûtèrent la vie à plus d'un membre de sa famille.
      Quoi qu'il en soit, on ne peut dénier à l'émir Abd Allah le mérite d'avoir été, autant sinon plus qu'al-Hakam Ier et Abd al-Rahman II, celui qui a sauvegardé la restauration hispano-umeyyade réalisée à grande peine par Abd al-Rahman l'immigré.
      Il laissa, néanmoins, un trône bien chancelant à son petit-fils Abu al-Muttarif Abderrahman.
      Un nouveau règne s'ouvrait : celui du premier calife de Cordoue ; et avec lui, le IVe siècle de l'ère du Prophète, le plus glorieux et le plus fécond de l'Histoire de l'Espagne musulmane.

    • Le califat de Cordoue

      Le redressement fut opéré par Abd al-Rahman III (912-961). Homme doué d'une intelligence réaliste et méthodique, d'une ténacité à toute épreuve, ambitieux, tolérant, courageux et organisateur ; un prince exceptionnellement doué et dont la durée peu commune de son règne - tout près d'un demi-siècle - lui permettra de donner pleinement sa mesure.
      Il va restaurer, dans al-Andalus, l'autorité et le prestige de la maison umeyyade, reconquérir les territoires tombés en dissidence, mettre fin à l'existence des principautés inféodées à Cordoue et étouffer définitivement la rébellion andalouse (929-932).
      Il rétablit, également, son autorité sur les marches du Nord où les royaumes chrétiens reconnaissent son autorité, lui payant tribut. Malgré quelques incursions, Abd al-Rahman ne cherche cependant pas la conquête des territoires chrétiens
      Au Maghreb, il fit tout pour contrecarrer l'expansion fatimide, soutenant les tribus Zenata ainsi que tous les petits états qui se trouvaient en conflit avec la Dynastie chiite, obtenant une "vassalité" de fait à l'autorité umeyyade, d'une grande partie du nord du Maroc et de vastes territoires du Maghreb ; vassalité qui allait subsister, malgré de nombreuses vicissitudes, jusqu'à la fin du Xe siècle. Il occupa même deux places maritimes stratégiques du détroit de Gibraltar : Ceuta et Tanger.
      C'est aussi à la fois pour répondre à la proclamation du califat fatimide, qui constituait une menace, et pour affirmer, dans l'esprit de ses propres sujets, qu'Abd al-Rahman III accomplit le geste le plus significatif de sa carrière politique, en adoptant les titres éminents de "Calife" et de "Prince des Croyants" en 929, avec le surnom de "Nasir al-Din Allah" (défenseur de la Religion d'Allah). Face aux Fatimides, le Calife de Cordoue incarnait ainsi le souvenir de la Dynastie arabe de Damas et l'orthodoxie sunnite à un moment où le Califat abbasside était en pleine décadence.
      Au niveau économique, il assainit les finances, ce qui lui permet d'entretenir une flotte conséquente. L'agriculture, l'artisanat et le commerce connaissent une période de grande prospérité. Sur le plan architectural, il fait construire le minaret de la Grande Mosquée de Cordoue, l'Alcazar et surtout le palais de Madinat al-Zahra (936-976).  À sa mort, en 961, la puissance arabe en Espagne se trouva alors à son apogée. Du royaume de Cordoue, sans cesse disputé à ses prédécesseurs, secoué par la guerre civile, les rivalités des clans arabes, les heurts des groupes ethniques dressés les uns contre les autres, il a su faire un État pacifié, prospère et immensément riche. La civilisation musulmane en Espagne semblait capable de rivaliser avec celle de l'Orient abbasside et surpassait de beaucoup celle de l'Occident chrétien.

      Le règne du successeur d'al-Nasir, son fils aîné, al-Hakam II (961-976), fut l'un des plus pacifiques et des plus féconds de la Dynastie hispano-umeyyade. Son nom restera avant tout inséparable de celui de la merveille de l'art hispano-mauresque, la Grande Mosquée de Cordoue, qu'il agrandit et dota d'une magnifique parure. Il témoigna, également, toute sa vie, d'un penchant pour les sciences islamiques, comme pour les belles-lettres et les arts, possédant l'une des plus riches bibliothèques de son temps, ce qui a suffi à lui assurer une renommée durable. Cordoue, comme métropole des choses de l'esprit, brilla alors d'un éclat plus vif que sous al-Nasir. Mais son règne fut beaucoup plus bref, à peine une quinzaine d'années. Il prit le vocable honorifique d'al-Mustancir Billah (celui qui cherche l'aide victorieuse d'Allah). Il continua la même politique que son père, aussi bien à l'intérieur des frontières terrestres d'al-Andalus qu'au Maghreb occidental, sans néanmoins l'énergie et le caractère autoritaire de son prédécesseur.

    • La régence d'Almanzor (976-1002)

      À la mort d'al-Hakam II, l'autorité califienne va subir une atteinte sans précédent. Le nouveau souverain, Hisham II (976-1013), étant trop jeune, il n'avait que douze ans, et trop débile pour exercer lui-même le pouvoir ou le revendiquer à sa majorité, celui-ci va passer entre les mains d'un véritable dictateur, d'un "maire du Palais", le vizir Ibn Abî Amîr à la fois génial et sans scrupules, que son habileté politique, son ambition illimitée, sa grande valeur militaire et la protection bienveillante de la reine mère, porteront rapidement au faîte des honneurs.
      Au bout de quelques années, qui lui suffiront à mettre à bas ses adversaires, un coup d'État lui assurera la direction exclusive et incontestée du Gouvernement d'al-Andalus. Il mènera dès lors une carrière prestigieuse, s'affirmant, peut-être plus encore qu'Abd al-Rahman al-Nasir, comme le champion de la gloire de l'Islam dans la Péninsule Ibérique. Il inscrira aux fastes de l'Empire hispano-umeyyade ses plus retentissantes victoires sur la chrétienté et il maintiendra sous sa rude poigne la population intérieure. Pendant plus de vingt ans, il apparaîtra comme le seul et véritable souverain d'al-Andalus, tandis que le calife en titre ne sera qu'un fantoche et passera tout à l'arrière plan de la scène politique vivant reclus à Madînat al-Zahrâ. À l'instar d'Abd al-Rahman III, il crée une nouvelle ville-palais, Madinat al-Zahira, à l'est de Cordoue. Bientôt, on ne l'appellera plus qu'al-Mansûr (le Victorieux), l'Almanzor des chroniques chrétiennes. Il s'empara de Barcelone, le Léon et Saint-Jacques-de-Compostelle (997). À l'intérieur il mata l'aristocratie arabe et réorganisa l'armée en faisant venir des contingents berbères.

    • La fin du califat (1002-1031)

      À sa mort en 1002, un de ses fils Abd al-Malik, connu sous le vocable d'al-Muzaffar, lui succéda, mais il ne gouverna que six ans (1002-1008) et se montra respectueux des consignes et de la tradition paternelles.

      Le calife Hisham, régnant toujours en titre, un troisième Régent "amiride", Abd al-Rahman, s'arroge le pouvoir à la mort de son frère Abd al-Malik. Ce ne sera que pour quelques mois ; puis s'ouvrira une crise politique d'une gravité extrême. Elle se prolongera plus de vingt ans et entraînera la chute définitive du califat umeyyade d'Occident.
      De 1008 à 1031, al-Andalus sombra dans la guerre civile. Une révolte, menée par un prince umeyyade, al-Mahdi, gronde. Il s'empare du pouvoir, simule la mort de Hisham II, mais doit faire face à une nouvelle révolte, menée par Sulayman al-Mustaïn (1009-1010 et 1013-1016) qui s'empare de Cordoue et qui connaîtra une fin tragique à la fin de son second règne. Abd al-Rahman se réfugie à Tolède, tandis que le général al-Wahid, responsable des zones frontalières marche sur Cordoue avec l'appui des troupes catalanes qui pilleront la capitale en 1010. Hisham II est rétabli dans le califat (1010-1013), al-Wahid nommé Premier ministre. Éclate alors la révolte berbère. Les deux villes-palais sont entièrement détruites en 1010, et Cordoue est mise à feu et à sang, après un siège de trois ans.
      C'en est fini du califat de Cordoue, victime de ses luttes intestines. Et même si jusqu'en 1031 il y a un calife à Cordoue, cela fait des années qu'al-Andalus est divisée de fait en royaumes indépendants, dirigés par des chefs berbères, slaves ou arabes. Cette situation va bénéficier aux royaumes chrétiens qui vont maintenant jouer des divisions internes du monde musulman.

  5. Les Reyes de Taïfas

    Le califat de Cordoue disparaît en 1031 à l'issue de vingt ans de guerre civile. Ce n'est pas une nouvelle Dynastie qui va se substituer à l'ancienne, mais au contraire l'Empire va se démembrer en une nuée d'états minuscules, entre les mains de roitelets, connus sous le nom des Reyes de Taïfas ("Mamelouk al-Tawaïf" ou rois de factions), qui vont revendiquer leur portion de l'héritage califien, pour le plus grand profit des royaumes chrétiens qui engagent alors la Reconquista.
    Au fil du siècle, les plus faibles de ces principautés disparaissent et certaines d'entre elles dominent nettement la scène andalouse : Grenade, entre les mains de la dynastie berbère des Zirides ; Saragosse, capitale de la Marche supérieure ; Tolède, qui contrôle toute la zone centrale jusqu'à Valence ; et surtout Séville, dirigée par la puissante dynastie des Abbadides, véritable émirat dominant grâce au contrôle de la vallée du Guadalquivir. La multiplication des cours et partant des mécènes, confèrent un éclat sans précédent aux sciences et à la littérature et font du XIe siècle le véritable siècle d'or d'al-Andalus. Mais entre les pouvoirs croissants des Empires berbères du Sud et les seigneurs chrétiens du Nord, al-Andalus, objet de toutes les convoitises, va disparaître progressivement.

  6. La Reconquista

    Cet émiettement de l'Empire umeyyade d'Espagne par les Reyes de Taïfas va servir les intérêts de l'Espagne chrétienne, qui profitant de ce démembrement, va attaquer et résorber progressivement les territoires autonomes, qui ne peuvent compter sur l'aide de leurs voisins, jusqu'à les éliminer tous jusqu'au dernier, en 1492, avec la reddition de Buabdil de Grenade ;
    mettant un terme à l'existence de huit siècles de domination arabo-musulmane sur la Péninsule ibérique.





     Deux noms, al-Nasir et al-Mansûr, vont dominer l'histoire de toute l'Espagne du Xe siècle.

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4-Les Fatimides : 909-1171


Les Fatimides qui tirent leur nom de Fatima, la fille du Prophète, régnèrent en Afrique du Nord et en Égypte de 909 à 1171, soit plus de deux siècles et demi. L'origine du mouvement qui amena cette dynastie au pouvoir se situe en Iraq et se rattache à l'Ismaïlisme, doctrine chiite dont les adeptes attendent une rénovation de l'Islam à la fin de l'occultation du Mahdi, descendant du Prophète par Ali et Fatima. Cette propagande occulte intense aboutit à une explosion de la foi chiite, à la faveur de laquelle apparut le mahdi attendu, en la personne de Ubayd Allah, au début du Xe siècle.

Ubayd Allah vivait dans une petite ville de Syrie, Salamiya, devenue, vers 864, un centre de propagande ismaïlienne. Il s'affirmait descendant de Fatima et répandait sa propagande en Mésopotamie, en Perse et au Yémen. Mais ce fut sur la terre maghrébine que cette propagande chiite fut accueillie par les Kutâma, tribu berbère de la petite Kabylie, en lisière de l'Ifriqiya.

C'est Abû Abdallah, dâî, missionnaire propagandiste du Mahdi, qui suivit, vers 893, des notables berbères de la confédération des Kutâma, rencontrés lors d'un pèlerinage à la Mecque, au Maghreb où il se fixa. Il sut gagner à la cause du mahdi cette tribu des Kutâma, dont il fit une armée fanatisée, par un même idéal religieux, qu'il lança contre l'armée arabe aghlabide d'Ifriqiya.
Entre 902 et 909, à la tête de ces Kutâma, galvanisés par la prochaine venue du mahdi, il établit son autorité sur tout le territoire aghlabide, après avoir chassé le dernier émir aghlabide, Ziyâdat Allah, et entré, en mars 909, dans la capitale Raqqada. Quand il jugea son autorité suffisante, il partit à la recherche de son maître, le Mahdi Ubayd Allah, qui entre temps, fuyant les autorités de Bagdad, s'était réfugié à Sijilmasa, au Maroc, où, reconnu par le prince midraride kharidjite, il fut retenu prisonnier. C'est là que l'armée kutâmienne vint le délivrer, après avoir balayé au passage le Royaume rustémide de Tahert en 909, et investit Sijilmasa.

En 910, Ubayd Allah fit une entrée solennelle à Raqqâda, faubourg de Kairouan, capitale des Aghlabides, et prit officiellement le surnom d'al-Mahdi et le titre de Calife et de Commandeur des Croyants (amîr al-muminîn), devenant ainsi le premier calife fatimide, chef spirituel des Ismaïliens. Le pouvoir fatimide se pose en contre-califat chiite, rival du califat sunnite de Bagdad.
À peine au pouvoir, Ubayd Allah se révéla un chef énergique et autoritaire. Il conféra, au début, de hautes dignités à Abû Abd Allah et au frère de celui-ci, Abû al-Abbas, mais étant en désaccord avec eux, car ils voulaient partager le pouvoir avec lui, il les fit exécuter le 31 juillet 911. Puis, en une décennie, il parvint à contrôler l'Ifriqiya et le Maghreb Médian. Au Maghreb Extrême, les Idrisides reconnaissent sa suzeraineté et lui paient tribut jusqu'à l'occupation de Fès par les Fatimides en 921.

Al-Mahdi, qui régnera de 909 à 934, considérant, de par son ascendance, comme héritier légitime de l'Empire musulman tout entier, avait pour principal objectif d'étendre sa domination sur tout le monde islamique. Son premier objectif est d'engager la lutte contre les Abbassides et donc d'organiser une armée et une flotte. Il tourna d'abord ses regards du côté de l'Égypte, qui ne devait être, dans son esprit, qu'une étape vers la conquête du califat tout entier.
Dès l'hiver 913-934, il mit sur pied une première expédition, commandée par son fils Abû al-Qassim al-Qaïm. Celui-ci, après avoir occupé sans difficultés Alexandrie, fut délogé par les troupes abbassides envoyées de Bagdad.
Quatre années plus tard, deuxième tentative, mais de nouveau après avoir occupé Alexandrie, Abû al-Qassim dut battre en retraite et retourner en Ifriquiya.
En 921, Ubayd Allah créa une nouvelle capitale : Mahdiya, la ville du Mahdi, au sud de Sousse.
En 922, renonçant pour un temps à ses projets orientaux et avec l'aide de la tribu berbère des Meknasa, les tribus Chiites s'emparent de Sijilmasa, de Fès et d'une partie du Maroc, qui passe ainsi sous protectorat fatimide, par l'intermédiaire des Meknasa.
Le souverain fatimide hérita des Aghlabides d'une puissante flotte, qui lui permet de contrôler Malte, la Sardaigne, la Corse et les Baléares.

À la mort d'al-Mahdi, Muhammad Abû al-Qasim al-Qaïm (934-946), qui avait été désigné comme héritier, accède au pouvoir. Il régnera onze ans. Déjà commandant des troupes du vivant de son père, où il se montra un chef militaire aussi valeureux qu'impitoyable, il mena une politique expansionniste vers l'Ouest, occupa plusieurs villes dont Fès au Maroc. En 935, il fit une troisième tentative contre l'Égypte, qui aboutit à un nouvel échec.
Il occupa la Sicile, où, en 948, furent installés des Gouverneurs kalbites (d'origine syrienne) et au Maghreb, réduisit les Meknasa du Maroc, passés aux Umeyyades d'Espagne, et confia leurs territoires aux Idrissides.

Quelques années plus tard, al-Qaïm doit faire face à la révolte kharidjite d'Abû Yazid al-Nukkâri, celui qu'on appelait "l'homme à l'âne" (Sâhib al-Himâr). Soutenu par les Umeyyades d'Espagne, il arriva à soulever le Maghreb et amena la dynastie fatimide à deux doigts de sa perte.
Ce Kharidjite d'obédience nakkarite, les plus austères et les plus intransigeants des kharidjites maghrébins, va en 943, à la tête de la tribu berbère des Zenatâ, dont il fait partie, s'emparer de plusieurs villes dont Tébessa et Kairouan (943) ; il conquit rapidement l'Ifriqiya et mit le siège devant Mahdiya, la capitale fondée par Ubayd Allah, seule parcelle de l'Empire fatimide restée aux mains du calife (944). Après plusieurs tentatives, Abû Ziyad doit finalement lever le siège et il rentre à Kairouan. La dynastie fut sauvée, sous le calife al-Mansûr, par une autre tribu berbère, les Sanhadja d'Achir (région de Boghari en Algérie), commandée par leur chef Ziri ibn Manad, qui força le blocus.

En 946, à la mort d'al-Qaïm, son fils Abû al-Abbas Ismaïl al-Mansûr (946-953) lui succéda. Il mit toute son énergie à chasser le rebelle, Abû Ziyad, et à reconquérir son État : quelques jours, après avoir pris le pouvoir, il entrait à Kairouan et s'y maintenait, malgré les furieux coups de boutoir d'Abû Yazid. Enfin, une sanglante bataille livrée sous les murs de la ville décidait du sort de la rébellion (15 août 946). Puis, ce fut une terrible chasse à l'homme. Abû Yazid se réfugia dans les monts du Hodna où, au cours d'une ultime bataille, succomba à ses blessures, le 19 août 947. Cette victoire devait liquider, définitivement, le kharidjisme protestataire et insurrectionnel au Maghreb.
En cette même année 947, la sécurité entièrement assurée, al-Mansûr éleva une nouvelle capitale dans la banlieue de Kairouan, al-Mansûriya et édifia une grande Mosquée à Reggio di Calabre, en Sicile, où il dut réprimer une révolte la même année. Néanmoins, les Andalous avaient profité de la révolte d'Abû Yazid pour éliminer de tout le Maghreb Extrême l'influence des Fatimides ; la leur s'étendait même tout le long de la côte jusqu'à Alger où l'on disait la prière du vendredi au nom du calife de Cordoue.

À la mort d'al-Mansûr en mars 953, son fils nommé héritier présomptif quelques mois plus tôt, monte sur le trône et prend le titre d'al-Muïzz li-dîn Allah (953-975). Son règne durera vingt-deux ans et marque à la fois l'apogée et la fin de la domination fatimide sur le Maghreb. Avec les contingents Sanhadja de Ziri, dirigés par son général Jawhar, il s'empare de Fès et soumet le pays jusqu'à Tanger et Ceuta (958). Il établit ainsi une paix intérieure, que le Maghreb n'avait pas connu depuis longtemps.

Rassuré sur la situation du Maghreb Occidental, il put enfin réaliser les ambitions des autorités fatimides sur l'Égypte. Le maître de l'Égypte, l'Ikhshidide Kâfûr, meurt en 968, c'est le signal de l'avance. En février 969, il fit partir la majeure partie de son armée, commandée par son général Jawhar. L'armée des ghulams ikhshidides, vaincue, s'enfuit en Syrie. Bien accueilli par la population civile, Jawhar fonda, à peu de distance de Fustat-Misr, al-Qâhira (Le Caire), nouvelle capitale. L'Égypte devint alors pour deux siècles sous la domination d'un pouvoir chiite.
Le conquérant construit également, en 972, une mosquée-cathédrale al-Djâmia al-Azhar. Foyer d'enseignement ismaïlien à l'origine, cette vaste mosquée reste depuis un millénaire le centre le plus important du monde musulman pour les études de la langue arabe et les sciences religieuses.
Une fois le danger écarté, Jawhar pria l'Imam al-Muïzz de venir le rejoindre. La Dynastie abandonna alors, sans idée de retour, l'Ifriqiya, confiée au chef berbère Buluggin ibn Ziri, le fondateur de la Dynastie ziride.

Al-Muïzz entra dans sa nouvelle capitale en juin 973. Très vite, Jawhar va s'efforcer d'étendre la domination fatimide au-delà des frontières de l'Égypte. C'est ainsi qu'il occupa la Palestine, évacuée par les Qarmates, vaincus en 974 près du Caire ; puis Damas, ainsi que les deux villes saintes d'Arabie, La Mecque et Médine, en 971.
Sous le règne d'al-Muïzz, la cour du Caire connut un faste qui n'avait rien à envier à la cour de Bagdad. Ce fut, également, une période de grande floraison artistique et d'importante expansion économique.

En 975, al-Aziz succéda à son père. Il va dans un premier temps, avec l'aide de son vizir Ibn Killis, réorganiser la fiscalité et faire du Caire un centre financier de premier plan en Méditerranée. Mais la réussite militaire ne fut pas à la hauteur de ses ambitions.
Damas s"était donnée, en juin 975, à un maître turc, Alp Tegin, ancien ghûlam du Buwayhidde de Bagdad, qui constitua une principauté en Syrie centrale où les Fatimides ne conservèrent guère que le port fortifié de Tripoli. Mais en 978, l'armée fatimide, conduite par al-Aziz en personne, finit par s'emparer du Turc près de Ramlah et récupérer la Syrie. La souveraineté fatimide est alors reconnue de l'Atlantique à la mer Rouge, au Hidjaz, au Yémen et en Syrie. Mais l'objectif principal des califes fatimides sera le renversement de la dynastie abbasside et l'occupation de Bagdad.
En 996, al-Aziz mourut près du Caire, alors qu'il tentait depuis plusieurs mois de réunir une armée capable d'affronter les Byzantins, qui menaçaient la Syrie du Nord. La fin de son règne fut assombrie par une impuissance de l'État fatimide, tant dans le domaine militaire que celui des finances publiques ; impuissance qui annonçait les crises du XIe siècle. Au Maghreb, les liens avec le califat fatimide se détendirent pendant le gouvernement de Mansûr ibn Bullugin de 984 à 996.

Le fils et héritier désigné d'al-Aziz, Abû Ali al-Mansûr, connu sous son titre d'al-Hâkîm bi amr illah (996-1021), ayant moins de onze ans à son avènement, il fallut organiser une régence de fait et c'est son tuteur d'origine slave, Bardjawân, qui exerce le pouvoir. Il accédait à l'imamât alors que l'opposition, entre les militaires turcs et les tribus berbères, était à son paroxysme. En l'an 1000, le calife al-Hâkim trouva pesant le pouvoir de Bardjawân et le fit assassiner.
Enfant, il fut le témoin des conflits sanglants qui déchiraient les hauts dignitaires, civils et militaires de tout bords, qui se disputaient le pouvoir ; lui-même ne fut pas à l'abri d'un projet d'assassinat. Il en garda une méfiance maladive à l'égard de ses proches, qui fit de lui plus tard un calife atypique, qui manifesta très tôt une originalité de caractère et de comportement. Sa méfiance, devenant une idée fixe, se transforma peu à peu en folie meurtrière contre les hauts dignitaires et les étrangers. Même au point de vue religieux, il fit montre d'originalité. Voulant unifier l'Islam, sunnite et chiite, il interdit le pèlerinage à La Mecque et eut le projet, à partir de 1010, de faire du Caire un centre unique de pèlerinage pour tous ses sujets. Certains de ses adeptes virent en lui le véritable mahdi et allèrent jusqu'à le diviniser, donnant naissance à la secte druze. Il finit par accepter l'idée que la divinité s'était incarnée en lui. La proclamation de cette divinité d'al-Hâkim fut à l'origine d'une série de graves émeutes dont les principaux épisodes furent l'incendie de Fustat en 1020 et, à cette occasion, le combat des Turcs et des Berbères. Mais, parallèlement, il s'intéressa aussi aux différents domaines de la science et appela à lui les plus grands savants de son époque.
Son règne connut peu d'épisodes militaires glorieux.

Le 13 février 1021, il disparut mystérieusement au cours d'une promenade nocturne hors du Caire. Plusieurs jours plus tard, on retrouva ses vêtements lacérés et souillés de sang. Il aurait été assassiné à l'instigation de sa sœur Sitt al-Mulk. On ne trouva jamais son cadavre, ce qui accrédita la croyance en une occultation mystérieuse (ghayba) et en sa survie cachée.

Après la disparition d'al-Hâkim, l'autorité du calife allait se dégrader progressivement. Sa sœur Sitt al-Mulk joua un rôle important. Elle fit proclamer imâm, Ali al-Zâhir (1021-1036), le jeune fils d'al-Hâkim et conserva la régence jusqu'à sa mort en 1024. Puis le pouvoir passe aux mains du vizir Abû al-Qâsim, qui gouvernera l'Égypte durant près de vingt ans.
Contrairement à son père, al-Zâhir ne prit jamais en main directement les affaires de l'État. Il laissa un petit groupe d'hommes de cour, généraux et administrateurs civils, gouverner à sa place. Ce règne est marqué par des troubles du fait de l'insubordination des militaires et par un certain déclin du commerce.

En 1036, al-Zâhir mourut et fut remplacé par un enfant de sept ans, al-Mustansir (1036-1094), qui eut jusqu'en 1094 le plus long règne qu'ait connu un souverain musulman au Moyen Age.
Jusqu'en 1060, le régime fatimide, secoué au sommet par des luttes d'influence (les vizirs au Caire comme les gouverneurs à Damas se succédèrent), parut conserver grandeur et efficacité. Le Caire dominait les villes saintes d'Arabie, tenait toujours la Syrie centrale et méridionale.
En 1049, le calife exaspéré par l'indépendance des vassaux zirides en Ifriqiya et leur allégeance au califat abbasside de Bagdad, expédia vers l'Ouest, pour les punir, les tribus nomades d'Égypte, les Banû Hilal, qui dévastèrent le pays.
Puis de 1065 à 1072, pendant sept ans, l'Égypte connut de graves troubles internes ayant pour origine les dissensions entre les différents corps d'armée, issus de divers ethnies (Berbères, Turcs, Daylamites...), qui avides de pouvoir, menèrent entre eux une lutte sauvage, parsemée de retournements d'alliance, de trahison, de massacres, de pillages. Pendant cette période, al-Mustansir perdit tout pouvoir. À l'automne 1073, il fit appel au général arménien Badr al-Djamâli, gouverneur d'Acre en Palestine. Badr établit en Égypte un nouveau régime, dit vizirat de "délégation", qui réservait au chef de l'armée toute l'autorité des affaires civiles et militaires de l'État fatimide. Il gardera le pouvoir vingt ans. Il rétablit immédiatement l'ordre en éliminant radicalement tous les chefs turcs et bon nombre de hauts fonctionnaires égyptiens. L'action de Badr al-Djamâli, sur le plan intérieur, ramène la concorde en Égypte, les revenus de l'État s'accroissent très sensiblement, la réorganisation de l'administration et de l'armée donne à l'empire fatimide un sursis d'un siècle environ.
En 1076, le dernier Fatimide de Damas dut abandonner la ville et le chef turc Atsiz s'y installa. Il ne demeurait de présence fatimide en Syrie que dans certains ports (Tripoli, Saïda, Tyr et Acre). De leur côté, en 1039, les Francs dépouillèrent les Fatimides de Jérusalem, puis jusqu'en 1124, des grands ports du littoral libanais et palestinien. Les Fatimides repliés sur l'Égypte, remodelèrent leur espace géopolitique et changèrent de stratégie ; menacés à l'Ouest par les tribus berbères de Tripolitaine et à l'Est par les Francs.
Badr al-Djamâli avait échoué en Syrie, mais avait reconstruit l'État en Égypte. Il conserva le pouvoir jusqu'à sa mort en 1094, quelques mois avant la disparition d'al- Mustansir. À sa mort, sous la pression de l'armée, le poste de gouverneur est confié à son fils al-Afdal.

À la mort d'al-Mustansir, son fils al-Nizâr, héritier désigné, âgé de cinquante ans, fut écarté par le vizir al-Afdal, fils de Badr, au profit d'al-Mustâli (1094-1101) ; la rébellion qui s'en suivit fut à l'origine du mouvement nizarite ou néo-ismaïlien.

Al-Mustali, devenu calife à vingt ans, régna de 1094 à 1101, confiné dans son palais. Les croisés, suivant le littoral libanais, prirent Jérusalem et Ascalon en 1099, puis entre 1100 et 1101 : Haïfa et Césarée. Ils devaient poursuivre ensuite par Acre en 1104, Tripoli en 1109, Saïda en 1110, Tyr en 1124.

À la mort d'al-Mustâli en 1101, al-Afdal fit nommer calife un fils de ce dernier, al-Amir bi ahkâm Allah, âgé de cinq ans. En grandissant le calife supporta mal la tutelle de son vizir ; c'est pourquoi on devait l'accuser de complicité lors de son assassinat par les Nizârites en 1121, pour le choix qu'il avait fait à la mort d'al-Mustansir, en écartant al-Nizâr. Al-Afdal avait su imposer le calme durant plus d'un quart de siècle et avait réussi à accroître les revenus de l'Égypte.

En 1130, à la mort d'al-Amir, qui ne laissait aucun fils, son cousin, Abd al-Madjid, fut désigné comme Régent, puis calife sous le nom d'al-Hâfiz (1130-1149), dont le pouvoir ne dépassa pas les murs du palais. À sa mort, il fut remplacé par son fils, al-Zâfir (1149-1154), âgé de dix-sept ans, qui fut assassiné (?) en 1154 et remplacé par son fils, al-Faïz (1154-1160), un enfant de cinq ans, traumatisé par les scènes de meurtre dont il avait été le témoin et qui devait mourir en 1160, âgé d'à peine neuf ans.

Al-Adid (1160-1171), quatorzième et dernier calife fatimide d'Égypte, était le petit fils d'al-Hâfiz. Il était le dernier représentant d'une dynastie que Saladin allait supprimer en 1171, après un règne de deux siècles et demi.
En 1169, Nur al-Dîn, maître zengide de Syrie, à l'appel du calife, pour mettre de l'ordre à l'intérieur du pays, envoya une expédition en Égypte commandée par le Kurde Shîrkûh, assisté de son neveu Salah al-Dîn.
En janvier 1169, Shîrkûh vainqueur devint vizir, mais malade, il mourut quelques mois plus tard, laissant le commandement à Salah al-Dîn, plus connu en Occident sous le nom de Saladin. Celui-ci prit le titre de Vizir et rétablit l'ordre d'une main de fer, n'hésitant pas, l'été 1169, à l'occasion d'une révolte de palais, de faire donner les troupes turques et kurdes, exterminant les quatre mille soldats noirs, puis les soldats arméniens de l'armée fatimide.
Le calife al-Adid mourut en novembre 1171 et Salah al-Dîn régna en maître sur l'Égypte à la tête de la Dynastie des Ayyoubides.