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Les Umeyyades sont une Dynastie de califes arabes, fondée par Muâwiya ibn Abû Sufyân, descendant de Umayya, membre du même clan que le Prophète Muhammad. Les Banû Umayya, grands marchands caravaniers de La Mecque, longtemps hostiles au Prophète et convertis de la dernière heure, étaient parvenus à prendre le pouvoir, qu'ils vont exercer sur les pays arabes de 661 à 750.
Le premier calife umeyyade, descendant de Umayya, Muâwiya Ier ibn Abî Sufyân (661-680), naquit au début du VIIe siècle. Tout jeune, contrairement à sa famille, il adhéra à l'Islam et vécut dans l'entourage du Prophète en qualité de secrétaire. Sous Abu Bakr, il participa à la conquête de la Palestine et de la Syrie où il se distingua par ses qualités de chef militaire. À la mort de son frère aîné, Yazid, il lui succède dans la charge de gouverneur de la Syrie-Palestine, lorsque la peste d'Emmaüs eut emporté ce dernier prématurément. Confirmé dans ses fonctions par Umar et Uthman, il devait rester vingt ans à ce poste où, Gouverneur de Syrie, province qui séparait le monde musulman de l'Empire byzantin, il était à la tête d'une armée disciplinée et bien entraînée, tout auréolée de la gloire acquise de la guerre sainte et disposant d'une solide expérience. À partir de ce moment, et en cinq ans à peine, Muâwiya sut faire de cette province une base solide, pour appuyer son ambition personnelle, tout en poursuivant activement la lutte contre Byzance.
Parent du calife Uthman, après l'assassinat de celui-ci, il estima de son devoir de le venger, ce qui le mit en conflit avec Ali et aboutit à Siffin, et à l'arbitrage qui lui fut favorable.
À la mort d'Ali, en 661, Muâwiya est proclamé Calife en Syrie, par ses troupes, et le fils aîné d'Ali, al-Hasan, en qui certains voyaient leur nouveau chef, renonça à ses prérogatives. Ainsi s'ouvrit une nouvelle ère dans l'histoire musulmane : le califat umeyyade, qui devait durer un peu moins d'un siècle.
La première mesure de Muâwiya fut de transférer la capitale de Médine, trop excentrée, et de Kufa, à Damas, d'où il gouverna l'Empire pendant 20 ans. Il exercera son autorité par des décisions faisant force de loi. Maître de lui, courtois et prévenant, généreux, sachant s'entourer de compétences, ménager l'aristocratie arabe autant que les autorités spirituelles, il demeure un modèle politique et fut providentiel pour l'Empire. Muâwiya put assurer à l'Umma vingt ans de tranquillité prospère et de nouvelles conquêtes. Il s'appuiera sur une armée immédiatement mobilisable, entraînée, expérimentée et aguerrie. Elle sera sollicitée pendant des décennies pour les guerres contre Byzance, l'Afrique du Nord et l'Espagne. À côté de cette armée de métier, il dispose d'une force maritime importante, qu'il avait créée lorsqu'il était gouverneur. Elle sera essentielle dans les conflits contre Constantinople et les expéditions au Maghreb et contre les îles de la Méditerranée.
Muâwiya sut, le premier, créer un État arabe où ni l'économie, ni les finances ne furent négligées, non plus que les défenses de l'Empire et les conquêtes. Il eut l'intelligence de conserver à son service les fonctionnaires chrétiens compétents de l'administration et du fisc byzantin. Dans une Syrie-Palestine apaisée, ils seront, jusqu'au VIIIe siècle, les agents du gouvernement musulman. La Syrie put ainsi jouir d'une bonne administration, calquée sur le système byzantin déjà éprouvé.
Pour maintenir l'ordre en Iraq, où les Kharidjites ne reconnaissaient pas le califat umeyyade et où les chiites soutenaient, comme imam, le fils aîné d'Ali, al-Hasan, et considéraient Muâwiya comme usurpateur, il nomme comme gouverneur, un homme de sagesse et d'autorité, al-Mughira ibn Chûba, qui parvient à faire entendre tant bien que mal la voix du gouvernement de Damas. Il donne, ensuite, à partir de 665, le gouvernement de Basra, avec autorité sur tout l'Iran, à un ancien partisan d'Ali, Ziyad ibn Abihi, un des plus grands politiques des débuts de l'Islam. Il deviendra le gouverneur de tout l'Orient musulman, à la mort d'al-Mughira.
L'autre province d'importance, l'Égypte, est gouvernée par Amr ibn al-Aç, qui eut à Siffin un rôle déterminant pour l'histoire de l'Islam. Mais, Amr meurt opportunément en 664 et Muâwiya nomme à sa place son propre frère, Utba ibn Abû Sufyân, et, à la mort de ce dernier en 667, il nomme Maslama ibn Mukhallad, qui restera à la tête de l'Égypte jusqu'à la mort du calife, incluant dans ses attributions le gouvernement du Maghreb en cours de conquête. Chacune de ces provinces étant une plate-forme pour de nouvelles avancées vers l'Ouest et l'Est.
Sur les fronts de conquête, les opérations reprennent. Le Khûrasan voit arriver deux nouvelles armées arabes vers 664. L'une descend vers l'Indus, l'autre se dirige en Asie centrale sous suzeraineté chinoise. Pour la première fois, les Arabes rencontrent les peuples turcs.
Mais la grande affaire pour Muâwiya est Constantinople, la capitale byzantine, qu'il souhaitait prendre depuis trente ans. Les Arabes avaient pris ses provinces d'Orient à l'empereur Héraclius Ier, mais Constantinople résiste. Depuis vingt ans, le fils d'Héraclius, Constant II, subit les assauts du gouverneur Muâwiya sur mer et en Asie Mineure. Dès 663, le jihad contre Constantinople reprend et, pendant quinze ans, chaque année, les généraux arabes mènent les junds de Syrie ravager l'Asie Mineure. En 668, pour la première fois, les Arabes apparaissent sur la rive orientale du Bosphore. Mais le froid, l'absence d'approvisionnement, la peste et la dysenterie, vident le camp arabe. Des renforts sont envoyés sous le commandement de Yazid, fils du calife. Le siège commence, mais les murailles de la ville sont solides ; faute de machines de guerre, les Arabes ne peuvent prendre la ville et lèvent le siège en été 669. En 674, débute un nouveau siège de Constantinople, par mer et par terre, pendant que la flotte occupe Smyrne (Izmir) et l'île de Rhodes. Mais, en 678, lors de l'assaut annuel, les armées musulmanes subissent un sérieux revers sous les murs de la ville. Elles sont repoussées et décimées par la première utilisation connue de l'arme secrète des Byzantins, "le feu grégeois" (mélange incendiaire et explosif, propulsé par des tubes, sur les hommes et les navires), obligeant les assiégeants à se retirer.
Le lointain Occident n'est pas oublié pour autant ; en 665, le calife envoie contre l'Afrique byzantine Muâwiya ibn Hudayj. Constantin II riposte, une flotte byzantine débarque dans le Sud tunisien. Ibn Hudayj bat ce renfort sur terre.
En 666, une nouvelle figure entre en scène. C'est le neveu d'Amr ibn al-Aç, le conquérant d'Égypte, Uqba ibn Nafi. Il s'avance en Libye avec d'autres généraux et s'y installe pour l'hiver avec ses troupes. Désormais, Muâwiya presse les Byzantins sur leur front occidental, comme sur leur front oriental. En 667, Uqba ibn Nafi conquiert les oasis du Sud libyen. En 668, Constantin II est assassiné en Sicile. Son fils Constantin IV lui succède et les troupes byzantines d'Afrique sont rappelées dans l'île.
Profitant de cet affaiblissement, une flotte musulmane se rend en Sicile. Elle attaque Syracuse pour empêcher les Byzantins de secourir l'Afrique, où Uqba ibn Nafi, revenant des oasis du Sud libyen, conquiert le pays de Tripoli, le sud de la Tunisie (Ifriqiya), avec la ville de Gafsa, avant de revenir vers ses bases. Il y retournera en 670 et fonde le camp de Kairouan ; mais en 675, il est remplacé par Abu al-Muhajir.
Le vieux Muâwiya renonce à la lutte de toute sa vie. Il n'a pas pu briser le centre de l'Empire romain d'Orient et signe une paix de trente ans avec son adversaire de toujours. Il réussit, néanmoins, en cette année de défaite, à faire reconnaître comme héritier son fils Yazid, âgé de trente-six ans, pour éviter tout conflit après sa mort. Ainsi, il y eut substitution du principe héréditaire au système électif. Personne ne s'oppose en Syrie, à cette succession héréditaire, lorsque meurt le vieux souverain arabe, en avril 680, à l'âge de quatre-vingts ans. Et depuis, le principe de la succession se perpétua dans la Dynastie umeyyade, ainsi que dans les Dynasties qui régnèrent par la suite, même si ceci était contraire à l'esprit de l'Islam.
Le nouveau calife est légitime, depuis que les notables arabes ont accepté en 678 la transmission de père en fils de la dignité impériale. Mais sa désignation soulève bien des réticences, parfois de l'hostilité, surtout parmi les Chiites. Le chef de la famille alide, al-Husayn, le fils cadet d'Ali, réfugié à La Mecque depuis la mort de Muâwiya, qui ne manque pas de droits (il est fils du calife Ali, et petit-fils du Prophète), refuse son allégeance.
Pendant ce temps à Kûfa, se révolte un partisan d'Ali, Muslim ibn Aqil, et al-Husayn est appelé à prendre la direction de ce mouvement d'insurgés. Al-Husayn, répond à leur appel, il quitte Médine pour rejoindre ses partisans à Kûfa ; mais, sur la plaine de Kerbala en Iraq, il est intercepté, avec sa petite escorte, par les troupes de Yazid et furent tous massacrés. C'est "la deuxième fitna".
Aujourd'hui encore la sensibilité chiite se rappelle cet événement qui marque une fracture définitive entre sunnisme et chiisme. Cet événement marque, plus que tout autre, le véritable début du schisme chiite. Il est encore, de nos jours, commémoré par une grande journée de deuil, de jeûne et d'affliction, "l'ashura" (10 muharram 61/10 octobre 680) par les Chiites du monde entier, notamment en Iran. Et Kerbala devint un lieu de pèlerinage célèbre.
Mais cette révolte n'est pas la seule en Iraq. La même année, les Kharidjites se soulèvent à Basra et s'épandent au Khûzistan, dans les plaines à l'Est du Tigre, jusqu'à ce que les troupes umeyyades les réduisent. Ils sont à l'origine d'un kharidjisme assez extrême, les Sufrites.
À Médine, les "Compagnons", à la mort de Muâwiya, refusèrent de reconnaître Yazid comme calife. La tension perdure et en 682, la ville se révolte et expulse le gouverneur umeyyade, Marwan ibn al-Hakam, l'ancien bras droit du calife Uthman. L'opposition se cristallise autour d'Abd Allah ibn Zubayr, maître du Hidjaz, qui avait des liens de parenté avec le Prophète. Enfin, en Arabie, des kharidjites, se révoltent dans le Yamama et se placent également sous l'autorité d'Abd Allah ibn Zubayr.
En en 683, une armée syrienne en place dans le Hidjaz, aux ordres d'un vieux général fidèle du calife, Muslim ibn Uqba, bat les révoltés de Médine, pille la ville et se dirige sur La Mecque, où s'était réfugié Abd Allah ibn Zubayr. La ville est assiégée, bombardée de pierres et durant les combats, la Kaaba est endommagée par le feu, quand arrive, en novembre, la nouvelle de la mort de Yazid Ier à Hawrân (Hauran). Les troupes syriennes, qui avaient perdu Muslim pendant la bataille, décident de regagner la Syrie.
Cette année 683 est également l'année d'un "voyage" conquérant d'Uqba ibn Nafi dans le Maghreb. Cette expédition devenue légendaire le mena jusqu'à l'Atlantique, mais il mourut au retour sous les coups d'un chef berbère, Kusayla, aidé de soldats byzantins.
À Damas, le successeur de Yazid Ier est son jeune fils, encore adolescent, Muâwiya II (683-684). Mais au Hidjaz, Abd Allah ibn Zubayr se proclame également calife. Enfin, l'Iraq est en butte à la révolte des Chiites. Ils répandent leur agitation vers le Nord avant d'être réduits par les contingents umeyyades en haute Mésopotamie. Tandis que le sud de l'Iraq est agité par les kharidjites. Ils se soulèvent à Basra, conduits par Nafi ibn al-Azraq, inspirateur des Azraqites, la branche la plus radicale du mouvement.
Le jeune calife meurt très vite, lors d'une épidémie, début 684, ne laissant pas d'héritier. Dès lors, Marwan ibn al-Hakam devient prétendant de la dynastie. Cousin germain et collaborateur du calife Uthman, il vient d'être chassé de Médine, où il était gouverneur de province, et se retrouve en Syrie où il convainc de nombreux chefs arabes de le désigner successeur de Muâwiya II.
Désormais, la lutte en Syrie se déroule entre le calife de La Mecque, Abd Allah ibn Zubayr, soutenu par les Banû Qays et le calife umeyyade de Damas, Marwan Ier, assisté par les Banû Kalb. La rencontre a lieu au nord de Damas, à Marj Râhit, où Marwan défait les partisans de l'anti-calife ibn Zubayr, en juillet 684. Le calife umeyyade est confirmé par les armes. Son fils Abd al-Aziz reçoit l'Égypte, où il bat le gouverneur à peine nommé par Abd Allah ibn Zubayr, et où il s'installe pour un règne de vingt ans. Par ailleurs, Marwan Ier, fait reconnaître comme héritier son autre fils, Abd al-Malik, puis se rend en Égypte. C'est au retour de ce voyage, en février 685, qu'il meurt en Syrie. Il n'avait pas pu se consacrer à la réorganisation de l'État. Cette lourde tâche ainsi que celle de la réunification de l'Empire fut laissée à son fils, Abd al-Malik (685-705), auquel succédera al-Walid (705-715), "le bâtisseur".
À son avènement, la situation d'Abd al-Malik (685-705), qui commence le règne fondateur de la nouvelle branche des Umeyyades, les Marwanides, issue de Marwan Ier, qui va régner jusqu'à la fin de la dynastie (celle qui était arrivée au pouvoir avec Muâwiya Ier se dénommait sufyânide, du nom d'Abû Sufyân, père de Muâwiya), est difficile. Son père n'a pu affirmer son pouvoir. Il laisse, après moins d'un an de règne, un empire toujours divisé.
L'antagonisme entre Qaysites et Kalbites s'aggrave. Abd Allah ibn al-Zubayr règne sur l'Arabie et son frère Musaab gouverne le sud de l'Iraq, depuis Basra. Ils sont confrontés aux kharidjites qui interceptent les caravanes, perturbent le commerce, prélèvent l'impôt au Yémen, au Hadramaout, à Bahraïn.
Au Khûzistan, dans le Fars et le Kirman, les "azraqites", les plus radicaux des kharidjites, continuent de sévir, même si leur chef, Nafi ibn al-Azraq, vient d'être battu et tué par le gouverneur du Khûrasan, al-Muhallab ibn Abi Sufra ; les rebelles se concentrent dans la province du Fars, pour établir un califat dissident dirigé par leur nouveau guide, Qatari ibn Fujâa. Ce dernier sera tué à son tour en 699.
D'autre part, cinq ans de troubles ont marqué la Syrie-Palestine, que le calife apaise comme il peut. Son frère, Abd al-Aziz, tient l'Égypte et envoie des renforts à Zuhayr ibn Qaïs, en Cyrénaïque, le faisant gouverneur d'un Maghreb à reconquérir.
Le reste de l'Iraq est aux mains des Chiites d'al-Mukhtar ibn Abi Ubayd, révolté à Kûfa au nom de Muhammad ibn al-Hanafiya, fils d'une autre branche du calife Ali, qui vit à Médine, et à son corps défendant. Les mutins vont se réfugier en Haute Mésopotamie et le calife échoue à les réduire. C'est Musâab ibn Zubayr, le frère d'Abd Allah ibn Zubayr, parti de Basra, qui bat les rebelles et tue leur chef à Kûfa, d'où il gouvernera désormais l'Iraq (687).
La condition du calife est donc chancelante en l'année 688 où Zubayr ibn Qaïs, après avoir repris Kairouan et tué le berbère Kusayla, est tué à son tour en défendant la Cyrénaïque, enlevée par une flotte de Byzantins de Sicile, qui installent une faible autorité grecque sur l'Ifriqiya.
Pour ne pas avoir à lutter sur deux fronts, en 689, le traité de paix est renouvelé avec Byzance, et la Syrie-Palestine est apaisée. Pour Abd al-Malik le temps de la défensive est terminé.
N'ayant plus rien à craindre des Byzantins, Abd al-Malik peut s'engager alors dans la lutte contre Abd Allah Ibn Zubayr, qui se considérait comme calife. En 691, après avoir écrasé les révoltes d'Iraq et battu Musaab ibn Zubayr, le calife envoie les troupes syriennes commandées par un énergique général, al-Hajjâj ibn Yusuf, mettre fin à la sécession d'Abd Allah ibn Zubayr dans le Hidjaz. La Mecque est écrasée sous les catapultes et l'anti-calife est tué en 692. Ainsi disparut l'adversaire de trois califes. Après ce succès, al-Hajjâj, en deux ans, mit fin à l'activité des Kharidjites en Arabie.
Sa tâche accomplie, al-Hajjâj se rend à Kûfa. Le gouverneur de la province, Bichr ibn Marwan, frère du calife, vient de mourir. L'inflexible général le remplace et affirme une autorité implacable que les Iraqiens vont subir pendant vingt ans. Il demeure, en effet, jusqu'à sa mort, gouverneur depuis l'Iraq de l'immense province d'Orient qui s'étend jusqu'aux frontières de l'Inde, de la Chine et du pays des Turcs. Au même moment, un autre général umeyyade, Sufyân al-Kalbi, avec al-Muhallab ibn Abi Sufra, finit par éliminer les kharidjites azraquites installés dans les citadelles de l'Iran occidental. Une répression sanglante s'en suivit contraignant les Kharidjites à fuir vers l'Iran ou le Maghreb, où leurs descendants subsistent encore de nos jours, au M'zab en Algérie, sous le nom d'Ibadites.
En 693, le calife nomme un nouveau gouverneur au Maghreb, Hasan ibn Numan. Avec quarante mille hommes, ce dernier, pénètre en Ifriqiya prendre une à une les places byzantines du pays dans l'année qui suit. Il doit, également, se tourner contre les tribus berbères menées par une femme dénommée "al-Kahina" (la prêtresse), qu'il finit par vaincre et qui devait mourir au combat. Puis les Arabes reviennent vite sur terre et sur mer, chasser pour toujours les Byzantins de l'Afrique. Le Maghreb est ouvert aux Musulmans qui s'y enfoncent aux premières années du VIIIe siècle, réduisant toutes les résistances byzantines.
De profondes réformes vont, sous Abd al-Malik, marquer un tournant dans l'Histoire musulmane.
Abd al-Malik domine un État impérial de plus en plus centralisé, de plus en plus étendu, et aux besoins croissants. Il doit alourdir les impôts de la masse des non-arabes et non-musulmans. Il supprime l'exonération de capitation (la djizya) dont jouissaient les néo-musulmans (mawâlis) et les personnels du clergé copte, jacobite et nestorien en Égypte, Syrie-Palestine et Mésopotamie, et l'exemption de l'impôt foncier de leurs propriétés. Heureusement, à la fin de son règne, après la ponction fiscale, le contrôle de nombreuses mines dans les territoires conquis, de nouvelles ressources en or se présentent. En effet, l'Empire musulman dispose avec sa nouvelle conquête du Maghreb, d'une ouverture sur son principal pourvoyeur d'or pendant des siècles, l'Afrique noire occidentale. Quant aux mines d'argent de l'Asie, al-Hajjâj en dispose dans son domaine, allant du bas Iraq au Caucase et à l'Iran.
Lorsque se confirme son autorité sur un Empire réuni, Abd al-Malik crée une nouvelle monnaie. Le développement des relations commerciales et économiques entre les différentes parties du califat imposait l'introduction d'un nouveau système monétaire. Une réforme monétaire fut alors entreprise (696-997), pour remplacer le numéraire sassanide et byzantin. Les premiers exemplaires des pièces umeyyades, le Dinar d'or et le dirham d'argent, font leur apparition à Basra en 696, et, en 697, en Égypte. Les pièces musulmanes portaient le nom du calife, le lieu de la frappe et la profession de foi :
"lâ ilah ila Allah wa Muhammad rasûl Allah"
Pourvu de ces ressources, administratives, minières et techniques, l'Islam se dote ainsi d'une monnaie unique et stable qui étaye les échanges pour des siècles et se répand partout dans le monde jusqu'au XIIIe siècle.
En se dotant de nouvelles espèces frappées de caractères arabes, le calife confirme une autre mue de l'Empire, l'obligation de la langue du Prophète pour les actes, documents et supports dépendant de l'État.
Depuis les débuts de la conquête, l'administration fonctionnait avec les idiomes des maîtres précédents, le grec en Syrie-Palestine et en Égypte, le pahlavi en Mésopotamie et en Iran. À partir du règne d'Abd al-Malik, l'arabe allait devenir une langue impériale.
Le calife a très bien senti qu'à côté de la monnaie, l'unification impériale passait également par ce symbole et cet outil générateur de civilisation qu'était une langue écrite homogène. Il fallait donc faire en sorte que la langue du texte sacré fût la même que la langue officielle. Le papier alors n'était pas d'usage. Il fallut attendre un demi-siècle encore avant de rencontrer les Chinois, à la bataille de Talas (751), qui transmettront le secret de sa fabrication. En attendant, on écrivait sur le papyrus d'Égypte et le parchemin.
Ainsi par ces deux réformes de la monnaie et de la langue, le calife Abd al-Malik établit la civilisation impériale de l'Islam sur des bases solides et homogènes pour un demi-millénaire.
On doit aussi à Abd al-Malik la construction, en 691 à Jérusalem, au milieu de l'Esplanade du Temple (haram ash-Sharif), du premier grand monument umeyyade : la Coupole du Rocher (Qubbat as-Sakhrâ). La masse rocheuse que recouvre la coupole se rattache à deux souvenirs religieux : le sacrifice d'Abraham et l'ascension nocturne (mirâdj) du Prophète Muhammad.
Le calife gouverne la Syrie-Palestine apaisée et règne sur tout l'Empire. Son frère, Abd al-Aziz, administre la province d'Égypte, avec autorité sur le Maghreb, et une flotte en Méditerranée. Il contrôle l'achèvement de la conquête de l'Ifriqiya entre 693 et 700.
À l'Est, al-Hajjâj ibn Yûsuf, régente l'Iraq et toute la partie orientale de l'Empire après avoir maté une sédition de kharidjites ibadites en 701 et fondé une capitale sur le Tigre, al-Wasit, entre Kûfa et Basra, en 705, l'année où mouraient le calife Abd al-Malik et son frère Abd al-Aziz, et où montait sur le trône le nouveau souverain, al-Walid Ier, sixième calife de la dynastie umeyyade.
Sous le règne de son fils, Walid Ier (705-715), qui inaugure une série de quatre frères à la succession du califat, la période umeyyade est à l'apogée de l'Islam conquérant. L'Empire atteint son maximum d'extension et le Trésor a d'abondantes réserves. Le nouveau calife peut alors donner libre cours à sa passion de construire. Il fit construire la Grande Mosquée de Damas, un des plus beaux monuments de l'art musulman, ainsi que la Mosquée al-Aqsa de Jérusalem, face au Dôme du Rocher construit par Abd al-Malik. Il édifia des mosquées en province, remania celle de Médine (707-709)... Entre autres réalisations.
À l'intérieur, les provinces demeurent stables, mais la forte pression fiscale, inaugurée par Abd al-Malik, est la cause de bien des mécontentements, de même que la persistance d'inégalités et d'injustices criantes.
Cette énergie et cette richesse permettent au jeune calife, pendant les dix années de son règne, de continuer l'effort guerrier contre Byzance et une relance de la conquête vers l'Est et vers l'Ouest, poussant jusqu'aux principautés turques de l'Asie centrale et au royaume wisigoth d'Espagne, reculant ainsi les frontières d'au moins mille kilomètres, d'un coté comme de l'autre.
Walid Ier décide de jeter ses armées aux extrémités de l'Empire :
Les conquêtes piétinent depuis les explorations lancées par al-Hajjâj vers l'Afghanistan. Mais, de nouveau, il relance les opérations. Il nomme gouverneur du Khûrasan Qutayba ibn Muslim, à la place de Yazid ibn al-Muhallab, qui en garde du ressentiment. Sa mission est de conquérir la ville de Merv (706), oasis productrice de coton et de soie, à l'orée de l'Asie Centrale, qui devint la nouvelle capitale du Khûrasan ; puis la Transoxiane avec Bukhara et Samarcande. Qutayba s'attache surtout à contrôler le bassin de l'Amou Darya (Oxus). Il pousse en même temps vers l'Est, dans la région de Balkh (ancienne Bactres), à la frontière nord de l'Afghanistan actuel. Ainsi le Khûrasan se trouve pourvu de ses quatre villes capitales : Nichapour, Hérat, Merv et Balkh.
Puis en 712, il remonte l'Amou Darya et parvient au sud de la mer d'Aral, dans le riche khwarezm où il oblige le souverain de la dynastie locale à lui payer tribut. En 714, il pénètre dans la haute vallée du Syr Darya, jusque dans la région métallifère du Ferghana, par où les caravanes passent en Chine. Là également le prince local paie tribut.
Ainsi au cours du premier quart du VIIIe siècle, un immense territoire, englobant le Khûrasan et la Transoxiane, est intégré dans l'Empire umeyyade ; seul le Khwârezm, au sud de la mer d'Aral sur le bas Amou Darya, préserve son autonomie.
Dans le même temps, en 710, un autre général d'al-Hajjâj ibn Yusuf, Muhammad ibn al-Qasim, part depuis l'Iraq pour une campagne de trois ans. Il longe la côte iranienne jusqu'aux bouches de l'Indus, remonte le fleuve, atteint la ville hindoue de Multan et en fait le point le plus oriental de l'Islam.
À l'autre bout de l'Empire, le poste avancé de Kairouan, fondé quarante ans plus tôt sous le calife Uthman, regardait vers l'Ouest et la Méditerranée. De là, Mûsa ibn Nûsayr va faire entrer dans l'Empire deux nouvelles provinces, le Maghreb et l'Espagne.
Mûsa ibn Nûsayr, confirmé dans son poste de gouverneur de l'Égypte par al-Walid, commence une série de razzias dans le Maghreb et la Sicile, assisté de ses fils, Abd al-Aziz et Abd Allah. Il prend définitivement Tanger en 706, envoie une expédition en Sardaigne en 707, et revient en 708 à Kairouan, chargé d'un butin considérable, accompagné d'innombrables prisonniers. Dès lors, le Maghreb est solidement conquis et parcouru par les armées musulmanes, qui n'y trouvent guère de résistance.
En 710, Mûsa ibn Nusayr envoie un converti berbère, Abû Zuraa Tarîf, traverser le mince bras de mer au nord de Tanger. Tarîf débarque au lieu qui porte aujourd'hui son nom (Tarifa), à l'extrême sud de l'Espagne), puis va piller Algésiras (Djazira al-Khadrâ), avant de rentrer chargé de butin. La même année, une expédition razzie la Sardaigne.
Au printemps de 711, un autre officier berbère musulman, Târiq ibn Ziyad, franchit le même bras de mer pour débarquer à Gibraltar ("Djabel Târik" ou montagne de Târik). Il a sept mille hommes, en majorité Berbères, et reçoit un renfort d'Arabes depuis Kairouan. Dans le pays règne depuis 476 une monarchie d'envahisseurs germaniques wisigoths, alors en crise de succession. Târiq profite du fait et vainc, en juillet 711, le duc wisigoth de Bétique (Andalousie), nommé Roderic, venu à sa rencontre, sur un fleuve à l'extrême Sud de l'Espagne. La monarchie wisigothe ne survit pas. l'État de Tolède, sa capitale, marquée par des conflits internes, se disloque pour toujours et il ne peut rien opposer à l'avance de Târiq vers Cordoue.
En 712, pour ne pas laisser le bénéfice des succès au seul Târiq, Mûsa rejoint son officier avec des troupes arabes plus importantes. La péninsule fut dès lors conquise en trois ans, toutes les villes prises jusqu'à la Navarre à mille kilomètres de Gibraltar, un butin considérable amassé, une province européenne annexée à l'Empire musulman.
Mais les relations entre Mûsa et Tariq ne sont pas bonnes. Walid Ier l'apprend et convoque à Damas les deux hommes. Mûsa laisse son fils Abd al-Aziz en Espagne, passe le détroit en 714, chargé de butin, encombré de prisonniers et rentre lentement à Kairouan, qu'il confie à son autre fils Abd Allah. Il gagne tout aussi lentement Damas où le calife, déjà malade, le reçoit avec Tariq ibn Zyad. Il retire alors ses titres et richesses à Mûsa et meurt quelques temps après. Son frère Sulayman lui succède, confirme la disgrâce et abandonne le vainqueur de l'Espagne à une fin obscure (716-717). L'autre conquérant de cette péninsule, Tariq, s'efface sans plus de bruit, son oeuvre accomplie. Il lui avait suffi de franchir, un jour de printemps, le détroit qui sépare l'Europe de l'Afrique, pour entrer dans l'Histoire et ...la Géographie.
À la fin du règne de Walid Ier, l'Empire atteint à peu près ses limites. Ce jeune calife avait continué l'oeuvre de son père dans l'administration, parachevant l'arabisation, dans une capitale, Damas, de plus en plus musulmane et arabe.
Le successeur de Walid Ier, est son frère Sulayman, reconnu héritier du vivant de leur père, et qui va hériter d'un Empire agrandi de mille cinq cents kilomètres à chaque extrémité, avec une péninsule européenne annexée sans obstacle. Il quitte alors ar-Ramlah, ville qu'il avait fondée en Palestine, quand il y commandait les troupes umeyyades engagées dans l'effort militaire contre Byzance.
Mais le nouveau calife de trente-cinq ans, passe pour un amateur de plaisirs, et il doit tenir un ensemble où se font jour des oppositions religieuses et politiques de mieux en mieux organisées autour de la famille du Prophète. De plus, au moment où s'approche l'année 719, terme du Ier siècle de l'Islam, les milieux religieux confortent leur influence. Il doit donc en tenir compte.
À Kairouan, le fils de Mûsa ibn Nûsayr, Abd Allah, est remplacé par un proche du parti dévot, Muhammad ibn Yazid. En Espagne, l'autre fils de Mûsa, Abd al-Aziz, est assassiné.
Dès son arrivée au pouvoir, Sulayman se souvient de l'hostilité que lui avait manifestée al-Hajjâj. Celui-ci étant mort depuis 714, ce furent ses partisans qui allaient expier pour lui. En Iraq, commence donc immédiatement la chasse aux partisans du défunt. Le gouverneur Yazid ibn Abû Muslim, à peine nommé par le défunt calife, est remplacé par Yazid ibn al-Muhallab, autrefois à la tête du Khûrasan. Dans cette province, Qutayba ibn Muslim, le conquérant de la Transoxiane, se révolte. Le calife le fait assassiner, puis emprisonne et exécute un autre général, Muhammad ibn al-Qasim, gendre d'al-Hajjaj et conquérant du Sind.
À Basra, un soulèvement kharidjite est vite réprimé.
Puis, le calife Sulayman, après l'élimination des fidèles d'al-hajjâj, s'attache à l'entreprise de sa vie, la conquête de Constantinople. À l'automne 717, la flotte et l'armée de Maslama ibn Abd al-Malik, le frère du calife, sont sous les murs de la capitale byzantine, et le siège commence. En Syrie du Nord, Sulayman dirige lui-même les armées de l'Asie Mineure. C'est là qu'il succombe, à Dâbiq, au nord d'Alep. Les religieux qui l'entourent lui font désigner, sur son lit de mort, son cousin germain comme héritier, le seul calife vraiment dévot de la dynastie umeyyade, Umar II.
Le nouveau calife applique les préceptes de l'Islam, introduisant l'égalité fiscale pour les convertis. Animé par une profonde piété et un esprit de justice, il avait conscience de sa responsabilité devant Dieu, dans la conduite des affaires de l'État. Devenu calife en 717, Umar II s'attelle aux questions politiques. Il veut être conciliateur, les Chiites et les Kharidjites ne lui sont pas ennemis. Les convertis non-arabes (les muwalis) ne sont pas des croyants inférieurs et ne paient plus la capitation des non-musulmans. Cet homme de principes religieux applique enfin la règle de l'égalité entre fidèles de l'Islam. Pour la première fois, l'Islam est prosélyte dans les terres conquises, les conversions se multiplient, mais, du même coup, les recettes de l'impôt diminuent.
La plupart des titulaires de postes importants, dans l'administration, furent changés au profit d'hommes capables et honnêtes.
À son avènement, à l'automne 717, débute, une campagne contre Constantinople, menée par Maslama ibn Abd al-Malik. Dès son arrivée sous Constantinople, le feu grégeois incendie ses navires et les formidables murailles arrêtent ses assauts. Puis vient l'hiver glacial, dont meurent bien des soldats, et l'été 718 avec une épidémie de peste. Le 15 août 718, Maslama lève le siège et s'en retourne avec ce qui lui reste de navires et de troupes.
Pendant ce temps, à l'autre extrémité de l'Europe, les Musulmans pressent les dernières résistances de l'Espagne, jusque dans les montagnes et sur les rives de l'Atlantique.
À l'Ouest de la Péninsule, sur la Méditerranée, le nouveau gouverneur d'al-Andalus, al-Samh al-Malik, continue la conquête, annexant, en 719, Barcelone, Gérone, puis la ville aujourd'hui française de Narbonne, qui restera base opérationnelle musulmane durant quarante ans.
Certes, sa politique de conciliation avait évité bien des troubles, notamment de la part des Kharidjites, mais des forces secrètes préparaient déjà dans l'ombre la chute de la dynastie umeyyade, lorsqu'il mourut empoisonné en février 720. Le IIe siècle de l'Islam commence. L'Empire musulman atteint ses limites, mais la volonté de conquête subsiste. Le règne bref qui s'achève est celui d'un homme pieux, attentif à l'équité, selon la tradition musulmane, ce qui le distingue des autres souverains umeyyades.
Après la mort d'Umar II, au tout début du IIe siècle de l'Islam, le trône échoit pour la troisième fois à un fils d'Abd al-Malik, Yazid II, frère des califes Walid Ier et Sulayman.
À son avènement, se réanime le clan de l'ancien gouverneur d'Iraq, al-Hajjâj ibn Yusuf, décédé six ans plus tôt. Yazid II lui est apparenté. Il remplace le gouverneur d'Égypte, Ayyub ibn Churabhil par Bichr ibn Safwan et nomme au Maghreb un officier d'al-Hajjâj, Yazid ibn Abû Muslim, qui se fait massacrer par sa garde berbère. Il est remplacé par Bichr ibn Safwan ; son frère Handhala ibn Safwan lui succède à Fustat.
Pendant ce temps, le maître de l'Iraq, Yazid ibn al-Muhallab, adversaire du clan d'al-Hajjâj, qui peu de temps auparavant s'était évadé de prison où l'avait incarcéré Umar, se révolte contre le nouveau souverain. Il est vaincu et tué par Maslama ibn Abd al-Malik, demi-frère du calife (août 720). L'Iraq reçoit dès lors un nouveau gouverneur, Umar ibn Hubayra. Le nouveau responsable de l'Iraq réprime, dès son arrivée, la fronde latente des Kharidjites de Bastam autour de Mossoul.
Par ailleurs, on tente de poursuivre la conquête. L'objectif est la Gaule où le duc d'Aquitaine repousse, en 721, du côté de Toulouse, le gouverneur d'Espagne, al-Samh al-Malik. Cet échec n'empêche pas, les années qui suivent, les raids dans le Massif central et la Provence.
De même, la Sicile byzantine et la Sardaigne sont assaillies, au début du règne de Yazid II, par des navires venus d'Ifriqiya.
Au début de 724, le calife Yazid disparaît. Comme les deux précédents, ce califat aura été court. Les querelles internes s'y multiplient, mais la volonté de conquête demeure.
En 724, Hicham, quatrième fils d'Abd al-Malik, prend la succession de Yazid II à Damas. Il a trente-trois ans. Son califat durera près de vingt ans, au cours desquels l'Empire connaîtra :
La dernière période de prospérité et de splendeur du califat umeyyade
.
Pendant son mandat, Hicham, établit un nouveau cadastre, recense les populations et les richesses du pays, puis augmente l'impôt foncier.
Par ailleurs, le général du jihad contre Byzance depuis vingt ans, Maslama ibn Abd al-Malik, frère aîné du calife, retourne combattre l'empereur Léon III et le Khan des Khazars. Chaque année, entre 726 et 740, les expéditions d'été se renouvellent en Asie Mineure ("les sawâïf). Maslama s'obstine dans ses offensives pendant six années encore, parcourant le pays et pénétrant le Caucase. En 730, il conquit et détruisit Derbent, la "Porte des portes" (Bâb al-abwâb), aujourd'hui en république du Daghestan, sur la rive occidentale de la mer Caspienne, qu'il reconstruisit et fortifia plus tard. De là partent des raids vers les plaines khazares, jusqu'à l'embouchure de la Volga.
Mais, en 732, le général, qui mène une campagne depuis trente ans, obstiné à conquérir encore des terres pour l'Islam, est las de tant de batailles. Il se retire en Syrie du Nord où il mourut quelques années plus tard. Frère de quatre califes et connut cinq empereurs de Constantinople, dont le dernier, Léon III, à peine sur le trône, l'a vaincu sous les murs de sa capitale, sauvant ainsi l'Europe des Arabes plus sûrement que Charles Martel, battant à Poitiers, la même année, une razzia modeste dans la France mérovingienne.
En 740, à la fin du règne de Hicham, lorsque l'aventure conquérante de l'Islam s'essouffle, les troupes califales de guerre sainte sont sévèrement battues, dans l'actuelle Turquie, à moins de cent cinquante kilomètres au sud-ouest d'Ankara. Les Arabes ne reviendront plus en force comme ils le faisaient depuis un siècle. Constantinople a résisté et la conquête arabe a perdu son ardeur et va se terminer.
C'est à l'ouest de l'empire, en Andalus et au Maghreb, que se déroulent les événements les plus marquants.
Sous le règne de Hicham, les Musulmans vont franchir les Pyrénées. Les razzias de pillage continuent. Au début du règne, on signale un raid arabe contre les villes de Sens et Autun, puis la Gascogne et Nîmes sont prises et tout le Languedoc, alors appelé Septimanie, entre dans l'Empire comme une marche frontière pour de nouveaux assauts. La Gaule mérovingienne décadente et désunie, livrée à des seigneurs et à des prélats indépendants, aurait pu sombrer comme l'Empire sassanide.
En 730, l'émir Abd al-Rahman al-Rafiqui, nouveau gouverneur de l'Andalus va continuer les razzias traditionnelles. Nulle entreprise de conquête véritable ne s'amorce, les Musulmans avancent tant qu'on ne les arrête pas et se préoccupent surtout de butin.
En 732, Abd al-Rahman part de Pampelune, traverse la Gascogne, pille Bordeaux et brûle l'abbaye de Saint-Hilaire de Tours. Le duc d'Aquitaine, Eudes, promet l'allégeance à Charles Martel, le nouveau maître de la Gaule, et s'allie à lui pour affronter l'ennemi. Une bataille a lieu entre Tours et Poitiers. Abd al-Rahman est tué, ses hommes abandonnent nuitamment leur camp et se retirent.
Pour autant, ni la Gaule ni Charles Martel n'en ont fini avec les Arabes. Le Languedoc leur appartient et ils sont présents en Provence, où la lutte continue. Après Poitiers, Charles remonte vers le Nord, guerroyer contre les Frisons, et les Musulmans occupent Arles en 735. L'année suivante, ils remontent la vallée du Rhône, pénètrent en Bourgogne, qui ne subit pas d'occupation systématique. Mais l'énergie des assauts arabes, renouvelés en 738 et en 739, commence à faiblir. Pourtant, Narbonne demeure aux Musulmans pendant vingt ans encore, tandis que Charles reprend la Provence.
Au reste, il n'y eut en Gaule que des raids exploratoires, des razzias de butin, des établissements très aventurés. Jamais l'Islam n'entreprit en ces lieux de conquête organisée.
En 740, une vaste révolte des Berbères et des Kharidjites secoue le Maghreb, éteignant tout espoir de nouvelles conquêtes, vers l'Ouest.
Le gouverneur du Maghreb, Bichr ibn Safwan, conduit en personne une expédition contre la Sicile en 727. Il en ramène de nombreux prisonniers et meurt l'année suivante. Son successeur, Ubayda ibn Abd al-Rahman, dès 728, fait envoyer des troupes qui battent le patrice byzantin de Sicile, et presque chaque année, pendant une décennie, les Musulmans reviennent à l'assaut de la Grande Île ou de la Sardaigne.
En 739, une véritable opération de conquête de la Sicile, est menée par Habib ibn Ubayda, petit-fils du légendaire Uqba ibn Nafi. Il parcourt l'île et va mettre le siège devant Syracuse, d'où le rappellent d'urgence les grandes révoltes dans l'Ouest du Maghreb en 740. Dès lors, plus rien n'est possible. La conquête est remise à plus tard.
Toute la grande province du Khûrasan est solidement rattachée à l'Empire, avec ses quatre capitales, jusqu'à la limite tracée par l'Amou Darya.
Le calife Hicham aborde bientôt le dernier tiers de son règne où se confirment le rejet de l'État umeyyade et l'usure des conquérants arabes.
En effet, l'arrêt des conquêtes résulte surtout des révoltes aux deux extrémités de l'Empire, dans le Khûrasan et le Maghreb. Au Maghreb, les contingents berbères, gagnés au kharidjisme, mettent en ébullition la province et condamnent tout espoir de nouvelles conquêtes en Europe. Les insurgés, conduits par Maysara, puis Khalid ibn Hazmid, défont les troupes gouvernementales, près de Tanger, en une bataille dite des "nobles" (ghazwât al-Hshrâf), car de nombreux membres de l'aristocratie arabe y périrent. Au Khûrasan, les populations arabes et iraniennes, agitées par des propagandistes, s'arment contre le pouvoir umeyyade pour le défaire en quelques années au nom de l'imam caché, qui se révélera un membre de la famille abbasside.
La Péninsule ibérique est perdue pour le calife, elle va vivre pendant des siècles une brillante histoire, en marge de l'autorité centrale de l'Islam. L'Afrique du Nord s'éloigne aussi de plus en plus de cette autorité pendant vingt ans, mais finit par y revenir à l'époque abbasside.
En 740, à Kûfa, dans les milieux chiites, toujours actifs dans cette capitale administrative de l'Iraq, Zayd ibn Ali, frère de l'imam Muhammad al-Baqir, mort en 732, entre en révolte contre le gouvernement umeyyade. Il entend revendiquer ses droits au califat par les armes. Son combat sera, cependant, bref ; après des batailles de rue à Kûfa opposant des centaines de ses partisans aux soldats du gouverneur de l'Irak, Zayd périt les armes à la main, avec le dernier carré de ses défenseurs, réfugiés dans la grande mosquée de la ville.
Après cette défaite, son fils Yahia se réfugie au Khûrasan où il continue la lutte.
En 743, se termine le règne de Hicham, le troisième des plus longs règnes de la dynastie umeyyade. Il fut consacré au maintien des acquis, à un moment où l'énergie musulmane a touché ses limites. Toutes les forces politiques, sociales et religieuses qui vont renverser la dynastie sont en place. Elles vont contribuer à la chute finale, en sept années de crise ininterrompue.
Les dernières années du califat de Hicham furent assombries par des problèmes de succession : il dut se résigner à nommer comme successeur son neveu al-Walid ibn Yazid. Hicham mourut en février 743, âgé d'environ cinquante-deux ans, après vingt ans de règne fécond pour le développement de la civilisation musulmane.
Après la mort de Hicham, commence la dernière phase du califat umeyyade. Son neveu, Walid II ibn Yazid, trente-cinq ans, lui succède pour un règne d'un an à peine (février 743 - avril 744). Prince lettré, poète, ami des plaisirs et de la chasse, il aurait construit nombre de résidences umeyyades en Syrie-Palestine, pendant les trente-quatre ans qu'il a déjà vécus. Il s'affronte dès son avènement à des difficultés ; les Banû Kalb, soutiens traditionnels du régime, prennent parti pour Yazid et Ibrahim, fils du calife Walid Ier.
Au printemps, pendant l'année de son règne, dans la région de Hérat, au Khûrasan, où il s'était réfugié après l'échec et la mort de son père à Kûfa, se révolte Yahia, un fils de l'imam Zayd ibn Ali. Il y soulève des populations chiites contre les autorités umeyyades, mais succombe au mois de juin de la même année, face au gouverneur de la région.
Par ailleurs, du côté de Humayma, meurt l'Abbasside Muhammad ibn Ali, l'organisateur de toute une propagande efficace et structurée, contre le califat. Son fils Ibrahim lui succède et continue son activité secrète. D'autre part, à la même époque, sort des geôles de Kûfa, un jeune Iranien ambitieux, favorable au chiisme, Abu Muslim, qui va changer la face du monde musulman dans les prochaines années.
Quant à l'éphémère calife Walid II, il succombe bientôt du côté de Palmyre, en avril 744, poursuivi par les Banû Kalb, soutiens de son rival et cousin Yazid, qui lui succède pour un règne encore plus bref.
C'est un coup d'État qui installe Yazid III sur le trône ummeyade. Mais Yazid III ne régnera que six mois, car il y meurt en septembre de la même année. Il aurait été empoisonné par son frère Ibrahim.
À la mort de Yazid III, son frère Ibrahim, lui succède, aussitôt contesté par un nouveau prétendant, Marwan, neveu du grand calife Abd al-Malik. Ce personnage avait guerroyé dans l'Arménie et le Caucase avec le général Maslama et venait d'être nommé gouverneur de Haute Mésopotamie par Yazid III. Réputé pour son indomptable énergie, il récuse Ibrahim et part à la conquête du califat avec l'aide de quelques tribus de Banû Qays. Il réussit, pendant l'automne 744, à s'imposer dans le nord de la Syrie, à battre les Banû Kalb et à se faire proclamer calife à Damas vers la mi-décembre.
L'année se termine avec cette victoire. La situation de l'Empire se dégrade. Quatre califes s'étaient succédé en douze mois. L'Espagne et le Maghreb échappent au contrôle de Damas.
C'est alors que l'Abbasside Ibrahim ibn Muhammad nomme un nouveau wazir, en la personne d'Abû Salama, un des douze émissaires de l'organisation clandestine, qui méditant secrètement la perte des Umeyyades, finiront par les vaincre cinq années plus tard.
En décembre 744, Marwan II entre à Damas pour y recevoir l'hommage de la population. Après les grandes révoltes kharidjites qui éloignent le Maghreb de l'Empire, le règne d'un calife poète insouciant, resté dans ses résidences du désert de Syrie, puis une litanie d'affrontements entre prétendants à la fonction suprême, l'ensemble umeyyade est gravement touché. L'Occident ne paie plus l'impôt, l'armée refuse les expéditions lointaines, le trésor public s'est vidé, l'administration ne fonctionne plus.
Les troubles se multiplient dès 745. En Syrie, un rival, agite les villes. Il se nomme Sulayman ibn Hicham. Fils du calife ayant régné de 724 à 743, il avait combattu Marwan à la tête des Banû Kalb jusqu'à la bataille finale, qui s'était déroulée à Ayn al-Jaar, où il avait été vaincu en novembre 744.
En Mésopotamie, les Kharidjites de la Jâzira, entre l'Euphrate et le Tigre, ont pris les armes dès la mort de Walid II. En 745, ils ont fait alliance avec le prétendant Sulayman ibn Hicham et contrôlent tout l'Iraq.
La sédition de Sulayman, étouffée en Syrie, Marwan rase les forteresses de cette province centrale de l'Empire et fait de Harrân, antique cité, sur la rivière Balikh, affluent de la rive gauche de l'Euphrate, sa capitale où il bénéficie de l'appui des tribus qaysites. De cette nouvelle capitale, il commence à réformer l'armée, qu'il subdivise en unités moins nombreuses et plus mobiles, commandées par des officiers à son entière dévotion. En 746, l'ordre est rétabli en Syrie, et le calife a la situation en main. Il entreprend dès lors de rétablir une ferme autorité au-delà de la Syrie-Palestine.
Il réussit en Égypte, expédiant vers le pays du Nil un nouveau gouverneur yéménite dévoué avec des troupes prélevées en Syrie du Nord et Haute Mésopotamie, qui pacifient la province en octobre 745.
En Iraq, Yusuf ibn Umar ibn Hubayra a repris possession de son gouvernement. Il mène dès 746 la lutte contre les Kharidjites. Il réussit, également, à chasser de l'Iran occidental le prétendant alide Abd Allah ibn Muwâyia, qui se réfugie au Khûrasan. Depuis 745, un homme est là, près de la capitale Merv, pour jeter de l'huile sur le feu, et tirer profit de toutes les déceptions. C'est Abu Muslim, le responsable de la propagande abbasside au Khûrasan. Il commence à recruter des troupes dans toutes les populations mécontentes. Il forge ainsi, en un peu plus d'une année, l'outil de victoire sur les Umeyyades.
Pendant ce temps, à l'autre extrémité de l'Empire, dans le lointain Occident, le Maghreb échappe à l'autorité directe des Umeyyades. D'autre part, Abd al-Rahman ibn Habib, arrière petit-fils du célèbre Uqba ibn Nafi, prend possession de l'Ifriqiya et s'installe à Kairouan, au moment où Marwan monte sur le trône. Il gouvernera cette province en toute indépendance pendant dix ans, jusqu'à son assassinat par son frère en 754.
Il existe ainsi un climat de sédition de l'Orient à l'Occident de l'Empire. Le califat umeyyade vit ses dernières années malgré tous les efforts de Marwan II.
En Arabie, en 747, dans le Hadramaout, éclate une grande révolte des Kharidjites ibadites. Le Yémen, puis le Hidjaz sont submergés et les villes saintes de La Mecque et Médine sont prises. Très vite le pouvoir umeyyade réagit. Il envoie d'importantes troupes dès 748, chasse les révoltés vers l'est de la péninsule pendant qu'en Jâzira et Syrie du Nord les derniers kharidjites sont battus et leur chef tué. Malgré ces victoires, l'Arabie de l'Est, où les Ibadites se sont repliés, et la Haute Mésopotamie restent marquées par ce schisme de l'Islam.
Mais la menace première est au Khûrasan. Là, Abu Muslim forme une armée. À ce même moment, Ibrahim, le prétendant abbasside au bénéfice de qui tout se trame, a été emprisonné dans les geôles umeyyades de Harran. Il peut toutefois nommer les chefs de la révolution qui couve dans la province du Khûrasan. C'est ainsi que Abû Muslim est fait gouverneur du Khûrasan et reste l'inspirateur de cette révolution. Le 15 juin 747, jour de l'Aïd al-Fitr, il lève les "étendards noirs" de la révolte et se retire dans un village pour entraîner ses troupes et préparer l'assaut.
Tout est prêt l'été suivant. Les contingents umeyyades sont battus dans la région de Nichapur puis, à l'automne le gouverneur est chassé de Merv, puis tué.
À l'été 749, cette force nouvelle pousse vers l'Iran occidental, prend Ispahan, bat les Umeyyades à Nehavend, puis entre en Iraq, conquiert Kûfa au mois d'août, et répand ses forces dans la province. L'Iraq est aux Abbassides. À ce moment, Ibrahim est mort dans les prisons umeyyades. En novembre 749, dans la mosquée de Kûfa, se dévoile le nouveau souverain, Abd Allah Abû al-Abbas ibn Muhammad, le frère d'Ibrahim, qui sera le premier calife de la dynastie des Abbassides, sous le nom d'al-Saffâh. Très vite, al-Saffâh attribue des postes.
En janvier 750, le dernier calife umeyyade, Marwan II, est vaincu sur le grand Zab, affluent de la rive gauche du Tigre, dans la région de Mossoul. Il fuit en Égypte, tente de rassembler des forces pour résister, mais il est battu et tué pendant l'été.
La même année, le nouveau calife convie tous les membres de la famille ummeyade, en Palestine, où ils sont massacrés, à l'exception d'un jeune homme de dix-neuf ans, Abd al-Rahman ibn Muâwiya, un petit-fils de Hicham. Ce miraculé fonde, après quelques années d'aventures, la dynastie umeyyade de Cordoue.
En plus de leur réputation de grands conquérants et de grands administrateurs, les Umeyyades furent aussi de remarquables bâtisseurs. Ils développèrent l'urbanisme et élevèrent de nombreux monuments et une série de grandes Mosquées, conçues pour répondre aux besoins des prières rituelles et pour implanter la religion nouvelle dans les pays conquis ; telle la célèbre Mosquée du Dôme du Rocher à Jérusalem sous Abd al-Malik, rocher où, selon la Tradition, Dieu avait appelé Abraham à sacrifier Ismaïl.
C'est, également à Abd al-Malik, que revient le mérite d'avoir fait frapper la première monnaie arabe et inaugurer l'utilisation de la langue arabe dans les affaires de l'État, en 690.
À l'actif des califes umeyyades, il faut, également, reconnaître qu'ils étendirent considérablement l'Empire musulman et qu'ils créèrent une bureaucratie capable de le gérer.
Sous les Umeyyades, les armées musulmanes avancèrent vers l'Est jusqu'aux frontières de l'Inde et de la Chine, et à l'Ouest, jusqu'à l'Atlantique à travers le Maghreb, puis au Nord, à travers l'Espagne et les Pyrénées, les armées arabes, bien avant 730, vinrent fouler le sol de la France.
Les Umeyyades s'assignèrent pour tâche majeure la consolidation de l'Empire, qui :
pour la seule fois de son Histoire, obéira, tout entier, à une seule dynastie et sera gouverné par les Arabes et pour les Arabes
.
C'est la période où les califes abassides ont personnellement et directement dirigé les affaires de l'Empire, inspiré la politique et joué véritablement un rôle de souverain dans tous les domaines. Cette période connut également une floraison intellectuelle et littéraire, qui en fait "l'âge d'or" de la civilisation arabo-musulmane, et apparaît comme un pont entre l'Antiquité et le monde moderne.
En 750, après trois ans de combat, le califat umeyyade fut renversé et les Abbassides, descendants d'al-Abbas ibn Abû al-Muttalib, oncle du Prophète, prirent le pouvoir à Damas. Abd Allah Abû al-Abbas dit al-Saffah (749-754), frère d'Ibrahim, qui mena le combat contre les Umeyyades et décédé en 749, fut proclamé calife dans la Grande Mosquée de Kûfa. Son califat sera essentiellement marqué par la chasse aux Umeyyades et la distribution des provinces aux membres de sa famille.
L'un des premiers actes de la nouvelle dynastie fut de déplacer la capitale du califat vers l'Iraq, où le second calife, Abû Djafar al-Mansûr billâh (754-775), "le victorieux", frère d'al-Saffâh, fonda en 762, sur les bords du Tigre, au carrefour de plusieurs routes commerciales, Madinat al-Salem ("la ville de la Paix"), près du site de Ctésiphon, l'ancienne capitale des Perses sassanides, plus connue sous le nom de Bagdad, et d'arborer le drapeau noir comme emblème de la dynastie.
Al-Mansûr fut le véritable fondateur de la dynastie. Voulant être souverain sans conteste, il a impitoyablement pourchassé les Chiites, qui, évincés du califat, ont provoqué, sans succès, par deux fois, des révoltes, d'abord en Arabie en 755, et surtout en Iraq en 762-763. Quant à Abû Muslim, le principal artisan de la victoire des Abbassides, demeuré gouverneur du Khûrasan, il fut exécuté avec plusieurs de ses compagnons, en 754 : il représentait un danger et un concurrent pour le calife, car il a su s'attacher un certain nombre de fidèles, qui après sa mort, fondèrent une secte, (abumuslimiya), qui eut une certaine audience dans le Khûrasan.
Les Kharidjites, de leur côté, après s'être agités dans l'Oman, déplacèrent leur activité en Tripolitaine et en Afrique du Nord ; installés à Tripoli en 757, ils s'emparèrent de Kairouan l'année suivante et constituèrent un État ibadite, englobant la Tripolitaine, la Tunisie et l'Algérie orientale. Mais, vaincus en 760 par le gouverneur de l'État, ils se replièrent vers l'Ouest, sous la direction de Abd Allah ibn Rûstum, et fondèrent l'émirat de Tahert, dans le Maghreb Central. Tandis que d'autres Kharidjites, les Sûfrites, s'établissaient à Sidjilmasa, dans le Sud marocain, et constituèrent, en même temps, un émirat à Tlemcen. Puis, une nouvelle offensive kharidjite en 770-771, vers l'Ifriqiya, fut écrasée et cette province demeura alors dans la dépendance du califat. De son côté, l'Espagne devient un émirat indépendant et échappe désormais à la tutelle abbasside, tout comme les régions occidentales du Maghreb, secouées par des rébellions berbères.
Al-Mansûr a eu le mérite, au cours d'un long règne particulièrement brillant, d'élaborer les institutions étatiques, juridiques, administratives et militaires de l'Empire. Il fut efficacement secondé par une famille, qui jouerait un rôle éminent pendant les cinquante premières années du califat abbasside, les Barmakides, d'origine iranienne. Il a été surtout le fondateur de Bagdad, et, à bien des égards, l'architecte de la grandeur abbasside.
En 755, al-Mansûr mourut au moment où il partait en pèlerinage à La Mecque.
En octobre 775, son fils, Muhammad al-Mahdi (775-785), qui était l'héritier désigné, accède au trône. Il va se signaler, surtout, par la répression violente des sectes hétérodoxes et de la mise à mort de leurs adeptes. Cela n'empêcha pas, en 778, le déclenchement, en Transoxiane, de la révolte d'al-Mouqanna, "le Prophète voilé", adepte d'Abû Muslim, qui se propagea à Boukhara et Samarcande et dont il a fallu deux ans pour en venir à bout.
Son règne est également marqué par le souci de défense des frontières, ce qui amène à la reprise de la guerre contre Byzance (sawaïfs).
Le règne de son fils, Mûsâ al-Hadi (785-786), assassiné en 786, sera bref et illustré par de violentes luttes au palais et à une politique de force contre les Alides, qui eut pour résultat le massacre de Fakhkh, près de Médine, où trouvèrent la mort un groupe de prétendants (11 juin 786).
En 736, Hârûn al-Rashid (786-809), le calife dont le nom a traversé les siècles grâce aux contes des "Mille et Une Nuits", contemporain de Charlemagne, en pays franc, accéda au trône. Son règne marqua le début de la période éclatante du califat abbasside, celle de l'âge d'or de la civilisation islamique. Pour régner, il sut utiliser le talent des Barmakides, qui furent néanmoins évincés, de façon soudaine et tragique, au bout de dix-sept ans de vizirat, prenant lui-même les rênes du pouvoir.
Et bien que généralement considéré comme l'apogée de la puissance abbasside, le règne d'Hârûn al-Rashid renfermait les germes de son déclin. Le démembrement de l'Empire débutera au cours de son règne. Il accorda aux gouverneurs aghlabides une autonomie bien proche de l'indépendance (799), en Ifriqiya, après qu'ils aient écrasé une révolte contre le pouvoir abbasside qui avait éclaté à Kairouan. L'ordre est rétabli par Ibrahim ibn al-Aghlab, l'ancêtre des Aghlabides qui, durant près d'un siècle, seront maîtres de l'Ifriqiya. Désormais, l'Afrique du Nord échappe aux Abbassides, car le Maghreb central est aux mains des Kharidjites rustémides et le Maroc dans celles des Idrissides alides. Quant à l'Espagne, elle s'est constituée en émirat indépendant. Pourtant, l'Empire abbasside s'étend encore de l'Égypte à la Transoxiane et constitue alors la plus grande puissance politique et économique de l'époque.
D'autre part, à la veille de la disgrâce des Barmakides, Hârûn avait préparé un testament politique, qui réglait l'ordre de sa succession et préparait ainsi le partage de fait de l'Empire. Parmi ses fils les plus âgés, Hârûn choisit comme héritier Muhammad, à qui il attribue les pays arabes et le titre de calife, avec le surnom d'al-Amîn. Abd Allah, le futur al-Mamûn, est désigné comme héritier en second ; il reçoit le Khûrasan et les provinces orientales avec une très large autonomie ; il résidera à Merv. Enfin, al-Qasim, le troisième fils, est confirmé comme responsable des confins arabo-byzantins et résidera à Qinnasrin, proche d'Alep, en Syrie du Nord. Il fit établir de son vivant des actes par lesquels les deux frères prétendants au califat, s'engageaient solennellement à respecter la décision de leur père.
Mais en 809, la mort de Hârûn, survenue à Tus au cours d'une expédition dirigée contre un rebelle de Transioxane, fut bientôt suivie d'un conflit entre al-Amîn, reconnu calife à Bagdad, et al-Mâmûn installé à Merv, la capitale de sa province. Une véritable guerre civile ayant alors éclaté, l'Empire se trouva coupé en deux tronçons.
À Bagdad, Muhammad al-Amîn (809-813), successeur depuis longtemps désigné, accède au trône à la mort de son père. Une année après il remet en question l'ordre de la succession fixé par Hârûn al-Rashid. Il cite à la khûtba le nom de son fils, Mûsa, après celui d'Abd Allah al-Mâmûn, puis il va à éliminer, complètement, le nom de son demi-frère. Ce dernier rompt alors les relations entre Merv et Bagdad et proclame la déchéance d'al-Amîn. De son côté le calife déclare son demi-frère rebelle et envoie, en mars 811, des troupes contre lui. Les frères ennemis vont se livrer alors une véritable guerre, qui va durer deux ans. Les partisans du premier se recrutaient essentiellement dans la capitale et en Iraq, ceux du second plutôt en Iran. De cette guerre fratricide, al-Mamûn en sortit vainqueur en envahissant l'Iraq et en investissant Bagdad, à la suite du long siège de 812-813. Al-Amîn, qui tentait de s'enfuir en bateau, fut rattrapé et tué. L'Empire tout entier tomba alors aux mains du nouveau calife al-Mamûn.
L'avènement d'al-Mamûn (813-833), sans conteste, le plus grand des califes abbassides, marqua l'apogée de la puissance politique du califat. Il va reconstituer l'unité du grand Empire, qui s'étend de la mer d'Aral à la Méditerranée. Pendant six ans, de 813 à 819, il continue à résider à Merv, au grand mécontentement des habitants de Bagdad.
Sur le plan politique, al-Mamun mènera au début une politique pro-alide, assez originale, destinée à résoudre le problème chiite et à mettre fin à la guerre que se livraient depuis soixante-dix ans les Abbassides et Alides. Puis, en 816, il décida de prendre pour héritier un descendant d'al-Husayn, Ali al-Ridâ, homme pieux et effacé qui vivait à Médine, s'occupant peu de politique avant d'être convoqué à Merv. Il était considéré comme le huitième imam, par les Chiites duodécimains. Mais ce geste du calife, qui voulait mettre un terme aux querelles avec les Alides et réconcilier tous les musulmans, fut mal accepté en Iraq, qui entre en rébellion ; al-Mamûn comprend alors qu'il doit changer de politique, d'autant que le malheureux Ali al-Ridâ venait d'être assassiné.
Puis, al-Mamûn comprend qu'il doit renoncer à gouverner l'ensemble de l'Empire depuis Merv. En août 819, il arrive à Bagdad, ce qui ramena le calme en Iraq. Puis, tout en prenant diverses mesures destinées à rallier à sa cause les Chiites, il envisagea de fonder le régime sur une nouvelle base doctrinale représentée par le mouvement mutazilite ou doctrine du "Coran créé", qui aurait dû, selon lui, être accepté par l'un et l'autre parti. Cette nouvelle doctrine, officiellement proclamée, en 827, entraîna des manifestations et révoltes des défenseurs de l'Islam traditionnel, avec à leur tête le plus opiniâtre traditionaliste sunnite, le célèbre ibn Hanbal. Et il faudra attendre 848, pour que l'un des successeurs d'al-Mamûn, al-Mutawakkil, qui cédant à l'opinion publique, prendra un nouveau tournant en condamnant le mutazilisme et en pourchassant ses partisans.
Dorénavant, installé sur les bords du Tigre, al-Mamûn avait besoin d'un gouverneur pour le Khûrasan, qu'il venait de quitter, et où l'agitation recommençait. Il fit appel à Tahir ibn al Husayn, qui avait obtenu la soumission de Bagdad en 821, et lui confie le gouvernement des provinces de l'Est. À partir de ce moment, le Khûrasan va devenir une province pratiquement autonome entre les mains d'une famille autochtone. En 822, en effet, Tahir, qui commande l'armée la plus nombreuse et la plus efficace, refuse d'obéir au calife, dont il omet le nom lors de la prière du vendredi. Il meurt peu de temps après et son fils, Talha, va fonder la dynastie des Tahirides. Le Khûrasan ne veut plus être soumis à Bagdad, il fait sécession et l'Empire abbasside perd une de ses plus vastes et plus riches provinces.
En 832, al-Mamûn va en Égypte mettre un terme à une importante révolte des Coptes du Delta. Mais trois autres révoltes importantes vont marquer son règne : celles d'Abû al-Saraya al Shaybani, de Hamza ibn Adrak et de Bâbak en Adharbaïdjan (825-837). Elles tinrent en échec les troupes califales pendant plusieurs années et Bâbak, pris et exécuté en 837, après la mort d'al-Mamûn. Ces révoltes furent cependant toutes réprimées et l'Empire resta prospère et uni.
Si al-Mamûn n'avait pu réprimer de son vivant la révolte de Bâbak, en revanche il avait continué la guerre contre Byzance. En 830, il fit même une incursion profonde en Asie Mineure, accompagné par son fils al-Abbâs, il saccagea Ankara et occupa Amorium ; dans le nord syrien, la guerre sainte s'intensifia, les razzias se multiplièrent. Mais, en 833, au cours d'un nouveau raid, le calife meurt de maladie. Il avait déjà désigné comme successeur son frère al-Qâsim, qui devint calife sous le nom d'al-Mutasim billah.
Sur le plan intellectuel et religieux, ce califat de vingt ans d'al-Mamûn fut très important. Les arts et la littérature s'épanouissent. Il y fonda vers 830 Bayt al-Hikma (maison de la Science ou de la Sagesse), où l'on s'attachait au travail de traductions des oeuvres scientifiques et philosophiques étrangères. Le monde musulman s'appropria et enrichit les connaissances des cultures de la Mésopotamie, de la Grèce antique, de l'Inde et de la Perse.
Dès la mort d'al-Mamun, commence une période de démembrement de l'Empire abbasside et de décadence du pouvoir du calife. Partout les mouvements populaires contre les Abbassides vont se multiplier et s'aggraver, l'armée elle-même est insuffisante et peu sûre. Le frère et successeur d'al-Mamûn, al-Mutasim (833-842), avait compris l'intérêt qu'il y avait de disposer d'une garde qui ne dépendît que de lui, bien équipée et recevant une solde élevée. Il fit appel à des mercenaires étrangers, Berbères, Slaves et surtout Turcs, pour constituer sa garde personnelle. Bien organisée, consciente de sa puissance, elle jouera un rôle de plus en plus important à la cour du calife.
Mais une doctrine hérétique, le mutazilisme, une énorme cohorte d'étrangers et leur attitude agressive en ville : c'en était trop pour les habitants de Bagdad. Le calife, pour éviter les troubles, dut quitter sa capitale. Il alla en fonder une nouvelle, Samarra (836), à une centaine de km au nord de Bagdad. Mais depuis qu'il s'est installé à Sammara, le calife s'est coupé des réalités sociales et s'est rendu prisonnier de sa garde turque, qui, de ce fait, va jouer un rôle grandissant dans les intrigues du pouvoir.
En janvier 842, à la mort de son père à Samarra, Harûn al-Wathiq (842-847) accède au califat ; il régnera cinq ans. Il aura notamment à réprimer une révolte de Damas, car il y eut un renouveau de la mihna (inquisition mutazilite), ce qui entraîna une révolte populaire contre les Mutazilites (846).
En 847, al-Mutawakkil (847-861), frère d'al-Wathiq, monte sur le trône : alors commence une phase nouvelle de la dynastie abbasside. Le premier soin du nouveau calife sera de se débarrasser de deux chefs turcs, qui l'avaient aidé à accéder au pouvoir, dont l'un est ensuite assassiné.
Sur le plan religieux, ce règne est marqué par une violente réaction sunnite. Le calife adopte une attitude strictement orthodoxe : il interdit toute discussion sur le Coran. D'autre part, toutes les victimes des Mutazilites, notamment le célèbre Ahmad ibn Hanbal, furent relâchées. Il élimine également les dhimmis, les non-musulmans, de l'administration. Les Alides n'échappent pas à son hostilité, et il va même jusqu'à démolir le mausolée d'al-Husayn à Karbala (851), et à y interdire les pèlerinages.
En 858, il établit sa résidence à Bagdad, mais revient assez vite à Samarra où il établit l'ordre de sa succession : il désigne al-Muntasir, puis son autre fils al-Mûtazz. Très rapidement, il donne des signes de préférence pour ce dernier. Le climat se tend à la cour, al-Muntasir réagit, il organise un complot et fait assassiner son père par les chefs turcs, en décembre 861. Alors commence pour l'Empire une crise d'une extrême gravité.
La compétition dynastique va provoquer, durant les années à venir, des désordres intérieurs : chaque faction de la garde turque voudra avoir "son" calife. Des quatre califes qui vont se succéder, trois seront exécutés par les Turcs. Le parricide al-Muntasir, qui ne sera qu'un instrument entre les mains du vizir et des généraux turcs, mourra après six mois de règne, non sans avoir, par réaction, accordé des faveurs aux Alides.
Son successeur al-Mustaïn (862-866), se sentant menacé, pense échapper à son destin en se réfugiant à Bagdad. On l'y rejoint et on l'y tue. Son successeur al-Mûtazz (866-869) ne tarde pas à abdiquer sous la pression de ses troupes ; il sera jeté en prison où il mourra de faim à vingt-quatre ans. Le dernier calife à résider à Sammara, al-Muhtadi (869-870), fils d'al-Wathiq, est sommé de renoncer au pouvoir ; comme il refuse, il est poignardé. Le pays tomba dans l'anarchie. Puis il y a une trêve. Al-Mûtamid (870-892), l'un des fils d'al-Mutawkkil, revint à Bagdad et parvient à régner vingt-deux ans, sous l'autorité de son frère Talha al-Mawaffaq qui sera le véritable calife. Il imposera son autorité à l'armée. Gouverneur des provinces orientales, il eut à défendre le régime contre divers adversaires. La capitale redevint désormais Bagdad, on reprend les traditions. Ce long règne sera cependant marqué par la révolte des Zandj, véritable guerre sociale fomentée par des esclaves noirs, et qui durant quatorze ans ruinera l'économie du pays. Il y aura, également, l'avènement des Saffarides au Sidjistan, et l'activité des Qarmates, secte dissidente ismaïlite, en Syrie et en Arabie ; ainsi que la proclamation d'indépendance d'Ahmad ibn Tulun en Égypte.
Puis, al-Mûtadid (892-902) va régner dix ans, al-Muqtafi (902-908) encore six ans. Mais, à son décès, le califat échoit à un enfant de treize ans, al-Muqtadir (908-932), dont en pense qu'il sera aisé de se débarrasser. Il est sauvé par l'intervention d'un eunuque turc, Munis, et ne croit pas devoir faire moins pour l'en remercier que de créer pour lui un titre, tout nouveau, celui d'amir al-umara ("Grand émir"), ce titre fera de lui, comme de tous ceux qui le porteront par la suite, le véritable maître du pouvoir. Il est néanmoins encore l'héritier des califes du IXe siècle, qui ont, en grande partie, restauré la puissance califale, après la crise de Samarra. Mais le calife jouit encore d'un pouvoir politique certain, en dépit d'un caractère sans grandeur, des intrigues de la Haute Administration et de la Cour, au milieu de menaces qarmates et de difficultés de toute sorte pour contrôler l'armée et percevoir le revenu des provinces. Il survit à un coup d'état en 929, et meurt en voulant sauver, à la tête de ses troupes, son autorité face à un général rebelle en 932.
Son frère al-Qahir (932-934), est alors choisi par les dignitaires. C'est un homme énergique. Il est victime d'une sédition militaire montée par un de ses anciens vizirs, en 934, mais il refuse d'abdiquer ; il sera aveuglé (c'est-à-dire rendu juridiquement inapte au califat), avec l'accord de son successeur, et vivra quinze années encore.
C'est alors que se dégrade, sans retour, la situation politique du califat. Le fils d'al-Muqtadir, arrivé au pouvoir, al-Râdi (934-940), privé de ses ressources financières, que les gouverneurs de province n'envoient plus, remet en 936, à un chef militaire, Ibn Raïk, d'origine khazare, avec le titre de grand émir (amir al-Umara), la responsabilité du gouvernement, qui revenait jusque là au vizir ; le chef de l'administration disparaît, et c'est le début de la lutte entre militaires pour contrôler ce gouvernement. Le calife n'intervient plus dans la vie politique qu'en favorisant les intrigues qui minent le pouvoir, d'un grand émir au profit d'un concurrent.
Après le décès d'al-Râdi, malade, en 941, son frère al-Muttaqi (940-944), qui aurait voulu se passer de grand émir, vit dans une capitale qui est la proie des affrontements armés entre militaires, pour contrôler le gouvernement. Par deux fois, le calife, qui est par ailleurs un faible, fuit Bagdad. En 944, il a une entrevue sur l'Euphrate avec l'émir d'Égypte, l'Ikhshîd Muhammad ibn Tughj, pour tenter d'obtenir son aide contre le grand émir, alors l'officier Turc Tuzun. Ayant échoué, il rentre à Bagdad où Tuzun le fait arrêter et aveugler.
L'émir lui choisit un successeur, non parmi ses frères, les enfants d'al-Muqtadir, mais parmi ses cousins, les fils du calife du début du Xe siècle al-Muqtafi. Le nouveau calife prend le nom d'al-Mustaqfi (944-946). Alors, la maladie puis la mort de Tuzun, livrent un peu plus le gouvernement à qui veut le prendre.
Au cours du IXe et du Xe siècle, il surgit en Asie et en Iran, un ensemble de principautés indépendantes de droit ou de fait, dont, l'une d'entre elles, celle des Bouyides (ou Bouwyahides), iranienne, originaire de l'aire caspienne, et d'obédience chiite, se rendra, au Xe siècle, maîtresse de fait de l'Iraq et prenant sous sa tutelle le califat sunnite de Bagdad ; tutelle qui durera plus d'un siècle, jusqu'à l'invasion des Turcs seldjoukides, en 1056. Le pouvoir de la dynastie arabe des Abbassides devait être ainsi, pendant cette période, presque réduit à néant, tandis que les émirs bouyides contrôlaient non seulement l'Iran, mais aussi l'Iraq, où le calife ne conservait que de très minces privilèges.
En 946, Ahmad ibn Buwayh, installé à ce moment dans l'Ahwaz, au sud-est de l'Iraq, entre dans Bagdad, dépose al-Mustaqfi et lui désigne un successeur parmi les fils d'al-Muqtadir, al-Mûti (946-974). Le califat a désormais perdu toute possibilité d'agir. La lutte pour le poste de Grand Émir est terminée ; pour un siècle, l'autorité va se transmettre dans la famille Buwayhide ; assez pragmatique dans le domaine politique pour ne pas vouloir changer une situation dont ils tirent profit. Le califat reste, pour la majorité des Musulmans, l'origine de la légitimation de tous les autres pouvoirs, et peut être efficacement utilisé quand on le contrôle.
Les califes vivent désormais renfermés dans l'enceinte califale de Bagdad. Le gouvernement réel est installé dans le palais du grand émir, au nord-est de la ville.
Lorsque, après la mort du premier grand émir buwayhide, son fils Bakhtiyâr s'aliéna à la fois ses troupes turques et l'opinion musulmane d'Iraq, parce qu'il ne se souciait pas de l'avance byzantine en Mésopotamie, le Hadjib, chef des troupes turques, se révolta en 973, imposa l'abdication du calife al-Mûti, qu'il considérait comme trop soumis aux Buwayhides, au profit de son fils al-Tâï (974-991) et se fit désigner par lui grand émir. La tentative fut, néanmoins, sans lendemain, car le révolté mourut assez vite, et l'ordre buwayhide fut rétabli par Ahmad ad-Dawla Fanâ Khusraw. Même la frappe de la monnaie califale prit fin.
En 991, le fils d'Ahmad ad-Dawla, Bahâ ad-Dawla Firûz, une fois fermement installé, fit déposer al-Tâï et le remplaça par le jeune al-Qadir (991-1031). Celui-ci retrouva un rôle pour le califat, aidé par des circonstances favorables. L'installation habituelle, à partir de 999, du chef de la famille buwayhide à Shiraz, puis l'affaiblissement des Buwayhides, fait de Bagdad et de ses environs une sorte de domaine propre du calife. Il réaffirme, par ailleurs, le droit de la famille abbasside face aux Fatimides, dénoncés comme des imposteurs.
Lorsqu'il meurt en 1031 et désigne son fils al-Qaïm (1031-1075) pour lui succéder, le califat a retrouvé une fonction et un petit territoire, comprenant Bagdad et ses alentours, où son influence est prépondérante.
Le califat d'al-Qaïm marque l'épanouissement de ce renouveau. Le calife a retrouvé des vizirs, en particulier le sunnite Ibn Muslim. Mais, voilà qu'à partir de 1056, la situation confortable des califes, confrontés à des princes Bouwayhides affaiblis, prend fin avec l'irruption, en Transoxiane d'abord, puis au Khûrasan, de bandes turques de la tribu Oghuzz, dirigées par le clan de Seldjük et qui permit à Tughril Beg d'entrer à Bagdad en 1055 où il se faisait décerner par le calife le titre de "sultan" et se faire déléguer tous les pouvoirs et devenir, ainsi, le maître de l'organisation étatique. Al-Qaïm dut même accepter l'union d'une princesse abbasside avec le nouveau maître politique seldjoukide, ce qui ne s'était jamais vu. Et, lorsque al-Qaïm meurt en 1075, le califat est à nouveau placé face à la réalité d'un pouvoir politique différent de lui, sunnite cette fois, sans doute, mais d'abord soucieux de ses intérêts.
En 1087, Malik Shah, le Sultan Seldjoukide, dont la puissance s'étendait de Samarcande à la Méditerranée, est à Bagdad où il marie une de ses filles au calife al-Muqtadi (1075-1094), qui a succédé à son père al-Qaïm ; provisoirement au moins, les relations entre les deux pouvoirs sont bonnes. Mais, l'union entre la fille de Malik Shah et le calife al-Muqtadi n'avait pas été heureuse.
En 1092, Malik Shah vint s'installer à Bagdad et signifie au calife qu'il devait quitter la ville. La mort du sultan empêcha cependant le projet de se réaliser. Mais, désormais, les califes pouvaient tant craindre les sultans, et le but de leur politique fut de saisir la moindre occasion pour préserver d'abord leur autonomie.
Le calife al-Muqtadi meurt deux ans après Malik Shah et son successeur al-Mustadhir (1094-1118), put exercer une autorité réelle.
À partir de 1118, en effet, les Abbassides semblèrent pouvoir affirmer leur autorité avec le calife al-Mustarshid (1118-1135). En 1123, le calife dut, seul, sans l'aide du sultan, mener une armée contre les pillages des Mazyadides ou Banû Mazyad, petite dynastie arabe d'al-Hilla, d'obédience chiite, installée dans la région par les Bouyides, et fut victorieux ; ce qui lui donna une certaine autorité. Les relations devinrent si mauvaises, entre le calife et le gouverneur seldjoukide de Bagdad que Mahmûd, le sultan de l'époque, vint lui-même assiéger le calife à Bagdad, en 1126.
À la mort de Mahmûd, en 1131, le calife al-Mustarshid voulut affirmer la puissance renouvelée du califat et exprimer ses préférences entre les divers candidats en lutte pour la succession du Sultanat. Masûd, successeur de son frère Mahmûd en 1135, dut alors mener la guerre contre le calife qui, cette fois, fut fait prisonnier et contraint de s'engager à ne plus jouer de rôle politique ou militaire, puis assassiné en 1135.
Son fils, al-Rashid (1135-1136), refusa de reconnaître l'accord signé, sous la contrainte, par son père, reprit les armes et soutint les rivaux du sultan Masûd. Celui-ci s'empara alors de Bagdad et obtint une décision des Ulémas autorisant la déportation du calife.
Il le remplaça par son oncle al-Muqtafi (1136-1160). Al-Rashid, ayant fui vers le Nord pour continuer la lutte, fut assassiné deux ans plus tard à Ispahan. Dès lors allaient s'affronter à découvert, le sultan seldjoukide affaibli et le calife abbasside, bien décidé à profiter de cette faiblesse.
Dès la mort du sultan Masûd en 1152, al-Muqtafi occupa le domaine des Mazyadides d'al-Hilla, expulsa le gouverneur seldjoukide de Bagdad et confisqua les palais du sultan.
Le califat poursuit ainsi sa lutte pour son indépendance. Al-Mukqafi puis, à partir de 1160, al-Mustandjid (1160-1170), ont pour vizir le savant hambalite, Ibn Hubayra, qui, tout en menant l'administration et l'armée, poursuit au profit du califat une politique de rassemblement sunnite, en faisant appel aux quatre écoles juridiques.
L'action du califat est encore plus vigoureuse avec l'accession au pouvoir du calife al-Nasîr (1180-1225). Il soutient les Eldigûzides, dynastie d'atabegs d'origine turque de la région de Tabriz en Azerbaïdjan, contre le dernier sultan seldjoukide, Tughrïl III.
En 1187, les palais du sultan sont rasés à Bagdad et une armée du calife est envoyée, sans succès, contre Hamadan. Quand les atabegs eldigûzides, incapables de continuer à contrôler le sultan, font appel au Khwarazm Shah, Alâ al-Dîn Takash, contre lui, et que le dernier Seldjoukide meurt au combat devant Rayy (1194). Les Abbassides pouvaient alors célébrer leur libération d'un pouvoir qui était apparu comme leur sauveur plus d'un siècle auparavant.
Cependant, pour avoir constitué une base territoriale sûre qui occupait tout le Sud de l'Iraq, les Abbassides ne pouvaient guère prétendre alors retrouver leur situation d'antan. Pourtant, al-Nasîr a essayé d'être, comme sans doute ont voulu l'être les premiers Abbassides, le calife détenteur de tous les pouvoirs, le Guide de tous les musulmans, mais cette politique aurait supposé la durée.
Au calife al-Mustansir (1226-1242), principal successeur d'al-Nasîr, revint le mérite de fonder à Bagdad la première Madrassa ouverte aux quatre écoles juridiques, l'énorme Mustansiriyya (1224), expression là aussi d'une volonté politique d'union de tous les sunnites autour du califat.
Le califat abbasside jetait en fait ses derniers feux. En 1258, les troupes mongoles de Hûlegü mettaient Bagdad à sac et tuaient le dernier calife, al-Mustasim (1242-1258).
La destruction de Bagdad fut l'un des épisodes les plus noirs de l'Histoire de l'Islam et prélude à la conquête mongole, qui allait bouleverser profondément le Moyen-Orient, par les destructions, les massacres et la ruine des villes. Seul un membre de la famille Abbasside, échappé au désastre et réfugié en Égypte, assura à la dynastie une artificielle survie où, jusqu'en 1517, se maintint au Caire une lignée de princes portant le titre de calife, mais ne disposant pour autant d'aucune autorité autre que religieuse.
La période des trente dernières années qui précédent l'invasion arabe et qui s'ouvre à la retraite du roi Wamba, en 680, est tout entière emplie de querelles anarchiques : compétitions sanglantes de candidats au trône, séditions provinciales, intrigues de la noblesse et du haut clergé qui cherchent à s'immiscer plus encore qu'auparavant dans la vie politique du royaume. Par ailleurs, jamais les Wisigoths ne parviendront à se rendre maîtres de toute la péninsule. Les Suèves en Galice, les Vandales puis les Byzantins au Sud, mais surtout les populations des régions du Nord (du pays basque aux Asturies) ont posé de sérieux problèmes à la monarchie.
Wamba (672-680), successeur de Receswinth (653-672), fut un prince énergique et courageux. Après huit ans de règne, il est écarté du pouvoir et se retire au monastère. Ervig (680-687), qui lui succède, réunit, en 683, le treizième concile de Tolède. Après Ervig, son gendre, Egica (687-702), reçoit le sceptre à la fin de 687, pour le conserver jusqu'au début du VIIIe siècle.
En 693, Egica avait associé à son trône son fils Witiza (702-710). Cinq ans plus tard, celui-ci devint régent de fait, jusqu'à la mort de son père, en 702. Puis il continua à régner, mais comme il était âgé, il se préoccupa sans retard d'assurer la succession à son fils Akhila, en même temps qu'il lui confiait le gouvernement de la Septimanie et de la Tarraconaise. Ces dispositions déchaînèrent contre Witiza l'opposition des magnats wisigoths.
La situation était ainsi de nouveau fort trouble dans la Péninsule quand Witiza mourut, en 710. Akhila était toujours au siège de son gouvernement du Nord (Narbonne et Tarragone). Bien qu'il fût l'héritier présomptif de son père, il n'était pas question pour lui de revenir à Tolède pour y prendre possession du trône. À Tolède, le parti de l'opposition décida au bout de quelque temps de confier la couronne au duc Roderic (710-711), qui résidait à Cordoue en qualité de gouverneur de la Bétique. La guerre civile est inévitable. Proclamé au cours de l'été 710, Roderic, sans perdre de temps, neutralisa l'activité déployée par le prétendant Akhila. Mais sous son règne éphémère, l'Espagne avait perdu davantage encore la notion de son unité politique et où les factions s'y déchaînèrent sans répit ; autant de signes qui indiquent clairement qu'au début du VIIIe siècle, la terre ibérique offrait une proie facile à un envahisseur, qu'il vint du Nord ou du Midi. Comme à point nommé, les Arabes se trouvèrent de l'autre côté du détroit pour s'en saisir sans peine et abattre du premier coup le ruineux édifice de la monarchie wisigothe.
Alors que Roderic se bat au Nord, les musulmans pénètrent en Espagne. Il revient rapidement au Sud pour trouver la mort à la bataille de Guadalete en 711. Le royaume wisigoth d'Espagne allait être liquidé en moins de deux années.
La conquête de l'Espagne est le fait du gouverneur de l'Afrique du Nord, Mûsa ibn Nusayr, qui en prend l'initiative sans en référer au calife de l'époque, al-Walid. Depuis sa résidence de Kairouan, il désigne, dans un premier temps, un officier berbère, Abû Zaara Tarif ibn Mulluk pour aller explorer la rive espagnole du détroit de Gibraltar. En juillet 710, Tarif, avec quatre cents hommes seulement, débarque dans une petite île toute proche du port qui devait conserver son nom, Tarifa (Djazirat Tarif). De là, la troupe musulmane se livre à une série de fructueuses incursions sur le littoral. Elle s'empare d'un riche butin avant de retourner au Maghreb.
À la suite de ce raid de reconnaissance, le gouverneur de Tanger, Tariq ibn Ziyad, un affranchi de Mûsa ibn Nusayr, d'origine berbère, fut chargé de commander une nouvelle expédition. Le moment était propice, car Roderic était occupé au Nord de son royaume, dans la région de Pampelune, à réduire une révolte des Vascons. Tariq traversa le Détroit et alla se retrancher dans le flanc de la montagne Calpe (le futur Gibraltar, Djabal Tariq, "la montagne de Tariq"), en attendant le débarquement de tous ses soldats, au printemps 711. Une fois réunie, son armée de sept mille hommes, presque tous d'origine berbère, Tariq se mit en campagne. Il se transporta plus à l'Ouest où il organisa une base destinée à lui servir de camp retranché en cas de retraite, face à une petite île, "l'île verte" (al-Djazira al-Khadra) la future Algeciras. Puis, après avoir reçu le renfort de cinq mille autres berbères envoyés par Mûsa, il met en déroute l'armée du roi wisigoth Roderic, revenu en toute hâte du Nord du pays, lors de la bataille du Guadalete, en juillet 711, et où Roderic aurait perdu la vie. Après cette victoire, Tariq voyait s'ouvrir toutes grandes devant lui les portes de l'Andalousie. Très rapidement, Cordoue est conquise (octobre 711). Grenade et Malaga se livrent, tout comme Tolède la capitale qui n'opposa aucune résistance.
Au lieu de se réjouir des succès remportés par son lieutenant, Mûsa ibn Nusayr en conçut une vive irritation et beaucoup de dépit. Il ne voulait pas laisser à son seul subordonné le bénéfice de la conquête. Il concentra sur le littoral une armée de dix huit milles hommes, puis s'embarqua pour Algéciras en 712. Il commença par occuper la ville de Medina Sidonia et les deux places fortes qui couvraient vers l'Est Séville, non encore conquise : Carmona et Alcala de Guadaira. Il mit ensuite le siège devant Séville elle-même, qui ne lui opposa qu'une faible résistance. Puis, il prit Mérida, où les partisans de Roderic étaient parvenus à se rallier, le trente juin 713. Il poursuivit ensuite sa marche vers Tolède pour faire la jonction avec les troupes de Tariq, qui le rejoignit à Talavesa, avant d'aller s'installer à Tolède.
De Tolède Mûsa envoya à Damas des messagers chargés de rendre compte au calife des résultats obtenus en Espagne et de lui annoncer la prise de la capitale des Wisigoths. Au printemps 714, il quitta Tolède et alla prendre Saragosse. De Saragosse, Mûsa voulut pousser sa conquête de l'autre côté des Pyrénées, mais ses projets furent bientôt contrariés par le retour de ses messagers qui lui apportèrent, de la part du calife al-Walid, l'ordre de rejoindre la Syrie, en compagnie de Tariq. Il quitta la Péninsule ibérique au cours de l'été 714, en laissant pour l'y suppléer son fils Abd al-Aziz. Il arriva à Damas où le calife, déjà malade, le reçoit avec Tariq ibn Ziyad et leur retire leurs titres et leur richesses, fort peu de temps avant de mourir (23 février 715). Mûsa, dont la disgrâce est confirmée par le calife Sulayman, successeur d'al-Walid, mourut peu de temps après en Syrie (716-717), de même que Tariq.
Après le départ de son père, Abd al-Aziz ibn Mûsa, ne gouverna l'Espagne que peu de temps : il devait être assassiné en mars 716, sur ordre du calife Sulayman, qui venait de succéder à Damas à son frère al-Walid. Entre temps, il avait pris possession d'Évora, de Santarem et de Coïmbre au Portugal. Il devait aussi poursuivre la conquête des régions sub-pyrénéennes et enlever notamment Pampelune, et plus à l'Est, Tarragone, Barcelone, Gérone et Narbonne. On lui attribue aussi la prise de Malaga et d'Elvira.
La Péninsule, après la mort violente d'Abd-Aziz ibn Mûsa, fut dirigée par des gouverneurs, délégués pour l'Espagne, nommés directement par le calife de Damas, et dépendaient du wali arabe qui résidait à Kairouan. Leur rôle consistait avant tout à consolider la conquête et de poursuivre la pacification du pays, enfin, à pousser par-delà les Pyrénées des pointes plus ou moins profondes à l'intérieur du territoire de la Gaule. Mais, à partir de 732, à la mort du gouverneur Abd al-Rahman ibn Abd Allah al-Ghafiki, tué à la bataille de Poitiers, le pays fut troublé par de nombreux soulèvements et révoltes, dus aux rivalités entre les représentants des deux grands groupements ethniques arabes : les Kalbites, Yéménites, et Qaysites d'origine syrienne, et dont l'antagonisme remontait avant l'Hégire. Mais, le trouble le plus grave, fut le soulèvement des Berbères, soulèvement qui avait débuté au Maroc, sous la coupe d'un chef dynamique Maysara avec la prise de Tanger en 740, et la victoire à la bataille dite des "Nobles", dans la vallée du Chélif. Ceci donna aux Berbères d'Espagne, l'idée de tenter de secouer le joug de l'autorité arabe. Il a fallu l'arrivée massive de Djunds syriens, dépêchés de Damas, sous le commandement du général Baldj, pour en venir à bout en 741. Mais les troubles n'en continuèrent pas moins entre Arabes.
Yûsuf ibn Abd al-Rahman al-Fihri, descendant en ligne directe du général Uqba ibn Nafi, fut le dernier des gouverneurs d'Espagne, en 747, avant la prise de pouvoir par Abd al-Rahman Ier. À l'époque les liens qui unissaient l'Espagne à l'Orient arabe et à l'autorité de Damas, qui avaient été toujours fort lâches, se trouvaient rompus, et le calife de Damas, déjà aux prises avec les Abbassides, eût été bien en peine de réagir pour les renouer.
Ce fut dans ces conditions qu'arriva, en 755, en Espagne, Abd al-Rahman ibn Hisham ibn Abd al-Malik ibn Marwan,"al-Dakhil", un des rares survivants du massacre de la dynastie des Umeyyades perpétré par les Abbassides de Bagdad en 750, et qui arriva en Espagne, après bien de péripéties et de pérégrinations en compagnie de son fidèle affranchi, Badr. Aidé des Arabes Syriens, qui appartenaient à la cavalerie naguère amenée par le général Baldj, et des Berbères (sa mère Rah était une captive berbère). Il fit son entrée à Séville, en mars 756, et y reçu le serment d'allégeance de la population. Il défit ensuite, le 15 mai 756, Yûsuf al-Fihri, le dernier gouverneur et se fit proclamer émir d'al-Andalus dans la Grande Mosquée de Cordoue. Il n'avait pas encore vingt-six ans.
Abd al-Rahman Ier (756-788), s'efforça, peu à peu, de refaire l'unité de l'Espagne, qui avait vécu dans l'anarchie, pendant les décennies suivant la Conquête, et où s'affrontaient les différents groupes ethniques : Arabes yéménites et qaysites, Berbères et Arabes, Espagnols convertis (Muwalads) et Espagnols restés Chrétiens (Mozarabes)
En dépit de nombreuses révoltes, fomentées par l'ancien Gouverneur Yûsuf al-Fihri, ou même commanditées directement par l'autorité Abbasside, comme en 763, celle d'Ibn Mughith à Béja, ou les nombreuses insurrections berbères, qui ensanglantèrent, presque de bout en bout, son règne ; ainsi que différentes tentatives de membres de sa propre famille pour le renverser. Abd al-Rahman Ier fut intraitable et put malgré tout jeter les bases politiques et administratives de son émirat.
L'Éspagne musulmane, jusque-là simple province d'un immense Empire, se trouvait promue au rang de Principauté indépendante et, dès lors, maîtresse de sa destinée. Ce fut, également, sous le règne d'Abd al-Rahman Ier, "al-Dakhil" (l'Immigré), que Cordoue commença à faire vraiment figure de capitale musulmane, dotée d'une grande-mosquée et d'un palais émiral : l'Alcazar.
Abd al-Rahman Ier mourut le 30 septembre 788, à moins de soixante ans et après trente ans de règne. Il transmettait à son successeur un royaume que les offensives chrétiennes et les nombreuses séditions arabes et berbères n'avaient guère entamé et qu'il avait dû, à plusieurs reprises, reconquérir sur ses propres sujets, à la force des armes.
Abd al-Rahman Ier avait désigné pour lui succéder son fils Hisham Ier (788-796), dont le règne allait être fort court ; à peine un peu plus de sept ans, qui furent caractérisés par une absence presque totale de sédition à l'intérieur du pays ; mais il eut à juguler la révolte de ses frères Abd Allah et Sulaymân, évincés du trône et réfugiés à Tolède. Ils durent, l'un et l'autre, en 789, se soumettre à Hisham Ier, après que celui-ci eût investi Tolède, et être obligés de s'expatrier au Maghrib.
Ce fut cette relative tranquillité intérieure qui encouragea le pieux Hisham Ier à porter, presque à chaque été de son règne, la guerre sainte sur le territoire asturien (sawaïfs ou campagnes estivales). Il porta même la guerre, en 793, dans l'enclave franque de Gérone et jusqu'en Septimanie où il razzia Narbonne, sans pouvoir enlever cependant la citadelle.
Peu avant sa mort, il favorisa la doctrine malikite, de l'école juridique (mahdab) de Malik ibn Anas et son adoption officielle en Espagne musulmane. Il fit également des aménagements dans la grande Mosquée de Cordoue. Il mourut prématurément, le 17 avril 796, après avoir régné un peu plus de sept ans et à peine la quarantaine. Il avait désigné son second fils al-Hakam pour lui succéder.
À son avènement, al-Hakam Ier (796-822), avait vingt-six ans, et, contrairement à son père, dut faire face à des révoltes incessantes, et en premier lieu, à une querelle dynastique de la part de ses deux oncles, Abd Allah et Sulayman, qui avaient dû passer au Maghrib, exilés par Hisham. À la mort de ce dernier, ils revinrent en Espagne et fomentèrent des troubles. Sulayman fut défait par les troupes royales et mis à mort à Mérida. Quant à Abd Allah, après avoir été défait à Huesca, en 800, il continua son agitation du côté de Valence. Puis, il se résigne à faire des ouvertures à son neveu ; al-Hakam lui accorde son pardon à condition qu'il ne quitterait plus Valence ; Abd-Allah, qu'on appela désormais al-Balanci ("le Valencien"), tint ses engagements jusqu'à la mort d'al-Hakam.
Si l'on met à part, en même temps que l'activité hostile déployée par ses deux oncles et l'émeute qu'il dut successivement réprimer à Cordoue, on constate que le règne de ce prince fut presque entièrement consacré à éteindre les foyers d'incendie qui se rallumaient sans cesse dans les trois Marches-frontières du royaume, autour des villes de Saragosse, de Tolède et de Mérida.
Les plus graves révoltes furent celles de Tolède, qui furent suivies d'une sauvage répression, menée par Amrus sous l'ordre de l'émir, en cette fameuse "journée de la fosse (797). Amrus commença par se débarrasser du chef de révolte, Ubaïd Allah, en le faisant tomber dans un piège, avant de s'en prendre aux Tolédans eux-mêmes dont il décima leur bourgeoisie, lors d'une barbare tuerie. Tolède fut maîtrisée pour plusieurs années, mais ceci ne l'empêcha pas de se révolter, de nouveau, en 811 et en 818.
Dans la marche inférieure, la lutte fut menée contre les muwallads et les Berbères révoltés dans la ville de Mérida. Les opérations commencées par al-Hakam Ier en 805-806, devaient durer sept ans. Mérida ne se rendit qu'en 813. En 817, il fallut éteindre un nouveau soulèvement, et l'infant ("walad") Abd al-Rahman, dut se porter à Mérida avec une armée. Entre temps, en 808-809, une révolte se déclara à Lisbonne. Elle fut mâtée par un autre fils d'al-Hakam, le prince Hisham ; celui-ci purifia tout le pays situé entre Lisbonne et Coïmbre.
Telle serait la liste, déjà longue, des principales révoltes dont la répression occupa la majeure partie du règne d'al-Hakam Ier, s'il ne fallait ajouter les deux graves affaires qui ensanglantèrent Cordoue à treize années d'intervalle, et dont l'une, au moins, faillit coûter son trône au troisième Umeyyade d'Espagne. En mars 805, un grand nombre de notables de Cordoue avaient comploté pour le renverser. Mis au courant, al-Hakam Ier les fit tous arrêter et exécuter sans pitié. L'émotion provoquée par l'impitoyable verdict fut extrêmement vive à Cordoue ; et le mécontentement ne fit que croître.
En 818, une émeute d'un faubourg de Cordoue fut sauvagement réprimée et le faubourg complètement rasé, obligeant ses habitants à fuir le massacre et à s'expatrier au Maroc, où ils occupèrent un quartier de Fès, qui devait prendre le nom de "quartier des Andalous", ou en Crète, où ils formèrent une petite colonie, après avoir été chassés d'Égypte où ils avaient débarqué précédemment. Ces massacres de faubourgs valurent à l'émir le surnom d'al-Rabadi ("celui des faubourgs").
À sa mort en 822, il avait à peine cinquante-trois ans, al-Hakam Ier laissait cependant à son fils et successeur, Abd al-Rahman, un royaume tout entier soumis à l'autorité émirale et à peine entamé par les offensives franques et asturiennes.
En accédant au trône Abd al-Rahman II (822-852), fils d'al-Hakam Ier, prenait possession d'un territoire presque entièrement pacifié, pourvu de cadres administratifs suffisamment organisés, jouissant de finances prospères et d'une activité économique en plein essor.
Il lui a fallu pourtant lutter contre le péril représenté par les Normands ("Madjus" ou idolâtres), lorsqu'ils s'emparèrent de Cadix et de Séville, qu'ils pillèrent en 845 ; poursuivre les "sawaïf contre les territoires asturiens et sévir contre une rébellion des Mozarabes de Cordoue, conduite par le clerc Euloge (850-859).
C'est sous le règne d'Abd al-Rahman II, que le pays d'al-Andalus prend véritablement figure d'État indépendant, de Royaume incontesté au regard du monde musulman.
Sous le règne de son fils, Muhammad Ier (852-886), l'Espagne musulmane allait connaître encore d'assez longues périodes de calme politique et jouir dans la paix intérieure, au moins jusqu'aux alentours de 875, des bienfaits d'une autorité, à la fois vigilante et équitable.
Mais il y eut encore de nombreuses révoltes et dissidences, parmi lesquelles celle des Mozarabes Tolédans, aidés d'une forte armée asturienne envoyée par le roi Ordono Ier, et écrasés en 854 ; ou celle, plus grave, fomentée par Ibn Marwan al-Djilliki, qui finit par créer une principauté autonome autour de Badajoz (886), l'année de la mort de l'émir.
Son successeur al Mundhir (886-888), eut, pendant son court règne, des soucis bien plus pressants que la soumission d'al-Djilliki. Il était, en effet, urgent de combattre Ibn Hafsoun, qui avait soulevé l'Andalousie actuelle ; mais il tomba malade alors qu'il assiégeait le rebelle à la tête de ses troupes. Il n'eut alors que le temps de mander de Cordoue, son frère, Abdallah, pour lui confier la direction du siège, avant de rendre l'âme.
Le règne d'Abd Allah (888-912) fut relativement agité. Ce sont tantôt les Muwallads qui se dressent contre les Arabes, tantôt ces derniers qui, avec ou sans le concours des Berbères, se portent à l'attaque des néo-musulmans ; sans parler des multiples complots dynastiques, qui coûtèrent la vie à plus d'un membre de sa famille.
Quoi qu'il en soit, on ne peut dénier à l'émir Abd Allah le mérite d'avoir été, autant sinon plus qu'al-Hakam Ier et Abd al-Rahman II, celui qui a sauvegardé la restauration hispano-umeyyade réalisée à grande peine par Abd al-Rahman l'immigré.
Il laissa, néanmoins, un trône bien chancelant à son petit-fils Abu al-Muttarif Abderrahman.
Un nouveau règne s'ouvrait : celui du premier calife de Cordoue ; et avec lui, le IVe siècle de l'ère du Prophète, le plus glorieux et le plus fécond de l'Histoire de l'Espagne musulmane.
Le redressement fut opéré par Abd al-Rahman III (912-961). Homme doué d'une intelligence réaliste et méthodique, d'une ténacité à toute épreuve, ambitieux, tolérant, courageux et organisateur ; un prince exceptionnellement doué et dont la durée peu commune de son règne - tout près d'un demi-siècle - lui permettra de donner pleinement sa mesure.
Il va restaurer, dans al-Andalus, l'autorité et le prestige de la maison umeyyade, reconquérir les territoires tombés en dissidence, mettre fin à l'existence des principautés inféodées à Cordoue et étouffer définitivement la rébellion andalouse (929-932).
Il rétablit, également, son autorité sur les marches du Nord où les royaumes chrétiens reconnaissent son autorité, lui payant tribut. Malgré quelques incursions, Abd al-Rahman ne cherche cependant pas la conquête des territoires chrétiens
Au Maghreb, il fit tout pour contrecarrer l'expansion fatimide, soutenant les tribus Zenata ainsi que tous les petits états qui se trouvaient en conflit avec la Dynastie chiite, obtenant une "vassalité" de fait à l'autorité umeyyade, d'une grande partie du nord du Maroc et de vastes territoires du Maghreb ; vassalité qui allait subsister, malgré de nombreuses vicissitudes, jusqu'à la fin du Xe siècle. Il occupa même deux places maritimes stratégiques du détroit de Gibraltar : Ceuta et Tanger.
C'est aussi à la fois pour répondre à la proclamation du califat fatimide, qui constituait une menace, et pour affirmer, dans l'esprit de ses propres sujets, qu'Abd al-Rahman III accomplit le geste le plus significatif de sa carrière politique, en adoptant les titres éminents de "Calife" et de "Prince des Croyants" en 929, avec le surnom de "Nasir al-Din Allah" (défenseur de la Religion d'Allah). Face aux Fatimides, le Calife de Cordoue incarnait ainsi le souvenir de la Dynastie arabe de Damas et l'orthodoxie sunnite à un moment où le Califat abbasside était en pleine décadence.
Au niveau économique, il assainit les finances, ce qui lui permet d'entretenir une flotte conséquente. L'agriculture, l'artisanat et le commerce connaissent une période de grande prospérité. Sur le plan architectural, il fait construire le minaret de la Grande Mosquée de Cordoue, l'Alcazar et surtout le palais de Madinat al-Zahra (936-976).
À sa mort, en 961, la puissance arabe en Espagne se trouva alors à son apogée. Du royaume de Cordoue, sans cesse disputé à ses prédécesseurs, secoué par la guerre civile, les rivalités des clans arabes, les heurts des groupes ethniques dressés les uns contre les autres, il a su faire un État pacifié, prospère et immensément riche. La civilisation musulmane en Espagne semblait capable de rivaliser avec celle de l'Orient abbasside et surpassait de beaucoup celle de l'Occident chrétien.
Le règne du successeur d'al-Nasir, son fils aîné, al-Hakam II (961-976), fut l'un des plus pacifiques et des plus féconds de la Dynastie hispano-umeyyade. Son nom restera avant tout inséparable de celui de la merveille de l'art hispano-mauresque, la Grande Mosquée de Cordoue, qu'il agrandit et dota d'une magnifique parure. Il témoigna, également, toute sa vie, d'un penchant pour les sciences islamiques, comme pour les belles-lettres et les arts, possédant l'une des plus riches bibliothèques de son temps, ce qui a suffi à lui assurer une renommée durable. Cordoue, comme métropole des choses de l'esprit, brilla alors d'un éclat plus vif que sous al-Nasir. Mais son règne fut beaucoup plus bref, à peine une quinzaine d'années. Il prit le vocable honorifique d'al-Mustancir Billah (celui qui cherche l'aide victorieuse d'Allah). Il continua la même politique que son père, aussi bien à l'intérieur des frontières terrestres d'al-Andalus qu'au Maghreb occidental, sans néanmoins l'énergie et le caractère autoritaire de son prédécesseur.
À la mort d'al-Hakam II, l'autorité califienne va subir une atteinte sans précédent. Le nouveau souverain, Hisham II (976-1013), étant trop jeune, il n'avait que douze ans, et trop débile pour exercer lui-même le pouvoir ou le revendiquer à sa majorité, celui-ci va passer entre les mains d'un véritable dictateur, d'un "maire du Palais", le vizir Ibn Abî Amîr à la fois génial et sans scrupules, que son habileté politique, son ambition illimitée, sa grande valeur militaire et la protection bienveillante de la reine mère, porteront rapidement au faîte des honneurs.
Au bout de quelques années, qui lui suffiront à mettre à bas ses adversaires, un coup d'État lui assurera la direction exclusive et incontestée du Gouvernement d'al-Andalus. Il mènera dès lors une carrière prestigieuse, s'affirmant, peut-être plus encore qu'Abd al-Rahman al-Nasir, comme le champion de la gloire de l'Islam dans la Péninsule Ibérique. Il inscrira aux fastes de l'Empire hispano-umeyyade ses plus retentissantes victoires sur la chrétienté et il maintiendra sous sa rude poigne la population intérieure. Pendant plus de vingt ans, il apparaîtra comme le seul et véritable souverain d'al-Andalus, tandis que le calife en titre ne sera qu'un fantoche et passera tout à l'arrière plan de la scène politique vivant reclus à Madînat al-Zahrâ. À l'instar d'Abd al-Rahman III, il crée une nouvelle ville-palais, Madinat al-Zahira, à l'est de Cordoue. Bientôt, on ne l'appellera plus qu'al-Mansûr (le Victorieux), l'Almanzor des chroniques chrétiennes. Il s'empara de Barcelone, le Léon et Saint-Jacques-de-Compostelle (997). À l'intérieur il mata l'aristocratie arabe et réorganisa l'armée en faisant venir des contingents berbères.
À sa mort en 1002, un de ses fils Abd al-Malik, connu sous le vocable d'al-Muzaffar, lui succéda, mais il ne gouverna que six ans (1002-1008) et se montra respectueux des consignes et de la tradition paternelles.
Le calife Hisham, régnant toujours en titre, un troisième Régent "amiride", Abd al-Rahman, s'arroge le pouvoir à la mort de son frère Abd al-Malik. Ce ne sera que pour quelques mois ; puis s'ouvrira une crise politique d'une gravité extrême. Elle se prolongera plus de vingt ans et entraînera la chute définitive du califat umeyyade d'Occident.
De 1008 à 1031, al-Andalus sombra dans la guerre civile. Une révolte, menée par un prince umeyyade, al-Mahdi, gronde. Il s'empare du pouvoir, simule la mort de Hisham II, mais doit faire face à une nouvelle révolte, menée par Sulayman al-Mustaïn (1009-1010 et 1013-1016) qui s'empare de Cordoue et qui connaîtra une fin tragique à la fin de son second règne. Abd al-Rahman se réfugie à Tolède, tandis que le général al-Wahid, responsable des zones frontalières marche sur Cordoue avec l'appui des troupes catalanes qui pilleront la capitale en 1010. Hisham II est rétabli dans le califat (1010-1013), al-Wahid nommé Premier ministre. Éclate alors la révolte berbère. Les deux villes-palais sont entièrement détruites en 1010, et Cordoue est mise à feu et à sang, après un siège de trois ans.
C'en est fini du califat de Cordoue, victime de ses luttes intestines. Et même si jusqu'en 1031 il y a un calife à Cordoue, cela fait des années qu'al-Andalus est divisée de fait en royaumes indépendants, dirigés par des chefs berbères, slaves ou arabes. Cette situation va bénéficier aux royaumes chrétiens qui vont maintenant jouer des divisions internes du monde musulman.
Le califat de Cordoue disparaît en 1031 à l'issue de vingt ans de guerre civile. Ce n'est pas une nouvelle Dynastie qui va se substituer à l'ancienne, mais au contraire l'Empire va se démembrer en une nuée d'états minuscules, entre les mains de roitelets, connus sous le nom des Reyes de Taïfas ("Mamelouk al-Tawaïf" ou rois de factions), qui vont revendiquer leur portion de l'héritage califien, pour le plus grand profit des royaumes chrétiens qui engagent alors la Reconquista.
Au fil du siècle, les plus faibles de ces principautés disparaissent et certaines d'entre elles dominent nettement la scène andalouse : Grenade, entre les mains de la dynastie berbère des Zirides ; Saragosse, capitale de la Marche supérieure ; Tolède, qui contrôle toute la zone centrale jusqu'à Valence ; et surtout Séville, dirigée par la puissante dynastie des Abbadides, véritable émirat dominant grâce au contrôle de la vallée du Guadalquivir. La multiplication des cours et partant des mécènes, confèrent un éclat sans précédent aux sciences et à la littérature et font du XIe siècle le véritable siècle d'or d'al-Andalus. Mais entre les pouvoirs croissants des Empires berbères du Sud et les seigneurs chrétiens du Nord, al-Andalus, objet de toutes les convoitises, va disparaître progressivement.
Cet émiettement de l'Empire umeyyade d'Espagne par les Reyes de Taïfas va servir les intérêts de l'Espagne chrétienne, qui profitant de ce démembrement, va attaquer et résorber progressivement les territoires autonomes, qui ne peuvent compter sur l'aide de leurs voisins, jusqu'à les éliminer tous jusqu'au dernier, en 1492, avec la reddition de Buabdil de Grenade ; mettant un terme à l'existence de huit siècles de domination arabo-musulmane sur la Péninsule ibérique.
Deux noms, al-Nasir et al-Mansûr, vont dominer l'histoire de toute l'Espagne du Xe siècle.
Les Fatimides qui tirent leur nom de Fatima, la fille du Prophète, régnèrent en Afrique du Nord et en Égypte de 909 à 1171, soit plus de deux siècles et demi. L'origine du mouvement qui amena cette dynastie au pouvoir se situe en Iraq et se rattache à l'Ismaïlisme, doctrine chiite dont les adeptes attendent une rénovation de l'Islam à la fin de l'occultation du Mahdi, descendant du Prophète par Ali et Fatima. Cette propagande occulte intense aboutit à une explosion de la foi chiite, à la faveur de laquelle apparut le mahdi attendu, en la personne de Ubayd Allah, au début du Xe siècle.
Ubayd Allah vivait dans une petite ville de Syrie, Salamiya, devenue, vers 864, un centre de propagande ismaïlienne. Il s'affirmait descendant de Fatima et répandait sa propagande en Mésopotamie, en Perse et au Yémen. Mais ce fut sur la terre maghrébine que cette propagande chiite fut accueillie par les Kutâma, tribu berbère de la petite Kabylie, en lisière de l'Ifriqiya.
C'est Abû Abdallah, dâî, missionnaire propagandiste du Mahdi, qui suivit, vers 893, des notables berbères de la confédération des Kutâma, rencontrés lors d'un pèlerinage à la Mecque, au Maghreb où il se fixa. Il sut gagner à la cause du mahdi cette tribu des Kutâma, dont il fit une armée fanatisée, par un même idéal religieux, qu'il lança contre l'armée arabe aghlabide d'Ifriqiya.
Entre 902 et 909, à la tête de ces Kutâma, galvanisés par la prochaine venue du mahdi, il établit son autorité sur tout le territoire aghlabide, après avoir chassé le dernier émir aghlabide, Ziyâdat Allah, et entré, en mars 909, dans la capitale Raqqada. Quand il jugea son autorité suffisante, il partit à la recherche de son maître, le Mahdi Ubayd Allah, qui entre temps, fuyant les autorités de Bagdad, s'était réfugié à Sijilmasa, au Maroc, où, reconnu par le prince midraride kharidjite, il fut retenu prisonnier. C'est là que l'armée kutâmienne vint le délivrer, après avoir balayé au passage le Royaume rustémide de Tahert en 909, et investit Sijilmasa.
En 910, Ubayd Allah fit une entrée solennelle à Raqqâda, faubourg de Kairouan, capitale des Aghlabides, et prit officiellement le surnom d'al-Mahdi et le titre de Calife et de Commandeur des Croyants (amîr al-muminîn), devenant ainsi le premier calife fatimide, chef spirituel des Ismaïliens. Le pouvoir fatimide se pose en contre-califat chiite, rival du califat sunnite de Bagdad.
À peine au pouvoir, Ubayd Allah se révéla un chef énergique et autoritaire. Il conféra, au début, de hautes dignités à Abû Abd Allah et au frère de celui-ci, Abû al-Abbas, mais étant en désaccord avec eux, car ils voulaient partager le pouvoir avec lui, il les fit exécuter le 31 juillet 911. Puis, en une décennie, il parvint à contrôler l'Ifriqiya et le Maghreb Médian. Au Maghreb Extrême, les Idrisides reconnaissent sa suzeraineté et lui paient tribut jusqu'à l'occupation de Fès par les Fatimides en 921.
Al-Mahdi, qui régnera de 909 à 934, considérant, de par son ascendance, comme héritier légitime de l'Empire musulman tout entier, avait pour principal objectif d'étendre sa domination sur tout le monde islamique. Son premier objectif est d'engager la lutte contre les Abbassides et donc d'organiser une armée et une flotte. Il tourna d'abord ses regards du côté de l'Égypte, qui ne devait être, dans son esprit, qu'une étape vers la conquête du califat tout entier.
Dès l'hiver 913-934, il mit sur pied une première expédition, commandée par son fils Abû al-Qassim al-Qaïm. Celui-ci, après avoir occupé sans difficultés Alexandrie, fut délogé par les troupes abbassides envoyées de Bagdad.
Quatre années plus tard, deuxième tentative, mais de nouveau après avoir occupé Alexandrie, Abû al-Qassim dut battre en retraite et retourner en Ifriquiya.
En 921, Ubayd Allah créa une nouvelle capitale : Mahdiya, la ville du Mahdi, au sud de Sousse.
En 922, renonçant pour un temps à ses projets orientaux et avec l'aide de la tribu berbère des Meknasa, les tribus Chiites s'emparent de Sijilmasa, de Fès et d'une partie du Maroc, qui passe ainsi sous protectorat fatimide, par l'intermédiaire des Meknasa.
Le souverain fatimide hérita des Aghlabides d'une puissante flotte, qui lui permet de contrôler Malte, la Sardaigne, la Corse et les Baléares.
À la mort d'al-Mahdi, Muhammad Abû al-Qasim al-Qaïm (934-946), qui avait été désigné comme héritier, accède au pouvoir. Il régnera onze ans. Déjà commandant des troupes du vivant de son père, où il se montra un chef militaire aussi valeureux qu'impitoyable, il mena une politique expansionniste vers l'Ouest, occupa plusieurs villes dont Fès au Maroc. En 935, il fit une troisième tentative contre l'Égypte, qui aboutit à un nouvel échec.
Il occupa la Sicile, où, en 948, furent installés des Gouverneurs kalbites (d'origine syrienne) et au Maghreb, réduisit les Meknasa du Maroc, passés aux Umeyyades d'Espagne, et confia leurs territoires aux Idrissides.
Quelques années plus tard, al-Qaïm doit faire face à la révolte kharidjite d'Abû Yazid al-Nukkâri, celui qu'on appelait "l'homme à l'âne" (Sâhib al-Himâr). Soutenu par les Umeyyades d'Espagne, il arriva à soulever le Maghreb et amena la dynastie fatimide à deux doigts de sa perte.
Ce Kharidjite d'obédience nakkarite, les plus austères et les plus intransigeants des kharidjites maghrébins, va en 943, à la tête de la tribu berbère des Zenatâ, dont il fait partie, s'emparer de plusieurs villes dont Tébessa et Kairouan (943) ; il conquit rapidement l'Ifriqiya et mit le siège devant Mahdiya, la capitale fondée par Ubayd Allah, seule parcelle de l'Empire fatimide restée aux mains du calife (944). Après plusieurs tentatives, Abû Ziyad doit finalement lever le siège et il rentre à Kairouan. La dynastie fut sauvée, sous le calife al-Mansûr, par une autre tribu berbère, les Sanhadja d'Achir (région de Boghari en Algérie), commandée par leur chef Ziri ibn Manad, qui força le blocus.
En 946, à la mort d'al-Qaïm, son fils Abû al-Abbas Ismaïl al-Mansûr (946-953) lui succéda. Il mit toute son énergie à chasser le rebelle, Abû Ziyad, et à reconquérir son État : quelques jours, après avoir pris le pouvoir, il entrait à Kairouan et s'y maintenait, malgré les furieux coups de boutoir d'Abû Yazid. Enfin, une sanglante bataille livrée sous les murs de la ville décidait du sort de la rébellion (15 août 946). Puis, ce fut une terrible chasse à l'homme. Abû Yazid se réfugia dans les monts du Hodna où, au cours d'une ultime bataille, succomba à ses blessures, le 19 août 947. Cette victoire devait liquider, définitivement, le kharidjisme protestataire et insurrectionnel au Maghreb.
En cette même année 947, la sécurité entièrement assurée, al-Mansûr éleva une nouvelle capitale dans la banlieue de Kairouan, al-Mansûriya et édifia une grande Mosquée à Reggio di Calabre, en Sicile, où il dut réprimer une révolte la même année. Néanmoins, les Andalous avaient profité de la révolte d'Abû Yazid pour éliminer de tout le Maghreb Extrême l'influence des Fatimides ; la leur s'étendait même tout le long de la côte jusqu'à Alger où l'on disait la prière du vendredi au nom du calife de Cordoue.
À la mort d'al-Mansûr en mars 953, son fils nommé héritier présomptif quelques mois plus tôt, monte sur le trône et prend le titre d'al-Muïzz li-dîn Allah (953-975). Son règne durera vingt-deux ans et marque à la fois l'apogée et la fin de la domination fatimide sur le Maghreb. Avec les contingents Sanhadja de Ziri, dirigés par son général Jawhar, il s'empare de Fès et soumet le pays jusqu'à Tanger et Ceuta (958). Il établit ainsi une paix intérieure, que le Maghreb n'avait pas connu depuis longtemps.
Rassuré sur la situation du Maghreb Occidental, il put enfin réaliser les ambitions des autorités fatimides sur l'Égypte. Le maître de l'Égypte, l'Ikhshidide Kâfûr, meurt en 968, c'est le signal de l'avance. En février 969, il fit partir la majeure partie de son armée, commandée par son général Jawhar. L'armée des ghulams ikhshidides, vaincue, s'enfuit en Syrie. Bien accueilli par la population civile, Jawhar fonda, à peu de distance de Fustat-Misr, al-Qâhira (Le Caire), nouvelle capitale. L'Égypte devint alors pour deux siècles sous la domination d'un pouvoir chiite.
Le conquérant construit également, en 972, une mosquée-cathédrale al-Djâmia al-Azhar. Foyer d'enseignement ismaïlien à l'origine, cette vaste mosquée reste depuis un millénaire le centre le plus important du monde musulman pour les études de la langue arabe et les sciences religieuses.
Une fois le danger écarté, Jawhar pria l'Imam al-Muïzz de venir le rejoindre. La Dynastie abandonna alors, sans idée de retour, l'Ifriqiya, confiée au chef berbère Buluggin ibn Ziri, le fondateur de la Dynastie ziride.
Al-Muïzz entra dans sa nouvelle capitale en juin 973. Très vite, Jawhar va s'efforcer d'étendre la domination fatimide au-delà des frontières de l'Égypte. C'est ainsi qu'il occupa la Palestine, évacuée par les Qarmates, vaincus en 974 près du Caire ; puis Damas, ainsi que les deux villes saintes d'Arabie, La Mecque et Médine, en 971.
Sous le règne d'al-Muïzz, la cour du Caire connut un faste qui n'avait rien à envier à la cour de Bagdad. Ce fut, également, une période de grande floraison artistique et d'importante expansion économique.
En 975, al-Aziz succéda à son père. Il va dans un premier temps, avec l'aide de son vizir Ibn Killis, réorganiser la fiscalité et faire du Caire un centre financier de premier plan en Méditerranée. Mais la réussite militaire ne fut pas à la hauteur de ses ambitions.
Damas s"était donnée, en juin 975, à un maître turc, Alp Tegin, ancien ghûlam du Buwayhidde de Bagdad, qui constitua une principauté en Syrie centrale où les Fatimides ne conservèrent guère que le port fortifié de Tripoli. Mais en 978, l'armée fatimide, conduite par al-Aziz en personne, finit par s'emparer du Turc près de Ramlah et récupérer la Syrie. La souveraineté fatimide est alors reconnue de l'Atlantique à la mer Rouge, au Hidjaz, au Yémen et en Syrie. Mais l'objectif principal des califes fatimides sera le renversement de la dynastie abbasside et l'occupation de Bagdad.
En 996, al-Aziz mourut près du Caire, alors qu'il tentait depuis plusieurs mois de réunir une armée capable d'affronter les Byzantins, qui menaçaient la Syrie du Nord. La fin de son règne fut assombrie par une impuissance de l'État fatimide, tant dans le domaine militaire que celui des finances publiques ; impuissance qui annonçait les crises du XIe siècle. Au Maghreb, les liens avec le califat fatimide se détendirent pendant le gouvernement de Mansûr ibn Bullugin de 984 à 996.
Le fils et héritier désigné d'al-Aziz, Abû Ali al-Mansûr, connu sous son titre d'al-Hâkîm bi amr illah (996-1021), ayant moins de onze ans à son avènement, il fallut organiser une régence de fait et c'est son tuteur d'origine slave, Bardjawân, qui exerce le pouvoir. Il accédait à l'imamât alors que l'opposition, entre les militaires turcs et les tribus berbères, était à son paroxysme. En l'an 1000, le calife al-Hâkim trouva pesant le pouvoir de Bardjawân et le fit assassiner.
Enfant, il fut le témoin des conflits sanglants qui déchiraient les hauts dignitaires, civils et militaires de tout bords, qui se disputaient le pouvoir ; lui-même ne fut pas à l'abri d'un projet d'assassinat. Il en garda une méfiance maladive à l'égard de ses proches, qui fit de lui plus tard un calife atypique, qui manifesta très tôt une originalité de caractère et de comportement. Sa méfiance, devenant une idée fixe, se transforma peu à peu en folie meurtrière contre les hauts dignitaires et les étrangers. Même au point de vue religieux, il fit montre d'originalité. Voulant unifier l'Islam, sunnite et chiite, il interdit le pèlerinage à La Mecque et eut le projet, à partir de 1010, de faire du Caire un centre unique de pèlerinage pour tous ses sujets. Certains de ses adeptes virent en lui le véritable mahdi et allèrent jusqu'à le diviniser, donnant naissance à la secte druze. Il finit par accepter l'idée que la divinité s'était incarnée en lui. La proclamation de cette divinité d'al-Hâkim fut à l'origine d'une série de graves émeutes dont les principaux épisodes furent l'incendie de Fustat en 1020 et, à cette occasion, le combat des Turcs et des Berbères. Mais, parallèlement, il s'intéressa aussi aux différents domaines de la science et appela à lui les plus grands savants de son époque.
Son règne connut peu d'épisodes militaires glorieux.
Le 13 février 1021, il disparut mystérieusement au cours d'une promenade nocturne hors du Caire. Plusieurs jours plus tard, on retrouva ses vêtements lacérés et souillés de sang. Il aurait été assassiné à l'instigation de sa sœur Sitt al-Mulk. On ne trouva jamais son cadavre, ce qui accrédita la croyance en une occultation mystérieuse (ghayba) et en sa survie cachée.
Après la disparition d'al-Hâkim, l'autorité du calife allait se dégrader progressivement. Sa sœur Sitt al-Mulk joua un rôle important. Elle fit proclamer imâm, Ali al-Zâhir (1021-1036), le jeune fils d'al-Hâkim et conserva la régence jusqu'à sa mort en 1024. Puis le pouvoir passe aux mains du vizir Abû al-Qâsim, qui gouvernera l'Égypte durant près de vingt ans.
Contrairement à son père, al-Zâhir ne prit jamais en main directement les affaires de l'État. Il laissa un petit groupe d'hommes de cour, généraux et administrateurs civils, gouverner à sa place. Ce règne est marqué par des troubles du fait de l'insubordination des militaires et par un certain déclin du commerce.
En 1036, al-Zâhir mourut et fut remplacé par un enfant de sept ans, al-Mustansir (1036-1094), qui eut jusqu'en 1094 le plus long règne qu'ait connu un souverain musulman au Moyen Age.
Jusqu'en 1060, le régime fatimide, secoué au sommet par des luttes d'influence (les vizirs au Caire comme les gouverneurs à Damas se succédèrent), parut conserver grandeur et efficacité. Le Caire dominait les villes saintes d'Arabie, tenait toujours la Syrie centrale et méridionale.
En 1049, le calife exaspéré par l'indépendance des vassaux zirides en Ifriqiya et leur allégeance au califat abbasside de Bagdad, expédia vers l'Ouest, pour les punir, les tribus nomades d'Égypte, les Banû Hilal, qui dévastèrent le pays.
Puis de 1065 à 1072, pendant sept ans, l'Égypte connut de graves troubles internes ayant pour origine les dissensions entre les différents corps d'armée, issus de divers ethnies (Berbères, Turcs, Daylamites...), qui avides de pouvoir, menèrent entre eux une lutte sauvage, parsemée de retournements d'alliance, de trahison, de massacres, de pillages. Pendant cette période, al-Mustansir perdit tout pouvoir. À l'automne 1073, il fit appel au général arménien Badr al-Djamâli, gouverneur d'Acre en Palestine. Badr établit en Égypte un nouveau régime, dit vizirat de "délégation", qui réservait au chef de l'armée toute l'autorité des affaires civiles et militaires de l'État fatimide. Il gardera le pouvoir vingt ans. Il rétablit immédiatement l'ordre en éliminant radicalement tous les chefs turcs et bon nombre de hauts fonctionnaires égyptiens. L'action de Badr al-Djamâli, sur le plan intérieur, ramène la concorde en Égypte, les revenus de l'État s'accroissent très sensiblement, la réorganisation de l'administration et de l'armée donne à l'empire fatimide un sursis d'un siècle environ.
En 1076, le dernier Fatimide de Damas dut abandonner la ville et le chef turc Atsiz s'y installa. Il ne demeurait de présence fatimide en Syrie que dans certains ports (Tripoli, Saïda, Tyr et Acre). De leur côté, en 1039, les Francs dépouillèrent les Fatimides de Jérusalem, puis jusqu'en 1124, des grands ports du littoral libanais et palestinien. Les Fatimides repliés sur l'Égypte, remodelèrent leur espace géopolitique et changèrent de stratégie ; menacés à l'Ouest par les tribus berbères de Tripolitaine et à l'Est par les Francs.
Badr al-Djamâli avait échoué en Syrie, mais avait reconstruit l'État en Égypte. Il conserva le pouvoir jusqu'à sa mort en 1094, quelques mois avant la disparition d'al- Mustansir. À sa mort, sous la pression de l'armée, le poste de gouverneur est confié à son fils al-Afdal.
À la mort d'al-Mustansir, son fils al-Nizâr, héritier désigné, âgé de cinquante ans, fut écarté par le vizir al-Afdal, fils de Badr, au profit d'al-Mustâli (1094-1101) ; la rébellion qui s'en suivit fut à l'origine du mouvement nizarite ou néo-ismaïlien.
Al-Mustali, devenu calife à vingt ans, régna de 1094 à 1101, confiné dans son palais. Les croisés, suivant le littoral libanais, prirent Jérusalem et Ascalon en 1099, puis entre 1100 et 1101 : Haïfa et Césarée. Ils devaient poursuivre ensuite par Acre en 1104, Tripoli en 1109, Saïda en 1110, Tyr en 1124.
À la mort d'al-Mustâli en 1101, al-Afdal fit nommer calife un fils de ce dernier, al-Amir bi ahkâm Allah, âgé de cinq ans. En grandissant le calife supporta mal la tutelle de son vizir ; c'est pourquoi on devait l'accuser de complicité lors de son assassinat par les Nizârites en 1121, pour le choix qu'il avait fait à la mort d'al-Mustansir, en écartant al-Nizâr. Al-Afdal avait su imposer le calme durant plus d'un quart de siècle et avait réussi à accroître les revenus de l'Égypte.
En 1130, à la mort d'al-Amir, qui ne laissait aucun fils, son cousin, Abd al-Madjid, fut désigné comme Régent, puis calife sous le nom d'al-Hâfiz (1130-1149), dont le pouvoir ne dépassa pas les murs du palais. À sa mort, il fut remplacé par son fils, al-Zâfir (1149-1154), âgé de dix-sept ans, qui fut assassiné (?) en 1154 et remplacé par son fils, al-Faïz (1154-1160), un enfant de cinq ans, traumatisé par les scènes de meurtre dont il avait été le témoin et qui devait mourir en 1160, âgé d'à peine neuf ans.
Al-Adid (1160-1171), quatorzième et dernier calife fatimide d'Égypte, était le petit fils d'al-Hâfiz. Il était le dernier représentant d'une dynastie que Saladin allait supprimer en 1171, après un règne de deux siècles et demi.
En 1169, Nur al-Dîn, maître zengide de Syrie, à l'appel du calife, pour mettre de l'ordre à l'intérieur du pays, envoya une expédition en Égypte commandée par le Kurde Shîrkûh, assisté de son neveu Salah al-Dîn.
En janvier 1169, Shîrkûh vainqueur devint vizir, mais malade, il mourut quelques mois plus tard, laissant le commandement à Salah al-Dîn, plus connu en Occident sous le nom de Saladin. Celui-ci prit le titre de Vizir et rétablit l'ordre d'une main de fer, n'hésitant pas, l'été 1169, à l'occasion d'une révolte de palais, de faire donner les troupes turques et kurdes, exterminant les quatre mille soldats noirs, puis les soldats arméniens de l'armée fatimide.
Le calife al-Adid mourut en novembre 1171 et Salah al-Dîn régna en maître sur l'Égypte à la tête de la Dynastie des Ayyoubides.