L'Islam en Berbérie


Sommaire :


...Nous croyons avoir cité une série de faits qui prouvent que les Berbères ont toujours été un peuple puissant, redoutable, brave et nombreux ; un vrai peuple comme tant d'autres dans ce monde, tels que les Arabes, les Persans, les Grecs et les Romains.
     Ibn Khaldoun (1332-1406) : Histoire des Berbères

La Berbérie avant la conquête

La Berbérie ou "l'île de l'Occident" des Arabes (Djazirat al-Maghreb), comprenait essentiellement les états actuels du Maroc, de l'Algérie, de la Tunisie et peut-être de la Tripolitaine (partie nord-ouest de la Libye). Cette "île de l'Occident" constitue un vaste quadrilatère de hautes terres qu'enserrent les eaux de l'océan Atlantique et de la Méditerranée ainsi que les sables du Sahara. La direction générale des chaînes de montagnes suivent les parallèles, séparant une bande côtière de la partie saharienne, ce qui rendait facile les communications entre l'Est et l'Ouest et ce qui explique pourquoi tous les conquérants de la Berbérie l'ont pénétrée à partir de l'une ou de l'autre de ses extrémités.

Avant l'arrivée des Arabes et aussi loin que l'on remonte dans l'Histoire, le pays a été constamment soumis à l'influence et parfois à la domination des civilisations qui lui étaient extérieures : Phéniciens, Romains, Vandales, Byzantins...

Les Phéniciens, qui depuis une époque lointaine naviguaient sans cesse en Méditerranée, pour faire du commerce, avaient établi des comptoirs le long de la côte africaine. Ils fondèrent Carthage, leur capitale, en 814-813 avant notre ère, sous le règne du roi Pygmalion ou peut-être de sa sœur, Didon, reine de Tyr. Mais, au-delà de ses murs, le pays appartenait à ses habitants qui l'administraient selon leurs coutumes. Au cours des siècles, Carthage, prenant de l'expansion, s'affirmait en Berbérie comme une puissance souveraine. Il n'en exista pas moins, cependant, trois royaumes berbères qui se partageaient le Maghreb. Dès le IIIe siècle avant notre ère, apparaît, au nord du Maroc, une importante fédération de tribus formant le royaume des Maures ou Maurétanie, qui s'étendait à l'Est jusqu'au royaume des Masæsyles ou Numidie de l'Ouest, qui avait pour capitale Cirta (Constantine). Le troisième, celui des Massyles, ou Numidie de l'Est, était enserré entre ce dernier et le territoire punique de Carthage.

En l'an 203 avant J.C., l'aguellid Massinissa, fils de Gaïa, chef du petit royaume des Massyles, profitant des guerres puniques entre Romains et Carthaginois, et s'alliant à l'Empereur romain Scipion l'Africain, occupa le royaume des Masæsyles, gouverné par l'aguellid Syphax, allié de Carthage, en faisant une entrée foudroyante à Cirta et faisant prisonnier Syphax, mettant fin à la dynastie des Masæsyles. Il devint ensuite le maître de tous les territoires compris entre la Maurétanie et la province punique (de la Moulouya au Maroc à la Tusca près de Tabarka en Tunisie). Jamais, sauf peut-être plus tard, au temps du triomphe des Sanhadja zirides, le Maghreb ne fut plus près de réaliser l'ébauche d'une nation berbère. Il essaya de faire de la Berbérie un état unifié et indépendant. D'ailleurs, ne proclamait-il pas d'après Tite Live :

Contre les étrangers, qu'ils fussent Phéniciens ou Romains, l'Afrique doit appartenir aux Africains.

Pour concrétiser sa doctrine, il lui fallait s'emparer des territoires puniques et plus spécialement de Carthage, la capitale de la Berbérie. Ainsi, il aurait engagé la Berbérie entière dans la voie de l'unité. Cette unique expérience d'unification fut cependant sans lendemain, car, dès la mort de Massinissa (148), Rome, sous Scipion Émilien, redoutant la formation d'un puissant État berbère pouvant remplacer celui de Carthage qu'elle venait d'anéantir, s'empressa de l'affaiblir en le partageant entre les fils du grand aguellid : Micipsa et ses deux frères.

Plus tard, Jughurta, petit-fils de Massinissa, qui régnait sur tout le territoire numide, qui recouvrait l'Algérie, s'allia à son beau-père, Bocchus Ier, roi de Maurétanie, pour s'affranchir de l'autorité romaine et rétablir l'unité territoriale de son illustre aïeul ; mais, trahi, il fut livré aux Romains en 105 avant J.C. et mourut en captivité.

Par la suite, d'autres royaumes verront le jour, luttant contre l'autorité de Rome, comme sous Juba Ier, ou simples protectorats romains sous Juba II, souverain de parade (élevé à Rome par la sœur d'Octave, dans une captivité dorée, et marié, par ses protecteurs, à Cléopatre Séléné, fille de la grande Cléopatre et de Marc-Antoine), ou sous son fils Ptolémée et ceci jusqu'à l'annexion pure et simple de toute la Berbérie devenue pour quatre siècles (42-429) : l'Africa Romana. Et, bien curieusement alors, cette colonisation romaine connut son apogée sous un Empereur romain d'origine africaine, né en Libye, Septime Sévère (193-211), qui devenu le maître du monde, fonda la dynastie des Sévères.

Mais les Numides ne perdirent pas le souvenir du grand Aguellid qui les avait conduit dans la lutte contre l'impérialisme romain. Les soulèvements berbères éclatèrent sous le règne de Sévère Alexandre et, dès lors, ne cessèrent plus et, même si la domination romaine en Afrique ne connut jamais de sérieux périls, elle se heurta néanmoins à des révoltes indigènes, parfois graves, comme ce fut le cas avec le Berbère numide Tacfarinas, qui du temps de Tibère, tint, sept ans durant, en échec les armées romaines.

Il en est de même sous l'occupation des Vandales (435-534). Les tribus vandales, partant de la Baltique, n'abordèrent en Afrique qu'après des siècles de pérégrinations à travers l'Europe. Les voilà en Espagne à l'automne 409, après avoir traversé et pillé la Gaule. Dès 425, leurs navires pillèrent les côtes de la Maurétanie Tingitane. Puis, Genséric leur chef, profitant de l'anarchie qui régnait en Afrique ne manqua pas de tirer profit. L'empire romain ne fut pas en mesure de s'opposer à Genséric, jusqu'à son entrée en Numidie pour occuper tout le pays à l'exception de Cirta et de Carthage, qu'il prit en octobre 439 et en 456, devenant le maître de toute l'Afrique. Mais après la mort de leur conquérant Genséric, en 477, l'autorité vandale sur les tribus berbères n'avait fait que s'affaiblir ce qui permit à ces dernières de se révolter, de la Numidie à la Mauritanie, prenant des villes et constituant de petits royaumes indépendants, à l'instar de Iabdas roi du royaume de l'Aurès.

Puis ce fut le tour des Byzantins, qui profitant de ces troubles se décidèrent, avec Justinien, de porter la guerre en Afrique. Le commandement de l'expédition fut confié à Bélisaire. Celui-ci vainquit l'armée vandale de Gélimer, successeur de Genséric, qu'il captura en décembre 533 mettant fin à l'intermède vandale.
Les Byzantins connurent alors la guerre avec les tribus berbères de façon endémique, tenant souvent en échec les généraux de Byzance.

Et, pendant que les Berbères, perpétuant l'esprit d'indépendance numide, donnaient libre cours à leur haine instinctive du maître, les Arabes s'apprêtaient à attaquer l'indomptable Maghreb.


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La conquête arabe

Dix ans après la mort du Prophète en 632, ses successeurs occupaient une partie du pays berbère. Dès qu'ils abordèrent l'Afrique byzantine, les Arabes n'avaient pas, depuis qu'ils avaient franchi l'isthme de Suez (640), rencontré d'obstacle sérieux. Moins de quatre mille hommes avaient suffi pour régler, en une bataille, le sort de l'Égypte, où les Coptes persécutés accueillirent, avec enthousiasme, les envahisseurs.
Dès l'automne 642, la Cyrénaïque tombait entre leurs mains. De là, ils lancèrent des raids, vers le Sud, jusqu'au Fezzan et vers l'Ouest, jusqu'à Tripoli, qu'ils prirent d'assaut (643). Cependant, ils limitèrent leur occupation permanente à la Cyrénaïque et ne franchirent pas le Djebel Nefousa. Le général Amr ibn al-Aç, exalté par ses victoires, eut voulu tenter une expédition en Ifriqiya (Tunisie), mais le calife Umar s'y opposa.
Le successeur d'Umar, Uthman, autorisa son frère de lait, Abd Allah ibn Saad, gouverneur d'Égypte, à tenter l'aventure. Ibn Saad poussa une première pointe, en 645 ou 646, mais ce fut en 647 qu'il pénétra au Maghreb, où la domination byzantine était chancelante, et vainquit à Sufetula (Sbeïtla), l'armée du patrice Grégoire aidé des tribus berbères. Grégoire fut tué lors de l'engagement. Puis Ibn Saad regagna l'Égypte avec une énorme indemnité. L'expédition n'avait guère duré plus d'un an (647-648). Puis les troubles qui suivirent en Arabie l'assassinat du calife Uthman, en 656, valurent à l'Afrique dix-sept ans de répit.

Puis la nouvelle dynastie umeyyade, en confiant le gouvernement de l'Égypte, au vieil Amr ibn al-Aç, qui n'avait pas renoncé à ses visées sur l'Ifriqiya, reprit les projets d'expansion vers l'Ouest.
Les opérations reprirent en 665, avec Muawiya ibn Hudayj, qui pénétra en Byzacène sur l'ordre du calife, vainquit une armée byzantine débarquée à Hadrumète, enleva et mis à sac la forteresse de Aïn Jaloula, puis retourna en Égypte chargé de butin.
Peu de temps après, Uqba ibn Nafi, qui avait déjà exécuté un raid dans le Fezzan, organisa une troisième expédition et fonda, en 670, en Ifriqiya, une ville-camp : Kairouan (Qairawân), véritable place d'armes, contre les Byzantins, mais surtout contre les Berbères, qui représentaient dorénavant les seuls adversaires redoutables, et qui allait, également, servir de base de départ pour les expéditions ultérieures.
Malgré cette prise de possession, l'Ifriqiya ne devint pas une province autonome, mais une dépendance de l'Égypte. Uqba fut même destitué sans ménagement et remplacé par Abû al-Muhajir, client du nouveau gouverneur. Abû al-Muhajir se serait avancé jusqu'aux environs de Tlemcen où il vainquit et fit prisonnier Kusayla, prince des Awraba.
Mais la disgrâce de Uqba ne fut pas définitive. Il reçut en 681, le commandement suprême en Afrique et entreprit aussitôt un raid de grande envergure dans le Maghreb. Il poussa jusqu'à Tanger atteignant la cote atlantique ; ce fut la fameuse "course à l'Océan". Mais, en 683, de retour de son expédition vers l'Ouest, Uqba fut surpris dans la région de Biskra, dans les Aurès, et tué par une coalition de Berbères de la tribu des Awraba, dirigée par Kusayla, qui lui avait faussé compagnie. Son corps repose dans la mosquée de l'oasis qui porte son nom "Sidi Uqba" non loin de Biskra.
Cette victoire berbère parut décisive : les Arabes abandonnèrent toutes leurs conquêtes au-delà de Barqua (Libye) et Kusayla, après avoir pénétré dans Kairouan, devenait pour trois ans le chef de l'Ifriqiya et du Maghreb oriental. L'Afrique semblait vouloir garder son indépendance sous un chef berbère, autour de l'Aurès, où avait battu le cœur de la résistance berbère.
Mais les Arabes ne pouvaient pas rester sur un tel échec. Dès 686, le nouveau calife umeyyade, Abd al-Malik, organisait des expéditions qui permirent à Zohaïr ibn Qaïs d'entrer dans Kairouan, où Kusayla fut tué, puis de réoccuper progressivement et de pacifier le Maghreb. Puis Zohaïr se retira, ne laissant qu'une garnison à Kairouan. Il fut surpris et massacré à Barqa par un corps de débarquement byzantin. Et, malgré une dernière révolte, de près de cinq ans, menée par une reine puissante surnommée la Kahina ("la Prêtresse"), dans les montagnes de l'Aurès, à la tête de la tribu berbère des Jerawa, le pays fut définitivement soumis à la domination arabe, vers 702, par Hasan ibn Noaman.
À cette date, les Berbères avaient cessé de s'opposer aux conquérants et avaient même commencé à participer avec eux à l'administration de la nouvelle province musulmane d'Afrique, désormais indépendante de l'Égypte. Le nouveau gouverneur arabe, Musa ibn Nuçaïr, qui a d'abord soumis le Maghreb extrême, jusqu'à l'Atlantique, imposant l'Islam aux tribus berbères par une vigoureuse politique de conversion, avait même pris comme lieutenant un chef berbère, Tariq ibn Ziyad. Ce dernier, dès 711, entreprit d'envahir, à la tête d'une armée de Berbères islamisés, le territoire ibérique où le régime wisigoth était chancelant et franchit le détroit qui devait porter son nom : Gibraltar (Djebal Tariq).

Et dès la fin du VIIIe siècle, et à l'instar d'al-Andalus umeyyade, les liens directs avec l'autorité califale abbasside vont se relâcher au Maghreb, sous l'effet des entreprises de rebelles réfugiés de l'Orient : Ibn Rustum, Idris ... Qui vont trouver dans les tribus berbères un terrain propice à la propagation de leurs schismes.


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Les Rustémides : 776-909

  1. La longue épopée des Ibadites

    • Siffin ou la Grande Discorde

      Ali est proclamé Calife après l'assassinat d'Uthman en 656. La vieille aristocratie mecquoise des Umeyyades, qui avait si longtemps combattu le Prophète Muhammad, l'obligeant à émigrer à Médine, se révolte contre Ali. Muawiya, gouverneur de Syrie, prend la tête de l'opposition armée. Les deux parties se rencontrent à la bataille de Siffin en 657. Le sort des armes tourne à l'avantage des partisans d'Ali quand soudain ses adversaires piquent des feuilles de Coran à la pointe de leurs lances et demandent à grands cris l'arbitrage, technique de règlement des conflits armés admise à l'époque. Ali, plein de scrupules, accepte l'arbitrage et là, il est odieusement trompé, bafoué, déposé par l'arbitre qui le déclare vaincu. Muawiya se proclame Calife sur le champ. Mais, n'attendant pas la fin de l'arbitrage, une partie de l'armée d'Ali proclame celui-ci déchu, pour avoir accepté de remettre en cause la légitimité que Dieu, par le sort des armes, semblait lui confirmer, et consenti à un arbitrage alors que le "jugement appartient à Dieu seul". Ils "sortent" de l'armée, font sécession, se retirent près du canal de Nahrawân. Ali et le gros de son armée les déclarent "Kharidjites", les sortants (du verbe kharaja : sortir). Très exaltés, les Kharidjites proclament immédiatement infidèles et hors la loi tous ceux qui n'adoptent pas leur point de vue, reniant également Ali et Muawiya. Réciproquement, Ali qualifie sur le champ d'hérétiques et hétérodoxes les Kharidjites. Le schisme kharidjite, aussi important dans l'histoire de l'Islam que le schisme protestant dans le monde chrétien, n'allait pas cesser de provoquer mille querelles au cours des siècles à venir.

      Les suites de la bataille de Siffin sont tragiques ; l'année suivante, Ali retrouve ses adversaires à Nahrawân, en 658, et les écrase sans pitié. Le désordre est à son comble parmi la communauté des croyants. Ali, Muawiya et Amr ibn al-Aç (l'arbitre), gouverneur d'Égypte, sont opposés par de sanglantes rivalités. Une tradition raconte que les Kharidjites, désirant mettre fin à toutes ces querelles, projetèrent d'assassiner le même jour les trois rivaux. Muawiya et Amr ibn al-Aç échappèrent aux coups des conjurés et seul périt le calife Ali. Une autre tradition raconte que, en fait, Abd al-Rahman Ibn Muljam, l'assassin d'Ali, avait été soudoyé par les Umeyyades pour faire endosser le crime aux Kharidjites. Si cette machination est véridique, elle réussit en tout cas parfaitement, car le meurtre du Lion d'Allah pesa lourdement sur la secte kharidjite, considérée par la suite comme hérétique par les Chiites légitimistes ainsi que par les quatre rites sunnites orthodoxes.

    • L'Ibadisme

      Quoiqu'il en fut de ses querelles de clocher, les Kharidjites donnèrent naissance à plusieurs écoles théologiques et juridiques qui, naissant dans un premier temps à Bassorah où se sont concentrés les leaders du kharidjisme, çoffrites, Azrakites, Ibadites sont les premières familles de pensée issues du kharidjisme, la plus modérée étant la branche Ibadite fondée par Abu Billel, Djabir ibn Zayd et surtout Abdallah Ibn Ibad qui donna son nom à la secte.

      En quarante ans les djemmaâ ibadites de Bassorah prennent de plus en plus d'importance ; Abu Ubayda, le plus célèbre Cheikh Ibadite de l'époque, décide de créer un imamat ibadite universel sur les restes du califat umeyyade en ruines, en s'appuyant sur la riche et abondante communauté ibadite de Bassorah. Des fonds considérables sont recueillis, destinés à préparer en secret des missionnaires originaires de toutes les provinces du monde musulman. Ces missionnaires, organisés en véritables commandos, avec des finances abondantes, et surtout une foi ardente, sont envoyés au Khûrasan, dans l'Oman, au Hadramaout, au Yémen et enfin au Maghreb. Dans l'état de désorganisation complète du monde umeyyade, ces missionnaires reçoivent un accueil enthousiaste, tant il est vrai qu'en période d'incertitude, les apôtres ont toujours raison.
      L'Ibadisme se répand alors en Iraq, dans le Hedjaz, en Arabie centrale, dans le Hadramaout et au Yémen, dans l'Oman, en Perse, en Afrique orientale. Certains commerçants ibadites de l'Oman répandent la doctrine jusqu'en Inde et en Chine, au fur et à mesure que s'établissent les courants commerciaux avec l'Empire du Milieu.

    • L'Ibadisme au Maghreb

      C'est sous les derniers Umeyyades que les émissaires des Ibadites commencèrent à répandre dans le Maghreb leur puritanisme égalitaire (ils disaient que tout fidèle, s'il en est digne, peut être désigné comme calife par la communauté, en dehors de tout privilège de race, "fut-il même un esclave noir"...), qui fut accueilli avec enthousiasme. C'est d'abord chez les tribus berbères de la Tripolitaine occidentale que l'Ibadisme s'installa : Zenata et surtout Nefousa établis sur les parois rocheuses qui portent aujourd'hui encore leur nom (Djebal Nefousa) et qui dominent la plaine de la Jeffara, dont Tripoli est la capitale. Au fil des années, la fortune de ce nouvel état ibadite de Tripolitaine connaît des heurs et malheurs multiples.

      Les missionnaires d'Abû Ubayda reprennent la situation en main : Abû al-Khattab Abdallah Ibn Assam, Asim al-Sadrâti, cité plus tard comme un des grands généraux ibadites du Maghreb, Abu al-Munib Ismaïl ibn Darrar de Ghadames, Abu Daoud al-Quibli de Nafzawa dans le Sud tunisien, et enfin Abd al-Rahman Ibn Rustum, élèvent Abû al-Khattab à la dignité d'imam.

      En l'espace de deux ans, les Ibadites font la conquête de Tripoli et de Kairouan à la tête de laquelle Abû al-Khattab place Ibn Rustam le persan comme gouverneur (juin 758).


  2. Ibn Rustum

    Le futur fondateur de la Dynastie rustémide du Maghreb était d'origine persane. Son père Rustum quitta l'Iraq accompagné de son fils Abd al-Rahmân et de son épouse, afin de gagner le Maghreb. Arrivé à La Mecque, il trépassa. Son fils Abd al-Rahmân et sa mère rencontrent, par la suite, à La Mecque, des pèlerins du Maghreb ; la mère d'Abd al-Rahmân épousa un homme d'Ifriqiya qui les emmena jusqu'à Kairouan où Abd al-Rahmân grandit.

    Quand il eut atteint l'âge d'homme, qu'il eut étudié et fait ses classes à Bassorah, le jeune Abd al-Rahmân revint en Tripolitaine ; il est nommé gouverneur de Kairouan par l'imam Abû al-Khattab, jusqu'à la destruction de l'imamat par une armée abbasside à Taurga, à l'est de Tripoli, et la prise de Kairouan (août 761).
    Aussitôt après la prise de kairouan, Ibn Rustum quitte Kairouan de nuit avec son fils Abd al-Wahhâb, et un esclave, par l'ouest du pays, le Chott Djérid. Il gagne une zone montagneuse où il refait ses forces, récupère des chaykhs ibadites, eux aussi en fuite, et s'installe dans l'ouest de l'Algérie actuelle, dans la ville de Tahert (Tagdemt) non loin de Tiaret, où, quelques années plus tard, il est reconnu imam par l'ensemble des Ibadites du Maghreb (777).

    En cent trente années, jusqu'en 909, date de la destruction de la cité par les califes fatimides, les imams rustémides allaient créer un véritable État ibadite d'Afrique du Nord, de Tlemcen à Tripoli.

    Au maximum de sa puissance, l'État rustémide avait dans sa zone d'influence à l'Ouest : Tahert et le Sersou, au Sud : les oasis de l'oued Righ et Ouargla, à l'Est : le sud de la Tunisie, Gafsa, Tozeur, l'île de Djerba et toute la Tripolitaine, sauf la ville de Tripoli elle-même.
    Tahert était renommée pour le gouvernement de ses imams, réputés pour leur puritanisme et leur sens politique. Mais si les neuf imams qui se succèdent de 777 à 909, sont élus par les vénérables sages (Chaykhs) au nom de la communauté ibadite, le pouvoir est en fait héréditaire ; il existe une dynastie rustémide, organisée en théocratie. Parmi eux, émerge Aflah ibn abd al-Wahhâb qui régna près d'un demi-siècle (823-872). Au point de vue politique, ils avaient surtout à manœuvrer entre Idrisides et Aghlabides pour préserver leur pouvoir. La paix est signée avec Kairouan, suite à l'offensive abbasside au Maghreb de 722-787, et, côté idriside, les menaces ne se concrétiseront guère. Tahert parvient aussi à s'attirer l'appui des Umeyyades de Cordoue.

    En 909, cependant, les imams ne surent pas organiser une armée solide, si bien que, dès la première attaque, Abû Abd Allah al-Chii, le missionnaire propagandiste (dâï), à la tête de la tribu berbère des kutama, les balaya de Tahert pour fonder le nouvel et puissant état fatimide, érigé sur les ruines de l'Empire de Tahert, de l'État aghlabide, et même de l'État çofrite de Sijilmasa, la grande cité du sud marocain.

  3. De Sedrata de Ouargla à la fuite au désert et à l'édification de la Pentapole

    Fuyant à nouveau, comme son ancêtre Abd al-Rahmân ibn Rustum cent trente plus ans tôt, le dernier imam rustémide de Tahert se réfugie avec sa famille et les plus importants savants ibadites à Isdraten, Sedrata, dans l'oasis de Ouargla.

    Sedrata fut gouvernée par un conseil de notables puis, plus tard, au début du XIe siècle, par des conseils de reclus (al-Azzaba) présidés par un Chaykh dont l'autorité se manifestait aussi bien sur le plan spirituel que profane.

    Isdraten, (la Glorieuse), fut détruite au début du XIe siècle. Les survivants s'engagèrent alors, vers l'Ouest, dans le désert le plus rebutant, le plus aride, à 200 kms à l'ouest de Ouargla, dans la vallée du Oued M'zab. C'est là que les Ibadites rustémides décidèrent de se fixer. Dans cet endroit difficile d'accès, que personne ne viendrait plus les en chasser et où, en l'espace de cinquante années ils vont ériger les cinq villes de la Pentapole du M'zab : El-Atteuf (le tournant), la cité la plus en aval de l'oued (1012), puis Bou Noura (la lumineuse), Beni-Izguen (la sainte), Melika (la reine) et enfin Ghardaïa.

    Outre le M'zab, des poches ibadites perdurent à Ouargla, et plus encore dans l'île de Djerba et le Djebel Nefûsa. Mais après la révolte d'Abû Yazid (934-947), l'homme à l'âne, qui échoua à déloger les Fatimides, il n'y a plus eu de soulèvement portant la marque du kharidjisme au Maghreb.

 

Les Rustémides

 
  Abd al-Rahmân ibn Rustam : 777-784
  Abd al-Wahhâb ibn Abd al-Rahmân : 784-823
  Abû Saïd Aflah   823-872
  Abû Bakr ibn Aflah      }
Abû al-Yaqzân Muhammad }
872-894
  Abû Hatîm Yusuf :   894-897
901-907
  Yaqûb ibn Aflah :   897-901
  Yaqzân ibn Muhammad : 907-909
 

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Les Idrissides : 789-974

En 788, arrivait à Tanger un fugitif d'Orient, Idris ibn Abd Allah (789-793), arrière petit-fils d'al-Hasan ibn Ali. Compromis dans une rébellion des Alides contre les Abbassides, il avait dû fuir la répression qui s'en suivit près de La Mecque (786), et poursuit son chemin, accompagné d'un seul affranchi, Rashîd, jusqu'au Maroc ; ne pouvant se fixer ni en Ifriqiya, qui restait fidèle au califat, ni dans le Maghreb central, tenu par les Kharidjites rustémides. Il fut finalement accueilli par la tribu berbère des Awraba, fixée autour de l'ancienne cité romaine de Volubilis (Walila), qui le reconnut imam en 789. Il fonda une dynastie chiite et instaura un régime indépendant des Abbassides.
Idris fonda une nouvelle ville, Madinat Fas (Fès), sur la rive droite du oued Fas, et commença à se tailler un royaume à l'aide des tribus berbères du Nord du Maroc. Il s'attaqua tour à tour au Tamesna (région de Salé), et à Tlemcen dont il prit possession. Mais à peine ses succès étaient-ils connus que le calife Haroun al-Rashid le faisait empoisonner par un de ses émissaires.

Mais c'est à Idris II (793-828), fils d'une concubine berbère, Kenza, dont revient le mérite d'être le fondateur du premier État marocain, ayant réussi à regrouper sous son autorité presque tout ce qui constitue l'Empire Chérifien d'aujourd'hui. Il avait surtout réussi à grouper, sous une seule autorité musulmane, nombre de tribus berbères, jusque-là indépendantes les unes des autres. Il fonda, face à la ville de Fès, érigée par son père quelque vingt ans plus tôt, sur la rive gauche de la rivière, la nouvelle Fès, al-Aliya, ou ville haute (809). Et bientôt, les deux villes jumelles recevaient brusquement un afflux de population, avec plusieurs familles de Kairouan et de Cordoue, contraintes à l'exil par des vicissitudes politiques dans leurs pays d'origine (808 et 818).

À la mort d'Idris II, prématurément disparu (828), sur les conseils de leur grand-mère Kenza la berbère, ses dix fils se partagèrent l'héritage de leur père et les principautés idrissides subsistèrent vaille que vaille jusqu'à l'arrivée des Fatimides en 921.
Puis les derniers Idrissides s'accrochèrent encore aux montagnes voisines des Ghomara (Tanger) et les régions du Rif, jusqu'à ce que les généraux de Cordoue missent fin à la dynastie, en 974, après que le dernier personnage connu, al-Hasan ibn al-Qâsim ne se rendit aux Umeyyades et qu'il se soit ensuite réfugié en Égypte où il est assassiné en 985.

 

Les Idrissides

 
  Idris Ier :   789-793
  Idris II :   793-828
  Muhammad al-Muntasir : 828-836
  Ali Ier :   836-849
  Yahyâ Ier ibn Muhammad : 849-863
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  al-Hasan ibn al-Qâsim ?-974
 

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Les Aghlabides : 800-909

La partie orientale du Maghreb, ou Ifriqiya (Tunisie, Algérie orientale et Tripolitaine occidentale), connaissait l'essor de successives dynasties. Tout d'abord, Ibrahim ibn al-Aghlab (800-812), chef militaire issu des Khûrasaniens, dont les nouveaux califes abbassides s'étaient entourés à partir de 750, qui avait été chargé, comme son père avant lui, de rétablir l'ordre dans le Maghreb oriental, alors en pleine agitation. Personnalité de premier plan, savant, habile et audacieux, il avait obtenu, en 800, du calife Haroun al-Rachid que celui-ci lui concédât l'émirat de la région de Kairouan à titre héréditaire, moyennant un tribut annuel. Ainsi, fut créée la petite dynastie des Aghlabides, qui régna pendant un siècle et jouit d'une autonomie quasi-complète, tout en protégeant le monde arabo-islamique contre les entreprises des Berbères et en reculant même ses limites par quelques conquêtes.
Si Abd Allah Ier (812-817), fut un tyran qui ne songea qu'à exploiter ses sujets, c'est Ziyadat Allah Ier (817-838), qui mata la révolte de la milice arabe qui mit parfois la dynastie à deux doigts de sa perte. À l'activité belliqueuse de la milice révoltée, Il offrit la ressource inespérée d'une guerre contre les chrétiens de Sicile. Il se dota d'une flotte importante et, en 827, il débarqua en Sicile une armée de djunds arabes et de Berbères. Quatre ans plus tard, les Arabes prirent Palerme, dont ils firent leur capitale, puis enlevèrent Messine (843), puis, après plus de trente années d'efforts, Enna (Castrogiovanni, 859). Et malgré les efforts intermittents de Byzance et les interventions de Venise, les troupes aghlabides progressèrent en Sicile, et en Italie du Sud. En 878, succomba Syracuse, en 902, Taormina. Dès lors, les Arabes tinrent toute la Sicile.
On doit, également, à Ziyadat Allah Ier la reconstruction, en 836, de la Grande Mosquée de Kairouan, dont on attribue la construction première à Uqba ibn Nâfi.

Abû Iqal (838-841) montra de bonnes dispositions durant son court règne. Muhammad Ier (841-856) se complut dans l'ignorance et dans la débauche. Ahmad (856-863) dans la vertu et les constructions. Muhammad II (864-875), après le court intermède de Ziyadat Allah II (863), s'adonnait à la chasse et au vin.

Ibrahim II (875-902), l'émir le plus fameux de la famille, véritable homme d'État, fut un déséquilibré qui se rassasia de massacres des siens, puis finit pieusement, en combattant les chrétiens de Sicile, après avoir renoncé au pouvoir. On lui doit la construction de la nouvelle capitale : Raqqada

L'excellent Abd Allah II (902-903), savant théologien, populaire quoique motazilite, périt, au bout d'un an, sous les coups de son fils Ziyadat Allah III (903-909), dégénéré, féroce, qui ne put résister aux attaques des contingents kutama, que le missionnaire chiite Abû Abd Allah (dâï fatimide) lança contre lui. Il s'enfuit en Orient, où il vécut des jours misérables.

On doit aux Aghlabides, qui reconnaissaient la suzeraineté du califat abbasside et en conservait sa politique doctrinale fidèle au sunnisme, une certaine activité constructive. On leur doit notamment les premiers grands monuments d'architecture islamique de Tunisie, la Grande Mosquée de Kairouan, la Grande Mosquée de l'Olivier (Zaytûna) de Tunis, celle de Sfax, de Sousse, des enceintes fortifiées de plusieurs villes, les "ribats" (couvents fortifiés) de Sousse et de Monastir, ainsi que la fondation de leur capitale : Raqqada.

 

Les Aghlabides

 
  Ibrahim Ier ibn Aghlab : 800-812
  Abd Allah Ier : 812-817
  Ziyadât Allah Ier ibn Ibrâhim : 817-838
  Abû Iqal al-Aghlab :   838-841
  Muhammad Ier ibn al-Aghlab 841-856
  Abû Ibrahim Ahmad :   856-863
  Ziyâdat Allâh II :   863
  Abû al-Ghâraniq Muhammad II : 863-875
  Ibrâhim II :   875-902
  Abd Allâh II :   902-903
  Ziyâdat Allâh III :   903-909
 

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Les Fatimides

(voir chapitre : Les Grandes Dynasties arabes)

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Les zirides : 973-1152

Bulluggîn ibn Ziri ibn Manad (972-984), émir de la tribu berbère Sanhadja, qui avait aidé, avec son père Ziri ibn Manad d'Achir, les Fatimides dans leur combat contre les soldats d'Abû Yazid (l'homme à l'âne) et contre les nomades Zenata, fut nommé Gouverneur militaire d'Ifriqiya par al-Muizz, lors du transfert de la Dynastie en Égypte.
En 972, Buluggîn fut investi, sous le nom d'Abdûl-Fatah Yucef, de tout l'Occident fatimide moins la Sicile et la Tripolitaine ; cette dernière lui fut confiée plus tard (978) par al-Aziz, successeur d'al-Muizz. Il s'installa aussitôt à Mansûriya, la capitale de l'Ifriqiya.
Devenu émir, il continua à combattre les Zenata, qu'il chassa définitivement du Maghreb central, détruisit Tiaret et prit Tlemcen. Puis, il établit fermement sa domination sur le Maghreb, jusqu'à Fès et Siljimasa, et sur la Tripolitaine. À l'intérieur, il fonda et fortifia Alger, Miliana et Médéa. Il n'en reste pas moins un dynaste régional sous l'autorité du califat fatimide. Il mourut en 984.

Son fils, Mansûr ibn Buluggîn (984-996) lui succéda. Après la défaite de l'une de ses armées au Maghreb occidental, il abandonna la politique de guerre contre les Zenata, qu'avait menée son père, leur reconnaissant une autorité sur le Maghreb Extrême, qui tomba ainsi dans l'orbite du califat de Cordoue. Il s'efforça, également, de conserver de bons rapports avec l'imam fatimide du Caire, al-Aziz.
En 986, il fit lever les impôts parmi les Kutama. Cette tribu s'estimait dispensée de contribution pour l'aide qu'elle avait apportée à la dynastie fatimide, lors de son installation en Ifriqiya. Elle s'était même constituée en nation indépendante avec l'aval du Caire. La rébellion dura deux ans ; Mansûr conduisit en personne une expédition contre eux et remporta une victoire complète. En 989, une seconde révolte n'eut pas un meilleur sort : c'en était fini des Kutama ; les Sanhadja d'Achir avaient rétabli leur hégémonie sur toute la moitié orientale du Maghreb. Mais ils abandonnaient le reste aux Zenata. Ainsi s'établissait un équilibre relatif entre les Zenata et les Sanhadja.

À la mort de Mansûr, son fils Bâdis ibn Mansûr (996-1016), fut nommé émir en 996. Avec l'aide d'un grand-oncle, Hammâd ibn Ziri, il dut lutter, dès 996, à l'ouest de l'Ifrqiya, sur le territoire de l'actuelle Algérie, contre les tribus berbères occidentales, Zenata et Maghrawa. Vers l'an 1000, il affronta à l'Est, en Tripolitaine, des chefs berbères orientaux et des tribus arabes, soutenus par les Fatimides du Caire.
En 1004-1005, alors que la peste et une grande famine frappaient le pays, Bâdis accorda à son oncle Hammâd, pour son aide à ramener l'ordre dans les tribus zénatiennes, le droit de fonder une principauté autour de la ville nouvelle, la Qalaa, à mille mètres d'altitude, au nord-est de M'sila, au sud du Hodna (1007-1008). Dès lors, l'Ifriqiya et le Maghreb central relèvent de deux autorités distinctes : à l'Est, celle des Zirides, entre Mila et Tripoli, à l'Ouest celle des Banû Hammad (Hammadides), de l'Aurès à Tahert.
En 1015, Hammâd le fondateur de la "Qalaa des Banû Hammâd", se révolta, reconnaissant le califat abbasside et Bâdis mena alors contre lui une campagne victorieuse au cours de laquelle il mourut.

Son fils et successeur, al-Muizz ibn Bâdis (1016-1062), accéda au pouvoir encore enfant. Son installation dans l'ancienne capitale fatimide, al-Mansuriya, près de Kairouan, ville majoritairement sunnite, déclencha une émeute anti-chiite très meurtrière, au cours de laquelle le jeune prince failli perdre la vie. L'année suivante, en 1017, à la suite de nouveaux troubles, le pouvoir ziride se livra à une violente répression et à un pillage général dans Kairouan, à la suite de quoi le calme revint pour une longue période.
La guerre reprit en 1017, entre al-Muizz et son grand-oncle Hammâd, sans aboutir à un résultat marquant. Il dut se résigner au fait accompli (1017). Il y eut, dès lors, deux dynasties sanhadjiennes indépendantes et promptes à devenir hostiles.
Jusqu'en 1022, les relations du Ziride avec les imams fatimides, al-Hâkim, puis al-Zâhir, furent excellentes. Une situation générale assez calme prévalut alors en Ifriqiya pendant près de trente-cinq ans, malgré quelques révoltes vite réprimées.
À l'extérieur, une expédition menée contre l'Italie centrale en 1020, une autre contre la Sicile en 1025-1026, s'achevèrent en désastre. En 1034-1035, les Pisans occupèrent quelques mois Bûna (Annaba). L'année suivante, une nouvelle expédition ziride contre la Sicile permet de s'emparer momentanément de Palerme, alors menacée par les Byzantins et les Normands, mais s'acheva à nouveau sur un échec.

Les liens entre l'Ifriqiya ziride et l'Égypte fatimide s'étaient distendus, à partir du règne d'al-Mustansir. Les Zirides gagnés au sunnisme de rite malikite, sous l'influence des docteurs de Kairouan toujours hostiles au régime chiite des Fatimides, finirent, en 1048, par rejeter la suzeraineté de leurs anciens maîtres fatimides pour leur substituer celle du califat abbasside de Bagdad. Au même moment en Égypte, les tribus arabes et berbères, presque constamment révoltées, faisaient régner l'insécurité à l'ouest du Delta et en Tripolitaine. Vers 1045-1050, les désordres tribaux s'aggravèrent dans le Delta et en Haute Égypte. Le vizir al-Yazûri conseilla alors au calife al-Mustansîr de se débarrasser de ces Bédouins turbulents en les envoyant piller le Maghreb, punissant par la même occasion la dynastie ziride d'avoir abandonné l'obédience fatimide pour celle des Abbassides. Ces tribus bédouines, constituées essentiellement des Banû Hilal suivis bientôt des Banû Solaïm, quittèrent l'Égypte en 1051 et se ruèrent sur l'Ifriqiya. En 1052, vainqueurs à Haydâran, près de Gabès, de la coalition réunie par les Zirides, les Hilaliens occupèrent et pillèrent la Tripolitaine, saccagèrent Kairouan et ravagèrent la riche vallée de la Medjerda.

 Semblables à une armée de sauterelles, ils détruisaient tout sur leur passage.
(Ibn Khaldoun)


Muizz, revenu à l'obédience chiite, dut abandonner Kairouan, qui fut complètement pillée, en novembre 1057, et se réfugia à Mahdiya d'où il exerça jusqu'à sa mort, en 1062, un pouvoir réduit dans une province soumise à l'anarchie politique.

Désormais, la dynastie ziride se cantonna dans une position défensive sur la presqu'île de Mahdiya. En 1087, Pisans et Génois occupèrent momentanément la cité qu'ils pillèrent et incendièrent. Puis la ville résista en 1023 à l'attaque des Normands, en 1134 à celle des Hammadides, mais elle fut finalement prise par les Normands de Roger II en 1148. Enfin, les Almohades, qui avaient eu raison des Hammadides, mirent fin au Royaume ziride en 1160.


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Les Hammadides : 1015-1152

Hammâd ibn Buluggîn, grand oncle du troisième souverain Ziride, Bâdis ibn al-Mansûr, fut autorisé par ce dernier à fonder une principauté, dans le Maghreb central, pour le récompenser de son aide, lors de sa lutte contre les tribus Zenata. Hammâd, ambitieux et valeureux chef de guerre, fonda un royaume à sa mesure, loin à l'ouest de Kairouan. Il quitta sa première résidence d'Achir pour la Qalaa, dans le Hodna, au nord-est de M'sila, qui allait devenir la capitale des Banû Hammâd (Hammadides), et rivaliser avec Kairouan.

Le nouveau prince et ses descendants, afin d'assurer leur indépendance, durent non seulement combattre les Zenata à l'ouest, ennemis de toujours des Sanhadja, mais aussi leurs parents de l'Est, les Zirides, qui prenaient ombrage de leur puissance et leur indépendance. Badis assiégea Hammâd dans la Qalaa, mais mourut sans avoir abouti. Al-Muizz ne réussit pas davantage et dut se résigner au fait accompli (1017). Il y eut, alors, deux dynasties sanhadjiennes indépendantes. Ils durent également prendre parti, tantôt pour et tantôt contre l'obédience aux Fatimides chiites du Caire, leurs anciens maîtres.

Après le court règne d'al-Muhsin ibn al-Qaïd (1054-1055), assassiné par un cousin, Muhammad ibn Hammâd ou Buluggîn II (1055-1062), qui lui succède. Buluggîn va se rapprocher de certaines fractions hilaliennes, alors que les Zirides faisaient alliance avec d'autres tribus arabes. Il semble, également, s'être désintéressé de l'Ifriqiya et, se tournant vers l'ouest, il s'imposa face aux Zenata et accrut sa puissance vers le Sud (Biskra), et vers le sud-ouest. Quand les Almoravides eurent pris Siljimasa, Buluggîn II alla au Maroc attaquer à nouveau les Zenata et s'emparer de Fès. Il fut tué sur le chemin du retour.

Son successeur, son cousin, al-Nâsir ibn Alannas ibn Hammâd (1062-1088), put appuyer son pouvoir sur la position prestigieuse de la Qalaa. La population comprenait des Sanhadja, des Djarawa venant de la région environnante et des sunnites ayant fui l'Ifriqia. Les Banû Hammâd avaient l'ambition de donner à la Qalaa, au Maghreb central, le rôle occupé en Ifriqiya par Kairouan avant l'invasion hilalienne.
Ayant reçu l'hommage de Sfax et de Tunis, petites principautés qui s'étaient constituées aux dépens du pouvoir ziride, Nâsir crut pouvoir revenir en Ifriqiya, mais il fut vaincu à Sabiha, entre Kairouan et Tébessa, en 1065, par le prince Ziride Tamîm, soutenu par les Arabes Riyâh, fraction de Hilâl, qui avait pris une place dominante en Ifriqiya. Mais en 1077, le mariage de Nâsir avec une fille de Tamîm scella le rapprochement des deux dynasties parentes.

Al-Mansur ibn al-Nâsir (1088-1105), sixième prince Hammadide, guerrier, homme de décision et d'autorité, continua de profiter de l'affaiblissement des Zirides de Mahdiya pour renforcer l'emprise de sa principauté sur l'actuelle Algérie orientale. Sous la poussée vers l'Ouest des Banû Hilal, il dut lui-même doubler sa capitale de la Qalaa, où il se sentait menacé, d'une seconde capitale, le port de Bougie (Bidjâya) où il s'installe définitivement en 1090. Il lutta à l'Est et au Sud contre des rébellions familiales, renforcées par l'appui des Zirides, et à l'Ouest contre la poussée des Almohades de Tlemcen, nouveaux maîtres du Maghreb occidental, et des Zenâta. Cette coalition ayant pris Achir, Mansûr leva une armée de dix mille hommes et écrasa, en 1102, ses ennemis devant Tlemcen, qu'il épargna. Il pourchassa les Zenata et les autres tribus rebelles, rétablissant brillamment sa situation, à la veille de sa mort en 1105. Il fut le premier Hammadide à battre monnaie.

Après le court et malheureux règne de Bâdis ibn al-Mansûr en 1105, celui de son frère, al-Aziz ibn al-Mansûr (1105-1121), fut relativement calme et permit aux Hammadides de conclure la paix avec les Zenata, de mettre la main sur l'île de Djerba et d'obtenir la soumission du seigneur Khurasânide de Tunis, qui profitant de la débâcle ziride, en 1062, devant les Banû Hilal, s'était constitué un petit état indépendant.

Yahyâ ibn al-Aziz (1121-1152), son fils et successeur, réussit à s'emparer de Tunis, où il plaça un parent, mais échoua devant Mahdiya, défendue par une flotte sicilienne.
À l'extérieur, il tenta un rapprochement, vers 1141, avec le Fatimide al-Hafiz, mais, en 1149, il battait monnaie au nom du calife abbasside al-Muktafi. À partir de 1145, le littoral subit des descentes des flottes chrétiennes de Sicile. En 1148, les Normands conquirent le littoral, mais cela n'eut pas un grand impact sur les tribus arabes installées à l'intérieur des terres. En 1152, la conquête rapide du Maghreb Central par les Almohades et la prise de Bougie mit un terme à la Dynastie hammadide, dont le dernier prince, Yahyâ, finit sa vie paisiblement, prisonnier à Salé en 1163.


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Les Almoravides : 1056-1147

Au moment même où les tribus arabes hilaliennes envahissaient le Maghreb par le Sud-est, un autre groupement nomade, berbère celui-là, se formait dans le Sahara Occidental et se préparait lui aussi à déferler sur le Maghreb par le Sud-ouest. C'étaient les Sanhadjas voilés connus sous le nom d'Almoravides. En l'espace d'un demi-siècle, ils allaient constituer, dans la partie occidentale du pays et en Espagne, un immense Empire berbère, aboutissant à une unité "Berbéro-andalouse" et débouchant sur la civilisation "hispano-mauresque", qui connut un remarquable épanouissement à l'époque almohade.

Le Sahara Occidental, où va apparaître et se développer le mouvement almoravide, est occupé par des tribus de grands nomades chameliers, les Lemtûna, qui se rattachent, comme certaines tribus du Nord, à l'ensemble sanhadjien, d'où sont issus également les Zirides, mais caractérisé par des coutumes originales auxquelles ces groupes doivent en particulier leur appellation de "voilés ("al-mulaththimûn"). Ils portaient en effet un voile (litham) qui leur couvrait la moitié inférieure du visage.
Les principales tribus - Lamtûna basées dans l'Adrar mauritanien et Juddâla, des zones désertiques situées au nord du Niger - s'étaient regroupées au IXe siècle en une confédération. Un des chefs, Yahyâ ibn Ibrahim al-Juddâli, part en pèlerinage pour La Mecque avec des notables, en 1036. À son retour, il assiste, subjugué, à Kairouan, à l'enseignement du grand docteur Abû Imrân al-Fasi, et lui demande de dépêcher au Sahara l'un de ses disciples pour enseigner le Coran aux tribus sanhadjiennes. C'est ainsi qu'Abd Allah ibn Yasîn, malikite, originaire lui-même d'une tribu sanhadjienne de la bordure nord du Sahara, accepte de venir s'installer chez les tribus sahariennes pour réformer leur pratique religieuse et leurs mœurs (1039). C'était un homme d'action, un meneur d'hommes plus qu'un doctrinaire.
Obligés un temps à se retirer dans une île où est établi le "ribat", centre de djihad, et souvent considéré comme ayant donné son nom au mouvement ("al-Murâbitûn" ou Almoravides), les disciples d'Ibn Yasîn et des quelques chefs qui lui sont fidèles sont organisés en un groupe soumis à une discipline très dure et organisé militairement, en vue de conquêtes (futûhât), grossit rapidement et s'impose à l'ensemble des tribus sahariennes.
Ibn Yasin, qui demeurait le chef religieux, plaça les troupes sous le commandement d'un chef lemtûnien, adepte de la première heure, Yahia ibn Umar. Il commence à intervenir dans les régions qui bordent le Sahara au Nord (1054-1055), puis s'empare de Sijilmasa (1056).
À la mort de Yahia (1056), son frère Abû Bakr ibn Umar, reçut d'Ibn Yasin la direction des troupes. La place forte zénète d'Aghmât est prise en 1058. Abû Bakr y établit sa capitale, et prend pour épouse la veuve de l'émir d'Aghmat, l'influente Zaynab. Et c'est au cours des luttes menées plus au Nord contre les Barghawata qu'Ibn Yasîn est tué en 1059.

La direction du mouvement revint alors à Abû Bakr ibn Umar (1056-1061). Il confie les opérations au Nord à son parent et lieutenant Yusûf ibn Tashfîn (1061-1106), pour aller lui-même au Sahara réprimer une nouvelle révolte de l'une des tribus, qui jusque-là avait adhéré au mouvement, les Massûfa et pour mener jusqu'à sa mort en 1088, le djihad contre les Noirs, et obtenir la soumission du Ghâna.
Yûsuf épouse à son tour Zaynab qui, par ses connaissances des dossiers du Maghreb occidental, va jouer un rôle déterminant. Presque au même moment, à l'Est, un souverain de la Qalaa des Banû Hammad, Buluggîn II, marche, avec une importante armée, jusqu'à Fès, dont il s'empare. Mais sur le chemin du retour, il est assassiné (1062).
Au Nord, c'est désormais Yusûf ibn Tashfîn (1061-1106) qui, parallèlement à la spectaculaire expansion territoriale au Maroc, s'impose comme le véritable chef du nouveau pouvoir. C'est un saharien typique, courageux, résolu, imposant et actif. Sous sa direction, l'empire almoravide fit de rapides progrès dans le Maghreb extrême et le Maghreb central.
En 1070, les Almoravides édifièrent près d'Aghmât la ville nouvelle de Marrakech, qui va devenir le centre de leur pouvoir et la grande capitale politique de l'Occident musulman durant toute l'époque des Empires berbéro-andalous. Puis les Almoravides étendent par la force leur pouvoir à la moitié occidentale du Maghreb. Fès, attaquée et temporairement occupée dès 1063, est définitivement enlevée en 1070, mettant fin à l'Empire zénète sur le Nord marocain. Maître de tout le Maroc, ibn Tachfin, marcha vers l'Est, s'empara de Tlemcen, d'Oran, de Ténès (1075) et vint mettre le siège devant Alger (1082). Tanger est attaquée avec succès la même année. Elle appartenait à la Taïfa de Ceuta. À cette époque, l'expansion almoravide a atteint ses limites à l'Est avec l'occupation de l'Ouarsenis, de la région du Chélif et de la ville d'Alger (1082-1083), à la limite des possessions des Hammadides de la Qalaa, dont la situation est difficile en raison de la pénétration des Hilaliens au Maghreb Central. Toutes ces campagnes militaires sont menées par Yusûf lui-même ou par des chefs militaires lamtûniens. L'avance almoravide étant facilitée par l'adhésion de la majorité des Docteurs de la loi aux principes réformateurs qui guidaient le nouveau pouvoir. Les Almoravides vont bientôt se porter en Andalousie.

Les Docteurs andalous seraient venus, dès 1074 au moins, solliciter l'intervention de Yusûf ibn Tashfîn, l'austère souverain almoravide, dans les affaires de la Péninsule, pour remédier aux carences des émirs de Taïfas, corrompus par le luxe et de plus en plus faibles, face à la menace chrétienne. L'occupation de Tolède, bastion de l'Espagne musulmane sur le Tage, par les Castillans en 1085, précipita les choses. Le souverain almoravide en accord avec les émirs de Grenade et de Badajoz, qui firent appel à lui, organisa une expédition de djihad contre les chrétiens, qui fut couronnée par la victoire de Zallaqa, du 23 octobre 1086, sur Alphonse VI, contraint de se retirer de la région de Séville et de lever le siège de Saragosse. L'Ouest d'al-Andalus se trouvait momentanément libéré de la pression chrétienne, mais celle-ci continuait à menacer la partie orientale, avec la présence du Cid dans la région de Valencienne à partir de 1087. Une nouvelle campagne almoravide associée aux troupes des Taïfas fut organisée dès l'été 1088, pour chasser les chrétiens d'Alédo, place militaire au sud-ouest de Murcie, contre laquelle les Taïfas avaient échoué, et rétablirent la situation.
L'été 1090, ibn Tashfin, amena une nouvelle fois des troupes dans la Péninsule. Cette troisième intervention militaire, ouvertement hostile aux pouvoirs andalous, fut décisive. Certains des émirs furent déposés et envoyés en exil au Maroc et leurs territoires confisqués. Grenade fut prise en 1090, puis Ronda, Cordoue et Séville (1091), puis Almeria et Murcie. Puis les Castillans sont chassés d'Alédo, en 1092, et les villes de Dénia et Jativa occupées. À l'ouest, Badajoz est occupée en 1094, Valence et les petits émirats environnants, soumis au protectorat du Cid, ne peuvent être occupés qu'en 1102. Ceci valut au souverain almoravide la reconnaissance de ses titres d'Amir al-Muslimin et de Nasir al-Dîn ("Défenseur de la religion") obtenue en 1098 du califat abbasside, pour avoir reconstitué l'unité de l'Islam en Espagne. La Reconquista est provisoirement stoppée.
À sa mort, presque centenaire, au tout début du XIe siècle, Tashfin laissa à son fils de 23 ans, Ali, un vaste Empire qui s'étendait à la fois sur l'Espagne musulmane jusqu'à Fraga au Nord, les îles Majorque, Minorque et Ibiza, ainsi que le Maghreb occidental, le Maghreb central et le Sahara.

C'est dans les premières années du règne du second souverain almoravide, Ali ibn Yusûf (1106-1143), homme pieux et malékite intransigeant, reconnut après la mort de Yusûf ibn Tashfîn en 1106, que l'Empire almoravide atteint son apogée territorial et politique ; le pouvoir de Marrakech étend son contrôle depuis la lisière nord du désert jusqu'aux vallées de l'Èbre et du Tage. La situation ne tarde cependant pas à s'assombrir, de graves revers face aux Chrétiens ternissent le prestige du prince dans la Péninsule. L'année 1118, est marquée par le très grave revers que représente la prise de Saragosse par le roi d'Aragon Alphonse le Batailleur, suivie de l'occupation par les chrétiens de plusieurs villes notables au sud de Saragosse. La valeur personnelle de quelques chefs militaires, valent bien à l'Islam quelques succès militaires après 1130 (victoire de Fraga en 1134), mais ils ne ralentissent que temporairement l'avancée des chrétiens et le déclin almoravide.
C'est dans les mêmes années des premiers revers militaires que commencent à se manifester des réticences dans l'adhésion de l'opinion aux Almoravides. Ainsi une révolte de la population de Cordoue. La ville ne se soumet à l'émir Ali lui-même, venu la bloquer militairement, qu'après plusieurs mois (1121). Au même moment, commence au Maghreb la dissidence beaucoup plus dangereuse du mahdi Ibn Tumart, fondateur du mouvement almohade, qui avec les tribus montagnardes masmoudiennes de l'Atlas, débouche rapidement sur une dissidence ouverte et qui par à-coups finit par s'étendre en minant de l'intérieur le régime. Le fils et successeur du fondateur de l'Empire almoravide n'est ni un guerrier ni un politique. On lui doit, cependant, la fondation du plus important monument almoravide, la Grande Mosquée de Tlemcen.

À la mort d'Ali en 1143, les chrétiens repoussaient partout les émirs de Cordoue et de Séville. Au Maghreb, le Haut et Moyen Atlas, les Oasis du Sud et le Rif sont tenus par les Almohades. L'énergie déployée par Tashfîn ibn Ali durant son bref règne (1143-1145) n'enraya pas la dégradation de la situation. Les armées almoravides subissent plusieurs graves défaites. Les Musulmans d'Espagne profitèrent des luttes que soutenait Tashfin contre les Almohades du Maghreb pour se révolter dans l'Algrave, Valence, Murcie, Cordoue, Alméria. L'Espagne musulmane connut, à nouveau, un régime analogue à celui des Taïfas après la chute du califat. Et ce fut au cours des luttes entre Almoravides et musulmans d'Andalousie qu'un des chefs séditieux réclama l'intervention des Almohades, qui amena la chute de la puissance almoravide en Espagne comme en Berbérie. Et en 1145, Tashfîn meurt accidentellement alors qu'ayant perdu Tlemcen, il est assiégé dans Oran par le conquérant almohade Abd al-Mumin.

Marrakech est assiégée plusieurs mois et prise en mars 1147 et les deux derniers souverains almoravides finissent assassinés, Ibrahim ibn Tashfîn en 1145, Ishaq ibn Ali en 1147. La prise de Marrakech ne met pas, cependant, fin à la résistance de quelques grands chefs almoravides. Ainsi un descendant de Yusûf ibn Tashfîn, Yahia ibn Abû Bakr, parvint-il à organiser des soulèvements des diverses villes et tribus de la côte atlantique, depuis le détroit de Gibraltar jusqu'au désert, avant de se rallier aux Almohades en 1155. Seul subsistera le petit émirat des Baléares, pendant toute la seconde moitié du XIIe siècle.

Le bilan du régime almoravide est cependant loin d'être négatif. Il a réuni, dans une association, qui en définitive lui survivra, al-Andalus et le Maghreb occidental, et arrêté pour un temps la progression chrétienne en Espagne.


Les Almoravides

  Abû Bakr ibn Umar
(1056-1061)
 
  1-Yusûf ibn Tashfîn
(1061-1106)
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  2-Ali ibn Yusûf
(1106-1143)
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4-Tashfîn ibn Ali

(1143-1145)
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5-Ishaq ibn Ali

(1145-1147)
 
6-Ibrahim ibn Tashfîn
(1145)
 

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Les Almohades : 1130-1269

À l'époque où la répression d'Ali ibn Yûsuf, l'Almoravide, semblait assurer le triomphe du malikisme intégral, s'organisait, en réaction contre la scolastique musulmane, la communauté almohade qui devait détruire la puissance des Almoravides.
C'est dans la région montagneuse du sud marocain que naquit, vers 1081, le Mahdi des Almohades, Ibn Tumart, d'une famille fort pieuse. Ce personnage issu d'une tribu berbère rattachée aux Masmûda de l'anti-Atlas, s'était initié en Orient aux doctrines de mystiques et de théologiens tel que al-Ghazali. Revenu au Maghreb, vers 1117, il entreprit d'y rénover l'Islam en prêchant la vraie doctrine de l'unicité divine (tawhid) d'où le nom de ses compagnons : al-Muwahhidûn ou "partisans de l'unicité de Dieu", les Almohades, qui recommandent une stricte réforme des mœurs et le souci de ne recourir qu'aux sources, c'est-à-dire au Coran et à la Tradition prophétique de Médine (sunna al-nabi). Quoiqu'il en soit, Ibn Tûmart réussit à organiser dans l'Atlas un État régulier, avec des ressources fournies par l'impôt et des troupes fanatisées, prêtes à une guerre sans merci contre les Almoravides. Puis vint à lui l'homme providentiel qui devait réaliser ses desseins, Abd al-Mûmin, jeune Berbère arabisé, fils d'un artisan d'une tribu zénète de la région de Nedroma. C'est avec lui qu'Ibn Tumart aurait échafaudé un plan de prédication et de reconquête contre les Almoravides. Ce système débouchera sur une dynastie almohade s'arrogeant le titre califal.

Vers 1130, Ibn Tumart prend l'offensive contre la capitale almoravide, Marrakech, mais au terme d'un siège de quarante jours, au cours d'une sortie, les assiégés arrivèrent à écraser l'armée almohade.
Quatre mois plus tard, Ibn Tûmart mourut. Les Almohades prêtèrent alors serment devant Abd al-Mûmin, qui prit alors la tête du groupe, sans jouir, cependant, de la même aura que le mahdi. Également berbère, Abd al-Mûmin, proclamé calife du Mahdi (khalifat al-mahdi), récusa l'autorité du calife abbasside au Maghreb, et assura son autorité en prenant le titre d'amir al-mumimin (émir des croyants) et fonda une dynastie héréditaire, celle des Mûminides.

Il occupa d'abord les provinces méridionales du Maroc, remonta lentement dans le Nord, jusqu'à la vallée de l'Ouargha et au Rif qui se donnèrent à lui, mais renonça à enlever Ceuta. Puis il poursuivit sa marche vers le Nord-est. Tashfin ibn Ali, rejeté dans la plaine d'Oran, après une défaite près de Tlemcen, ne put s'évader par mer, et, au cours d'une marche nocturne, tomba du haut d'une falaise avec son cheval. Avec le dernier vrai souverain almoravide finissait la courte hégémonie des Sahariens, sous les coups des Berbères de l'Atlas. Ce fut, à partir de 1145, avec la prise de Fès, Tlemcen et de Marrakech (1147), la substitution à l'Empire almoravide d'un Empire almohade encore plus vaste.
Avant même que fût prise Marrakech, les Almohades étaient appelés en Espagne par ceux qui s'étaient soulevés contre les Almoravides. Les troupes pénétrèrent dans la Péninsule, où elles occupèrent sans grande peine la partie occidentale de l'Andalousie (1150).
Au Maghreb, la première campagne des Almohades au delà de la Moulouya les avait menés jusqu'à Tlemcen et Oran. Sept ans plus tard, une nouvelle expédition aboutit à la destruction du royaume hammadide. Depuis que le sultan al-Mansûr s'était transporté de la Qalaa à Bougie (1090), qu'avait fondée son prédécesseur al-Nâsir (1062-1088), la nouvelle capitale était devenue une des principales villes de Berbérie. Après avoir réglé provisoirement la situation en Espagne, Abd al-Mûmin, dont les forces s'étaient accrues, décida de frapper un grand coup dans le Maghreb central. Son avant-garde entra, sans coup férir, dans Alger, puis Bougie, sans grande résistance, d'où le dernier émir hammadide, Yahyâ, s'était enfui, puis son fils, Yûsuf, prit et saccagea la Qalaa et Constantine (1151).
Éclate alors, dans la moitié orientale du Maghreb, une révolte anti-almohade à partir de l'Ifriqiya. Les Arabes hilaliens comprirent le péril et les Chaykhs d'Ifriqiya, renonçant pour un temps à leur rivalité, décidèrent de s'unir pour rejeter, par leurs propres forces, l'ennemi almohade. Ils se concentrèrent près de Béja et se dirigèrent vers Bougie. Abd al-Mûmin, qui retournait au Maroc, fit volte-face dans la Mitidja et entraîna l'ennemi jusqu'à Sétif. Après quatre jours de tuerie, la discipline almohade l'emporta et les Arabes s'enfuirent harcelés jusqu'à Tébessa (1153). Le désastre de Sétif ne mit pas fin, cependant, à l'invasion hilalienne. Abd al-Mûmin se contenta d'établir un gouverneur à Bougie et regagna le Maroc.
C'est à ce moment qu'il prit la décision de confisquer le mouvement almohade au profit de sa famille. Il désigna comme successeur son fils, Abû Abd Allah Muhammad, au lieu du chaykh Abû Hafs Umar qui avait été primitivement désigné, et fit de son fils, Yûsuf, gouverneur de Séville. Plus tard, en 1156, il partagea le gouvernement des principales provinces de l'Empire entre ses autres fils, mais secondés de chaykhs almohades masmûda.
Le comte normand de Sicile, Roger II, profita de la situation troublée de l'Ifriqiya pour imposer sa suzeraineté à Mahdiya et s'emparer de Djerba (1134). De là, sa flotte porta des coups contre Djidjelli (1143), les petits ports entre Cherchel et Ténès, les îles Kerkena et Tripoli (1146). Puis, dans les deux ans qui suivirent, il enleva Gabès, Mahdiya, sfax, Sousse, et mit fin aux pouvoirs des Zirides. Son territoire s'étendit de Tripoli à Tunis. Mais à la prise de Mahdiya (1156), les habitants de l'ancienne capitale ziride envoyèrent une députation à Abd al-Mûmin le priant d'intervenir. Il prit leur demande en considération, quitta Marrakech avec une puissante armée, cependant que sa flotte cinglait vers l'Est (1159). L'arrivée en Ifriqiya mit vite fin à l'anarchie. Il soumit les petites dynasties qui avaient surgi après la destruction de l'empire ziride, entra dans Tunis et Sousse, puis vint mettre le siège devant Mahdiya qui capitula le 22 janvier 1160, mettant fin à l'occupation normande en Afrique. Cette conquête de l'Ifriqiya par Abd al-Mûmin marque une date extrêmement importante dans l'histoire du Maghreb :

c'est la première fois depuis longtemps, peut-être depuis toujours, que l'ensemble du Maghreb est soumis à l'autorité d'un pouvoir s'étendant sur tout le territoire et qui plus est sous des chefs issus de son sol.

Puis le calife ordonne de déporter au Maghreb occidental des tribus d'Arabes bédouins. Mais les nouvelles d'Espagne mirent fin au séjour de l'armée almohade en Ifriqiya. En 1157, le jihad est pour la troisième fois conduit en Espagne, cette fois sous la conduite du calife. L'armée almohade se déploie dans le sud d'al-Andalus, reprend Almeria aux Castillans ; le roi Alphonse VII est tué dans sa retraite vers le Nord. Le protectorat almohade sur la partie occidentale de l'Andalousie était consolidé ; mais tout le reste de l'Andalousie et le Levante échappaient à l'autorité d'Abd al-Mûmin et constituait un État indépendant, à la tête duquel se trouvait un Espagnol d'origine chrétienne, Ibn Mardanish, qui s'était posé comme l'ennemi des Almohades et avait même profité de la campagne d'Abd al-Mûmin en Ifriqiya pour agrandir ses possessions vers l'Ouest et menacer Séville et Cordoue. Abd al-Mûmin, qui passa pour la première fois le Détroit, séjourna deux mois à Gibraltar pour donner ses instructions sur place aux troupes almohades d'Andalousie renforcées par des contingents venus du Maghreb extrême, en particuliers d'Arabes bédouins qu'Abd al-Mumin venait de transférer d'Ifriqiya (1161).
Les Almohades réussirent non sans peine à repousser Ibn Mardanish vers l'Est et à lui reprendre Grenade (1162). Abd al-Mûmin ne voulant pas rester sur ce demi-succès et assisté de son fils, Abû Yaqûb Yûsuf, qu'il venait de faire reconnaître comme son héritier à la place de l'aîné, Muhammad, jugé indigne, il s'établit au début de l'année 1163 dans la forteresse de Ribat al-Fath (Rabat) qu'il avait fait édifier dès 1150 et y concentra de nombreuses troupes et une flotte importante ; mais la mort vint entraver ses projets : il s'éteignit à Ribat al-Fath au mois de mai 1163.
Abd al-Mûmin avait fait figure de grand souverain, conquérant actif, administrateur aux idées neuves et fermes. Il laissait à son fils, Abû Yaqûb Yûsuf (1163-1184), un vaste Empire qui comprenait tout le Maghreb et la majeure partie de l'Espagne musulmane.

Conformément aux conseils de son père, Abû Yaqûb, avec les contingents arabes, reprit la guerre contre Ibn Mardanish, qui, avec l'appui des rois chrétiens d'Aragon, de Castille et de Barcelone, recommençait ses incursions en territoire almohade (1170). Mais la mort de ce dernier lors du siège de Murcie facilita le triomphe d'Abû Yaqûb. Les fils du rebelle entrèrent à son service et toute l'Espagne musulmane reconnut l'autorité almohade.
Mais en 1167, ayant pris le titre de calife, il dut revenir au Maroc pour mater une rébellion de la confédération des Ghumara du Nord du Maroc (Rif) et de leurs voisins, les Sanhadja. Le vieux chaykh masmuda, et ancien disciple du mahdi, Abû Hafs Umar, ne peut venir à bout. Yûsuf prend les choses en main, mais la révolte ne s'éteint pas avant 1168.
À peine en avait-il finit de ce côté-là qu'il fut obligé de porter son attention vers l'autre extrémité du Maghreb : les habitants de Gafsa venaient de se révolter, avec à leur tête un aventurier d'origine arménienne, Qaraqouch, qui, établi en Tripolitaine à partir de 1172, désirait s'emparer de l'Ifriqiya. La révolte ne fut réprimée qu'après qu'Abû Yaqûb eut mis le siège devant Gafsa et s'en fut emparé (1181).
Puis il dut retourner une dernière fois en Andalus, où la trêve signée auparavant, fut rompue par les chrétiens menés par Alphonse IX de Léon. En 1177-1178, ils ont enlevé Cuenca et réoccupé Beja, et menaçaient Séville. Abû Yaqûb organisa une expédition contre la ville de Santarem, au nord-est de Lisbonne, où il trouva la mort en combattant, à l'âge de quarante-six ans. Son fils Abû Yûsuf Yaqûb, surnommé plus tard al-Mansûr, âgé d'environ vingt-cinq ans, lui succéda. Il parvient à contenir les chrétiens, et signe en 1190, avec Léon de Castille, un armistice de cinq ans.

À peine investi qu'Abû Yûsuf Yaqûb (1184-1199) dut intervenir au Maghreb contre les Almoravides de Majorque, les Banû Ghaniya. Ces Almoravides Abû Ghaniya ne s'étaient pas contentés de se tailler une principauté aux Baléares pour rançonner le commerce méditerranéen. Brusquement, Ali ibn Ghaniya débarqua 4.000 porteurs de litham près de Bougie et occupa la ville sans coup férir (13 novembre 1184). Il rallia facilement à sa cause les princes hammadides dépossédés et surtout les tribus hilaliennes. Il eut tôt fait d'enlever, grâce au concours des Arabes, Alger, Miliana, la Qalaa des Banû Hammad et d'assiéger Constantine. Il fallut que le nouveau souverain, après avoir rétabli la situation compromise en Espagne, fît, dans le Maghreb central, un sérieux effort pour reprendre ses villes, dégager Constantine et rejeter Ali et son frère Yahia vers le Djérid. Mais Ali ne s'avoua pas vaincu, allié aux turcomans de Qaraqouch, maître du Fezzan et de la Tripolitaine, et surtout grâce à une grande tribu nomade qui n'avait pas encore pénétré au Maghreb, les Béni Solaïm, occupa l'Ifriqiya, à l'exception de Tunis et de Mahdiya. Al-Mansûr, avec une petite armée disciplinée, réussit à les battre près de Gabès (1188) et à enlever Gafsa, puis déporte en masse au Maroc les familles des trois tribus arabes. Mais Yahya Abû Ghaniya, qui succéda à son frère Ali, tué au combat, profitant du départ du calife almohade, réoccupe le Djérid, et avec l'aide des Solaïm et l'appui du califat abbasside, prit Mahdiya, fortifia Gabès, dont il fit sa capitale, occupa Béja, Biskra, Kairouan, Annaba et finit par enlever Tunis (1203). Grâce à une armée où dominaient les contingents arabes, hilaliens et solaïmides, il avait réussi à constituer un empire almoravide de Berbérie orientale, s'étendant d'Annaba au Djebel Nefousa et pénétrant dans le sud jusqu'à Biskra.
Mais c'était le Maroc et surtout l'Espagne qui retenaient l'attention d'al-Mansûr. Il avait trouvé une situation très difficile en Espagne. Les chrétiens, avec le roi de Castille, Alphonse VIII et le roi d'Aragon organisèrent une offensive généralisée contre les musulmans. Le règne d'Abû Yaqûb s'acheva par le désastre de Santarem. Mais il put reprendre sa revanche en infligeant une dure défaite aux chrétiens d'Alphonse VIII de Castille, à Alarcos entre Tolède et Cordoue (18-19 juillet 1195). Cette lourde défaite chrétienne auréole Yaqûb, qui prend le surnom d'al-Mansûr billah (le vainqueur grâce à Dieu) ; il regagne une partie du terrain perdu dans al-Andalus en envoyant des expéditions contre Tolède, Madrid, Alcala et Cuenca. Après trois ans passés à Séville, il retourne à Marrakech, où il meurt début 1999, peu après son protégé Ibn Rushd (Averroès).

À la mort d'al-Mansûr, son fils Muhammad al-Nâsir (1199-1214) lui succède. Ce jeune homme de dix-sept ans, timide et solitaire, recueille un immense empire moins solide et moins cohérent ; mais c'est sous son règne que se situe le zénith de l'Empire almohade. La victoire d'Alarcos affaiblit momentanément la résistance des chrétiens. Al-Nâsir en profite pour concentrer ses efforts contre les Almoravides des Banû Ghaniya en Berbérie orientale. Il désigna, pour le seconder en Ifriqiya, Abû Abd Allah Muhammad, fils de Umar Abû Hafs, dont le loyalisme avait permis l'accès d'Abd al-Mûmin à la tête du mouvement almohade. Une forte expédition navale conquiert Tunis et son armée entra dans Gafsa, puis dans Mahdiya. Yahyâ, vaincu dans une bataille acharnée, se réfugie au désert (1209) où le pourchassa Abû Muhammad. Ainsi, l'Ifriqiya était désormais à l'abri du danger almoravide, mais au prix d'une quasi-indépendance accordée à son général almohade victorieux, Abd al-Wahid ibn Umar, le vainqueur d'Alarcos dix ans plus tôt, et descendant du chaykh Abû Hafs Umar : c'est là l'origine de la dynastie hafside. La nomination d'un Hafside à Tunis, avec une large autonomie par rapport à Marrakech, a pour but d'établir une autorité stable sur le Maghreb oriental et pour fixer une grande figure almohade loin du coeur du califat où le prestige des chaykhs était demeuré vivace.
Le Hafsid pourchasse Yahyâ et ses partisans solaïmites, les met en déroute près de Tebessa et les rejette vers l'Ouest. Ils mettent alors en coupe réglée le Sud-Constantinois, avant de se replier sur la Tripolitaine, où Abd al-Wahid les poursuit. Écrasés au Jebal Nafousa en 1209, les troupes de Yahyâ finissent par se disloquer dans l'errance au Sahara. Et, à sa mort (1237), s'éteint la résistance almoravide.

Al-Nâsir se reposait entièrement sur le chaykh hafside, de la lutte contre les Almoravides, d'autant que les affaires d'Espagne concentraient toute son attention ; Alphonse préparait la revanche d'Alarcos en appelant au secours tous les souverains d'Espagne. Al-Nâsir jugea la situation assez grave pour quitter Marrakech et prendre le commandement de l'armée (février 1211). La campagne fut longue et finit par un désastre. Il lance un nouveau jihad en été de la même année. Une forte armée chrétienne, où toute l'Espagne était représentée, franchit la Sierra Morena et infligea une défaite décisive aux Almohades à Las Navas de Tolosa (16 juillet 1212). Cette défaite met en évidence la vulnérabilité d'al-Andalus et l'incapacité du califat almohade de la protéger. Quand Alphonse mourut en 1214, la dislocation des États musulmans d'Espagne était déjà commencée.
Le souverain n'était pas de taille à rétablir la situation. Il revint au Maroc pour abdiquer en faveur de son fils, Abû Yaqû Yûsuf II al-Mustansir (1213-1224), et mourut en 1214.

Al-Mustansir, qui n'avait que seize ans, héritait d'une lourde responsabilité. S'il pouvait se décharger sur Abû Muhammad du soin de protéger l'Ifriqiya, le Maghreb central, livré aux Zenata, échappait à son contrôle. Au Maroc même, les Beni Mérin, jusque-là soumis à l'autorité almohade, envoyaient jusqu'au Tell des bandes de pillards. L'Ifriqiya enregistre un regain d'agitation après la mort du gouverneur hafside Abd al-Wahid ibn Abû Hafs Umar (1221). Le conseil de gouvernement avait désigné son fils pour lui succéder, mais Yûsuf al-Mustansir, que l'indépendance hafside inquiétait, le rappela et le remplaça par un gouverneur incapable. Yahyâ ibn Ghaniya en profita pour reparaître dans le Maghreb central, où il guerroya, dix ans durant, jusqu'à ce qu'il fût réduit à des coups de main de chef de bande (1226-1237).

Les dernières années de la monarchie (1224-1269) furent troublées par des rivalités entre chaykhs almohades et les descendants de Abd al-Mûmin.
En 1224, cloîtré dans son palais de Marrakech, Abu Yaqûb Yûsuf II meurt, âgé de guère plus de vingt ans. Son successeur, son grand oncle, Abd al-Wâhid Ier, destitué au bout de huit mois par les chaykhs almohades qui l'avaient investi, d'où son surnom de "al-Makhlû (le destitué), périt étranglé (1224). S'ensuit une nouvelle période de troubles. Fin 1225, le nouveau calife, Abd Allah envahit le Maghreb et se proclame calife avec le laqab d'al-Adil (le juste). Il règne moins de trois ans et périt, noyé dans un bassin de son palais (1227). Son successeur Yahyâ ibn al-Nâsir al-Mutasim (1227-1236) a à peine deux ans.
En 1229, un frère d'al-Adil, Idris Abû l-Ulâ al-Mamun (le loyal) (1227-1232) s'empare de Marrakech (1230). Le triomphe d'al-Mamun marque le début d'une violente réaction contre les Almohades. Il rompt avec le dogme almohade au profit du sunnisme, répudie l'infaillibilité du mahdi et massacre les chaykhs et leurs familles.
L'État almohade n'est plus que l'ombre de lui-même. Al-Mamun est assassiné en 1232 en assiégeant Ceuta, où son frère Abû Mûsa s'est lui aussi proclamé calife.

Le régime almohade ne tarda pas cependant à décliner. Ce fut de nouveau l'apparition en Andalousie de petits royaumes musulmans indépendants, ce qui permit dès 1248 à Ferdinand III de relancer la Reconquista et d'occuper toute l'Espagne musulmane, à l'exception du royaume de Grenade, où les Nasrides devaient subsister péniblement deux siècles et demi. C'est vers ce réduit musulman que convergent les Andalous chassés de Cordoue et de Séville.
En Berbérie, Yahyâ al-Mutasim, frère d'Abû Yaqûb Yûsuf, profita de l'absence du calife, retenu au siège de Ceuta et de l'opposition provoquée par sa politique, pour reprendre Marrakech. Al-Mamun mourut sur le chemin du retour (1332). Son jeune fils de quatorze ans, Abd al-Wahid II al-Rashid (1232-1242), dut poursuivre la lutte contre Yahyâ ibn al-Nâsir et ne devint maître de sa capitale qu'après avoir fait assassiner son rival (1236).
L'unité de l'Empire, déjà entamée par les défaites d'Espagne, ne résista pas aux révolutions de palais. L'émir de Tlemcen, Yaghmorasan ibn Ziyan, proclama son indépendance et créa le royaume zenata des Beni Abd al-Wad (1235-1236). En Ifriqiya, le gouverneur hafside, Abû Zakariya, rompit avec le souverain (1228), puis prit le titre d'émir et fit de Tunis sa capitale (1236).
La disparition d'al-Rashid, encore tout jeune homme, en 1242, laisse la place à son frère, Ali Abû l-Hasan al-Saïd al-Mutadid (1242-1248), qui fut le dernier almohade à lutter encore militairement contre la désagrégation de l'Empire. Mais la situation s'aggrave encore : les Hafsides étendirent leurs conquêtes jusqu'à Tlemcen, pendant que les Mérinides s'infiltraient jusqu'à Meknès et levaient l'impôt partout où ils étaient installés. Al-Saïd fit alors un dernier effort, pour rétablir l'Empire almohade dans son intégrité, au moins au Maghreb. Décidé à pousser jusqu'à Tunis, il tomba dans une embuscade et fut tué (1248). L'armée reflua aussitôt vers le Maroc ; les Mérinides l'attendaient au passage de la Moulouya : ils l'anéantirent et s'emparèrent de Fès aussitôt après ; le pouvoir almohade ne subsistait plus qu'à l'état de fantôme.
Le successeur, Umar al-Murtada (1248-1266), petit-fils d'Yûsuf Abû Yaqûb, dont le territoire était limité, dut consentir à payer tribut aux Mérinides pour sauver Marrakech (1262). À l'heure du péril, les Almohades s'affaiblirent encore par des haines familiales. Le petit-fils d'Umar Abû Hafs, Idris Abû al-Ula "Abû Dabbus" al-Wathik (1266-1269), passa à l'ennemi, renversa le calife et se fit proclamer à sa place (1266). C'est alors que le Mérinide, qui se considérait comme trahi par son allié, mit fin à la dynastie almohade en s'emparant de Marrakech (septembre 1269).

L'unité de l'Empire, déjà entamée par les défaites d'Espagne, aboutissait à la formation d'un État indépendant à l'Est, celui des Hafsides où le gouverneur Abû Zakariya rompit avec le calife (1228), puis prit le titre d'Émir des Croyants et fit de Tunis sa capitale (1236) ; puis les Hafsides étendirent leurs conquêtes jusqu'à Tlemcen (1242), où s'était créé en 1235, avec l'émir Yaghmurâsan ibn Zayâan, le royaume indépendant des Béni Abd al-Wad, pendant que les Mérinides, issus d'une autre tribu berbère, s'infiltraient jusqu'à Meknès, s'emparant de Fès et signaient la fin du pouvoir almohade en s'emparant de Marrakech en 1269.

C'est ainsi qu'en 1269, après la disparition de l'Empire almohade, le Maghreb fut de nouveau partagé entre trois royaumes berbères : Les Hafsides à Tunis, les Abdelwadides à Tlemcen et les Mérinides à Fès.

La suprématie des Almohades correspondit à une étape brillante de la civilisation arabo-islamique au Maghreb. Ils sont les premiers non-Arabes d'origine - avec les Almoravides - à exercer une pleine autorité sur le Maghreb et à prendre le titre de calife. Et la paix qui y régnait à l'époque favorisa l'essor économique, le développement des villes, notamment de Marrakech et de Fès, ainsi que l'activité religieuse, littéraire et intellectuelle. Y vécurent, parmi tant d'autres, des personnalités intellectuelles comme Ibn Rushd et Ibn al-Arabi ou Maïmonide.

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Les Hafsides : 1229-1574

Les Hafsides, gouverneurs du califat almohade, qu'ils ont débarrassé des Banû Ghaniya, constituèrent une dynastie, qui se posa comme héritière des pouvoirs et des traditions du califat almohade défaillant, mais avec une souveraineté limitée à l'Ifriqiya et au Constantinois. Elle fut fondée par Abd al-Wahid ibn Abû Hafs Umar, petit-fils d'Abû Hafs Umar, à qui les Almohades confièrent la direction de l'Ifriqiya, pour mieux contrer les nomades hilaliens dans la région et la protéger des entreprises d'Ibn Ghaniya, l'Almoravide. Ce gouverneur y exerça le pouvoir dans l'obédience almohade jusqu'à sa mort (1221), puis fut remplacé par quelques gouverneurs de la famille mûminide.

  1. Abû Zakariya Yahya Ier : 1229-1249

    En 1226, le calife al-Adil nomma de nouveau un hafside à la tête de l'Ifriqiya ; celui-ci refusant de reconnaître le nouveau calife al-Mamun fut destitué au profit de son frère, alors gouverneur de Gabès, Abu Zakariya Yahia Ier (1229-1249), âgé de vingt-six ans, fils du premier gouverneur hafside et petit-fils du fameux schaykh Abû Hafs, partenaire du mahdi Ibn Tumart et compagnon de guerre d'Abd al-Mûmin. D'emblée, il rompt avec Marrakech (1229), rejette l'autorité du dixième Almohade, Abd al-Wahid II, proclame son indépendance en 1236 et établit sa capitale à Tunis ; ainsi était fondée la dynastie hafside. Presque en même temps (1235), la tribu des Banû Abd al-Wad, sous le commandement de Yaghmurâsan ibn Zayyân, s'arrogea un pouvoir autonome à Tlemcen et dans la région environnante, dont les Almohades lui avaient dès longtemps confié la garde. En 1248, enfin, une autre tribu berbère, les Banû Mérin, s'empara de Fès et y établit un pouvoir qui bien vite devint très vigoureux. De même que l'Espagne musulmane s'était, elle aussi, séparée de l'Empire almohade et ce qu'il en restait fut le lot des Nasrides, princes de Grenade.
    Puis, il étendit sa domination vers l'Ouest, sur Constantine, Bougie et Alger (1236), chassa définitivement de ses États Yahyâ ibn Ghaniya, l'Almoravide, et annexa Alger. Il menaça même Tlemcen en 1242 où, depuis six ans, sont installés les Zayyânides, soumit diverses tribus rebelles et constitua un royaume qui atteignit le Maghreb extrême, reconstituant ainsi l'ancien Royaume ziride de la fin du Xe siècle. Vers 1245, les Mérinides à leur tour reconnurent son autorité.

  2. Abû Abd Allah Muhammad Ier al-Mustansir : 1249-1277

    Lorsqu'il mourut, en 1249, Abû Zakariya avait laissé un bloc territorial solide, entouré d'États vassaux ou amis. Son fils Abû Abd Allah (1249-1277), qui lui succéda, prit le titre d'amir al-muminin (Émir des Croyants) et le surnom honorifique d'al-Mustansir Billah (solliciteur de l'appui de Dieu) et fit de Tunis un port méditerranéen prospère et couvert de monuments. Les Royaumes de Tlemcen et de Fès reconnaissaient sa suzeraineté. L'État hafside était donc très puissant lorsqu'en juillet 1270 la flotte du roi de France, Louis IX (Saint Louis), apparut devant Carthage, pour la huitième et dernière croisade. Al-Mustansir songeait à transporter sa capitale à Kairouan, quand la fièvre et la dysenterie ravagèrent le camp des Français et emportèrent le roi (25 août 1270). Charles d'Anjou, qui débarqua quelques heures après la mort de son frère et devint le chef de la croisade, conclut rapidement avec le calife un avantageux traité pour son royaume de Sicile.
    Les dernières années de son règne furent marquées en 1275 par la reprise d'Alger qui s'était déclarée indépendante, et c'est dans la paix et la puissance qu'al-Mustansir mourut le 17 mai 1277, laissant un royaume prospère s'étendant de la Tripolitaine au Chélif.

  3. Rupture de l'unité hafside

    L'empire laissé par al-Mustansir semblait très solide. Il ne tarda pas à se désagréger entre les mains de ses successeurs. Son fils Abû Zakariya Yahya Ier al-Wathik (l'inébranlable) (1277-1279), qui le remplaça, se laissa dominer par un favori d'origine andalouse qui dressa contre le gouvernement tout le clan almohade. Un frère d'al-Mustansir, Abû Ishaq Ibrahim Ier (1279-1284), se posa en rival. Maître de Bougie (avril 1279), où il est soutenu par le clan almohade, ainsi que par les Arabes Banû Sulaïm, Abû Ishak s'empare de Tunis, où il fait mettre à mort son neveu al-wathiq, dans le courant d'août, et y prend le pouvoir.
    Le nouveau souverain, qui s'était contenté du titre d'émir, ne réussit pas mieux que son malheureux prédécesseur, il ne restera que cinq ans au pouvoir. Sa politique intérieure, faite de faiblesses et de sursauts de brutalité, avait mécontenté une grande partie de la population, en particulier les Arabes du Sud. C'est chez eux que trouva audience un audacieux aventurier, Ibn Abû Umar ; il se fit passer pour un fils d'al-Wathik et, grâce à l'appui des Bédouins, se rendit maître de tout le Sud tunisien dès l'automne 1282, et en janvier 1283, il était à Tunis et battait en juin les troupes des Hafsides, qui s'étaient réfugiés à Bougie et tentaient de reprendre leur capitale.
    Son succès ne devait être que de courte durée, car, à son tour, il mécontenta les Arabes, qui n'eurent pas de peine à trouver un prétendant, Abû Hafs Umar, frère d'al-Mustansir ; ils marchèrent sur Tunis, s'en emparèrent et firent proclamer le nouveau calife sous le nom al-Mustansir billah (juillet 1284).

    Abû Hafs Umar Ier (1284-1295) devait son succès aux Banû Sulaïm. Il leur attribua, pour les remercier, trois ou quatre localités du pays de Sfax et du Djérid. Ces concessions allaient précipiter la décadence du royaume. À l'exception de Tunis, les autres villes allaient péricliter sous les coups des chrétiens et des nomades. Devenu roi ce Sicile, le roi d'Aragon, Pierre III, lance une expédition sur Djerba, qui se solde par l'occupation de l'île (1284). En 1287, les îles Kerkenna subissent le même sort. Ubû Hafs Umar Ier s'engage même à payer un tribut annuel. D'autre part, Constantine était épuisée par les luttes de factions, Béja ruinée et menacée par les Arabes.
    L'anarchie entretenue par les tribus arabes provoquait l'apparition de prétendants toujours sûrs de trouver un parti de nomades pour appuyer leurs revendications. Il se créa à Bougie, un royaume rival de celui de Tunis, qui couvrit la majeure partie de la province de Constantine (1284). Durant 23 ans, la lutte se poursuivit entre les deux princes, appuyés par des tribus arabes. Il fallut l'autorité des shaykhs almohades pour faire admettre au nouveau calife de Tunis, Abû Abd Allah Muhammad II Abû Asida (1295-1309), et au sultan de Bougie, Abû al-Baqâ, que celui des deux qui survivra à l'autre deviendra le souverain d'un État unifié.

    Abû Asida meurt le premier, en 1309, et ce fut au profit d'Abû al-Baqa Khalid Ier (1309-1311) que se reconstitua, mais pour une courte durée, l'unité hafside. Un prétendant, vieux et habile, Abû Yahya Zakariya Ier al-Lihyani (1311-1318), réussit bientôt à supplanter le calife, et livra tout le pouvoir aux nomades, cependant qu'à sa mort un arrière-petit-fils d'Abû Zakariya Yahya Ier, Abû Yahya Abû Bakr II (1318-1346), qui avait pris possession de Bougie en 1312, entreprit une expédition et s'empara de Tunis. L'unité hafside fut, une fois encore, rétablie, et maintenue, non sans peine. Les Arabes ne se bornèrent plus à lui opposer des prétendants, mais provoquèrent l'intervention des Abd al-Wadides de Tlemcen qui convoitaient Bougie. Le calife ne se sauva des efforts conjugués des Banû Sulaïm et des Abd al-Wadides qu'en suscitant une contre-intervention des Mérinides sur Tlemcen, la capitale des Banû Abd al-Wad. Au cours de la lutte, il avait été quatre fois chassé de sa capitale. La protection des Mérinides, avec lesquels il avait conclu une alliance matrimoniale en 1330, et le ralliement du principal chef des Banû Sulaïm, le shaykh Hamza, lui permirent de reconquérir son royaume, province par province, de châtier les Berbères révoltés, de faire rentrer dans l'obédience califale les gouverneurs et les shaykhs indépendants, et de prélever la dîme sur les nomades. Un heureux coup de main lui valut même de reprendre Djerba aux chrétiens (1335).

  4. Conquête de l'Ifriqiya par les Mérinides

    La mort d'Abû Bakr II (1346) provoqua une nouvelle crise. Le frère de l'héritier légitime le fit massacrer, ainsi que trois fils du shaykh Hamza. Les nomades, dès lors irréductibles, se résignèrent à prêter serment de fidélité au sultan mérinide Abû l-Hasan qui, malgré ses conseillers et sur les instances du chancelier de Tunis, le shaykh almohade le hajib Ibn Tafragin, se laissa entraîner à la conquête du Maghreb oriental. Après avoir enlevé sans difficulté Constantine et Bougie, il entre dans Tunis, en grande pompe (15 septembre 1347). Le calife en fuite avait été rejoint près de Gabès et décapité. Dès lors, Abû l-Hasan dominait sur tout le Maghreb, comme l'avaient fait les Muminides.

    Mais il ne pouvait compter sans les nomades, aussi précieux pour un prétendant que dangereux pour un sultan. Les chefs de tribu firent bloc et finirent par le vaincre près de Kairouan (10 avril 1348). Abû l-Hasan ne put, malgré les discordes que la victoire provoqua chez ses adversaires, rétablir son autorité. Il finit par s'enfuir à Alger pour regagner le Maroc (décembre 1349-janvier 1350). De son côté, en 1364, l'émir hafside de Constantine, Abû al-Abbas Ahmad II (1370-1394), parvient à s'emparer de Bougie et à y installer son pouvoir, de Dellys à Annaba, puis jusqu'à l'Ifriqiya. Il rétablit l'autorité de l'État hafside à Tunis (1370), où il régna jusqu'à sa mort (1394), avec le surnom al-Mustansir.

    Les rivalités chroniques de l'Ifriqiya permirent bientôt aux Mérinides d'envahir à nouveau le royaume hafside. Le sultan Abû l-Inan compléta son occupation des territoires abd al-wadides par l'annexion de Bougie, où il rallie les nomades en leur multipliant les donations (1353). Puis, malgré un grave échec, il s'empara de Constantine, d'Annaba et de Tunis (1357). Pour lui, comme pour Abû l-Hasan, se posa le problème de l'autorité du pouvoir central sur les Arabes. Ses tentatives de répression aboutirent au même échec. Il perdit ses alliés et dut précipitamment regagner le Maghreb extrême. Une nouvelle et dernière campagne se borna à une marche militaire entre Annaba et l'Aurès (1358).

  5. Restauration de la puissance hafside

    Des trois princes qui s'installèrent à Tunis, à Bougie et à Constantine, après le départ des Mérinides, le Hafside Abû al-Abbas Ahmad II (1370-1394), placé à Constantine par l'amitié du sultan, réussit à s'emparer de Bougie, de Dellys et d'Annaba (1336), puis de Tunis (9 novembre 1370) où il régna jusqu'en 1394.
    L'homme qui réunissait, une fois encore, tout le royaume de l'Est en son pouvoir méritait son succès. C'était un chef, de volonté ferme qui ne pouvait accepter d'être réduit, par les nomades, à la propriété de Tunis et sa banlieue. Il révoqua les donations des terres califales, contint les empiétements des tribus, réprima les révoltes et soumit les shaykhs du Djérid, de Gafsa et de Gabès. Mais à côté de la manière forte, il savait, tout autant, user de diplomatie et distribuer opportunément les faveurs ou le pardon. Cette habile politique lui permit de se maintenir. Les Arabes divisés ne purent infliger au calife hafside le sort qu'avaient subi les sultans mérinides Abû l-Hasan et Abû l-Inan.
    C'est sous son règne que s'organisa la course contre les navires chrétiens, avec Bougie pour centre principal. Les puissances chrétiennes réagirent, en particulier par une expédition franco-génoise contre Mahdiya (1390) qui n'obtint pas le résultat recherché.

  6. Le quinzième siècle hafside : Abû Faris et Abû Amr Uthman

    Tandis que les deux autres États maghrébins, celui de Tlemcen et celui de Fès, ne cessèrent de décliner tout au long du XVe siècle, le royaume hafside connut pendant la même période un regain de puissance et de gloire, grâce à deux souverains qui eurent en partage à la fois la valeur et la longévité : Abû Faris Abd al-Aziz (1394-1434) et Abû Amr Uthman (1435-1488), ils régnèrent à eux deux presque un siècle. Le XVe siècle est l'époque du deuxième apogée hafside. L'État parvient dès le début du siècle à imposer son autorité sur l'Ifriqiya et la moitié orientale de l'actuelle Algérie, et même à Alger en 1410-1411.
    Le premier, fils d'Abû l-Abbas, accéda au pouvoir sans difficulté lorsque mourut son père. Il était âgé d'un peu plus de trente ans, avait fait ses preuves comme chef militaire lors de l'attaque chrétienne contre Mahdiya, jouissait d'une grande réputation de piété et avait pu se ménager l'appui de ses frères. Il n'eut donc pas grand-peine à triompher des quelques rebelles qui se déclarèrent et sut fort bien se ménager les principaux clans du royaume : Almohades, Andalous et Arabes. Fort de la solidité qu'il avait pu donner à son gouvernement, il put réduire une à une les principautés quasi-indépendantes, que son père avait été obligé de tolérer dans le sud du pays : Tripoli (1398), Tozeur et Gafsa (1400), Biskra (1402). Il réussit même à s'emparer d'Alger (1410-1411).
    Un tel rétablissement de la puissance hafside valut un grand prestige à Abû Faris. Ce prestige dépassait largement les frontières de son royaume, mais les entreprises des corsaires vinrent parfois contrecarrer ces bonnes relations : c'est ainsi qu'à la suite du sac de Torreblanca par les Barbaresques (1397), les flottes conjuguées de Valence et de Majorque attaquèrent Dellys (1398), puis Annaba (1399) ; en 1424, la flotte d'Alphonse V d'Aragon ravagea à nouveau les îles Kerkenna et s'attaqua sans grand-succès à Djerba en 1432.
    Il s'intéressa aux affaires d'Occident, alors que, depuis plus d'un siècle, les Hafsides se contentaient de subir les attaques de Fès ou de Tlemcen ou d'appeler l'une ou l'autre à leur aide. À deux reprises (1424 et 1431), il organisa des expéditions contre Tlemcen où plusieurs Abd al-Wadides se disputaient le pouvoir et en chaque occasion y installa un souverain à sa dévotion ; il marcha même contre Fès en 1424, mais, comme le jeune sultan mérinide et son tuteur Wattaside lui avaient envoyé un acte d'hommage, il s'arrêta en chemin et n'intervint plus au Maroc que pour prêter le secours de sa flotte contre les escadres portugaises. De même, il s'intéressa d'assez près aux querelles dynastiques qui de 1427 à 1430 déchirèrent le royaume nasride de Grenade. À sa mort, l'État hafside avait donc recouvré l'éclat dont il avait brillé sous le règne d'al-Mustansir.

    Il fut remplacé par son petit-fils, Abû Abd Allah Muhammad al-Muntasir (1434-1435), mais ce jeune homme, miné par la maladie, mourut au bout de 14 mois (16 septembre 1435). Puis, le pouvoir passa à son frère, Abû Amr Uthman (1435-1488), âgé de 16 ans seulement, mais qui avait déjà donné des preuves de sa valeur.
    Le début de son règne fut très agité, car un de ses oncles, Abû al-Hasan, lui mena la vie dure dans le Constantinois et autour de Bougie : après onze ans d'efforts, Uthman lui infligea un échec décisif à Bougie (1446), mais n'en triompha vraiment qu'en 1452. Parallèlement, il doit aussi faire campagne en Ifriqiya méridionale : en 1436, il châtie des tribus arabes indociles. Il dirigea également d'importantes expéditions vers Nefta (1441) et Touggourt (1449) ; d'autre part, la sécurité régnait dans l'ensemble du territoire hafside. Par la suite, Uthman dut réprimer le soulèvement de certaines tribus arabes (1463).
    Au Maghreb, sous Uthman comme sous Abû Faris, l'État hafside fait figure de puissance principale. En 1462 et 1466, le calife lance encore deux expéditions contre Tlemcen, pour y restaurer l'influence hafside compromise par des révolutions de palais, et en 1472 le souverain de Fès, Muhammad al-Cheikh, fondateur de la dynastie wattaside, se reconnut vassal du calife Uthman.

  7. La fin des Hafsides

    Uthman avait désigné comme successeur l'un de ses petits-fils, Abû Zakariya Yahia III (1488-1489); à peine intronisé, celui-ci eut à lutter contre plusieurs compétiteurs qui étaient ses oncles ou ses frères ; il le fit avec cruauté et, aussi brutal avec ses partisans qu'avec ses adversaires, il fut vite abandonné des siens et tué en combattant (1489). Son vainqueur, un cousin germain, Abd al-Mumin (1489-1490), n'eut pas plus de chance que lui et fut détrôné par un fils de son rival malheureux, Abû Yahya Zakariya II (1490-1494). Ce jeune homme de 18 ans semblait devoir s'imposer ; la peste l'enleva au printemps de 1494. Le pouvoir échut alors à un de ses cousins germains, Abû Abd Allah Muhammad V (1495-1526), homme faible, peu apte à enrayer la brusque décadence de l'État hafside et à faire face à la situation difficile qu'allait provoquer en Ifriqiya le choc des Turcs et des Espagnols.

À la fin du XVe siècle, l'arrivée des Musulmans expulsés d'Espagne favorisa l'essor économique, mais la dynastie eut de plus en plus de mal à résister aux incursions des Espagnols.
En 1534, l'attaque de Tunis par le corsaire turc Khaïr al-Din (Barberousse), installé à Alger, entama sérieusement le pouvoir de la Dynastie, qui disparut avec l'annexion à l'Empire Ottoman en 1574.

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Les Abdelwadides de Tlemcen : 1235-1554

La résurrection des Zenata aboutit à la création, dans le Maghreb central et occidental, de part et d'autre du couloir de Taza, de deux dynasties, sœurs mais rivales, les Abd al-Wadides de Tlemcen et les Mérinides de Fès.

Refoulés, vers le milieu du XIe siècle, par la poussée hilalienne, jusqu'aux confins du Maghreb extrême, les Abd al-Wadides se contentèrent de graviter, pendant un siècle, dans l'orbite des puissantes familles Zenâta. Le calife Abd al-Mûmin les paya pour leur ralliement, en les installant dans la partie occidentale de l'Oranie, où ils se comportèrent comme vassaux des Almohades. La décadence des Mûminides permit à leur chef Yaghmurâsan, homme de décision, saisissant le moment opportun, pour créer une dynastie indépendante, la Dynastie abdelwadide ou Zayyânide, qui subsista plus de trois siècles. Tlemcen devint la capitale du nouveau Royaume.
La dynastie débuta par le long règne de son fondateur, Yaghmurâsan ibn Zayyân (1235-1283). Près de cinquante ans sans crise dynastique. Mais le Royaume fut dès sa naissance pris en étau, entre les Royaumes hafside et mérinide. Les Hafsides imposèrent leur suzeraineté momentanée par une campagne victorieuse contre Tlemcen en 1242. Puis à partir de sa victoire sur le calife almohade, al-Saïd, en 1248, Yaghmurâsan est à la tête d'une principauté, qu'il va fortifier au cours de son long règne. Mais il dut faire front aux Mérinides, qui, considérant cette principauté comme une de leurs dépendances, multiplièrent les expéditions pour faire rentrer le petit Royaume zenata rival dans l'obédience de Fès. Ce fut dès lors, et jusqu'à la mort de Yaghmurâsan, une lutte constante entre les deux voisins.


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Les Mérinides et les Wattasides

Les Mérinides : 1269-1465

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