Turcs et Mongols
en Terre d'Islam

Sommaire :

Introduction

De même que dans l'Occident musulman du XIe siècle les Berbères s'affirmaient de plus en plus dans la prise de pouvoir, en Orient les Arabes durent, à partir de la même époque, faire face à une succession de bouleversements politiques et ethniques qui introduisirent auprès d'eux des éléments turcs de plus en plus nombreux et qui bouleversèrent ainsi l'équilibre de l'Empire dans ces régions.

C'est très tôt que les Turcs commencèrent à s'introduire dans le monde musulman, moins de cinquante ans après l'Hégire. L'immigration turque, s'accrut considérablement au VIIIe siècle et surtout au IXe siècle. C'est que les mercenaires, dont les qualités guerrières furent vite reconnues, étaient devenus omniprésents depuis que le calife al-Mutasim (833-842), favorisa leur introduction dans l'Empire arabe. On les nomme "mamelouks" ou "ghulams" (esclaves). C'est donc comme "esclaves" qu'apparaissent les Turcs : ils étaient achetés, avaient des maîtres et pouvaient être affranchis. Samarcande était le principal marché.
Ils furent bientôt les rouages indispensables de l'État. Ils devinrent secrétaires, favoris, chambellans, avant de devenir les maîtres tout-puissants et de finir même par mettre à mort le calife al-Mutawwakil (847-861) et choisir son successeur en 861. De ce jour, les califes perdirent la réalité de leur pouvoir, au profit des Mamelouks.
Mais ces Mamelouks, d'origine turque, seront suivis et même supplantés dans certaines régions, comme en Iran ou en Inde, par leurs cousins, les Mongols, mais cette fois comme envahisseurs et non comme esclaves ; et qui, comme les Turcs, finiront par se convertir à l'Islam.




Tulunides et Ikhshidides
en Égypte : 868-969

Les Tulunides

À la suite de révoltes coptes et arabes, le calife al-Mamûn s'était rendu à Fustat en 832 et y avait installé, pour maintenir l'ordre, une armée de khurasaniens. Il donna l'Égypte en apanage à son général, Abd Allah ibn Tâhir, qui désigna son gouverneur, un officier turc.

Le calife al-Mûtazz (866-869) la donne en apanage à Bayak Beg, qui la confie en 868 à son gendre, Ahmad ibn Tulun (868-884), le plus célèbre de tous les Mamelouks. Il l'envoya en Égypte où il arriva à Fustat, le vieux Caire, en 868, pour veiller à la fidélité de cette province essentielle, avec des pouvoirs limités, mais il se les octroya tous. Il se rendit pratiquement indépendant du calife abbasside al-Mutamid. Cet officier, issu d'une famille originaire de Bukhara, sera le fondateur de la dynastie des Tulunides.
Organisateur et économiste avisé, Ibn Tûlûn parvint à fructifier l'impôt, tout en se contentant d'envoyer des oboles au calife. Il disposa ainsi de sommes considérables qui lui permirent d'entreprendre de grands travaux et d'organiser, avec des contingents essentiellement d'esclaves turcs, une armée solide et bien payée. Pour la première fois, depuis longtemps, l'Égypte redevenait indépendante et susceptible de tenir sa place dans la politique du Proche-Orient.
Le calife se débattant dans des difficultés nées de la révolte des Zandj ne peut réagir. Il renonça donc à châtier son vassal infidèle, et dut supporter l'intervention de ce dernier quand il étendit sa domination sur la Syrie (878) et finalement son occupation, puis l'annexion de la Cilicie et d'une partie de la Mésopotamie.
Il édifia, près de Fustat, une grande mosquée dotée d'un minaret à rampe hélicoïdale, comme celui de la grande mosquée de Samarra, qui subsiste encore sous le nom de mosquée d'Ibn Tûlûn.

Ibn Tulun, qui mourut en 884 au cours d'une campagne au nord de la Syrie, avait désigné comme successeur son fils Khumârawayh. Celui-ci va poursuivre la guerre contre Byzance et se donne la gloire de mener seul le djihad. En 892, le calife al-Mutadid le confirme dans son poste et lui donne en mariage une de ses filles. Mais il fut assassiné en 896, par un de ses serviteurs. Son frère Harun (896-905) lui succède, bien que les troupes aient prêté serment à son jeune fils, Jaysh (896). Harun disparaît en janvier 905, victime d'un complot, remplacé par son autre neveu Shayban.

Cependant, les petits-enfants du grand Ibn Tulun se révélèrent incapables et, en 905, alors que les Qarmates ravagent la Syrie, le calife al-Muqtafi envoya une expédition contre l'Égypte ; les troupes abbassides entrèrent à Fustat, mettant un terme à la dynastie.

Les Ikhshidides

Après la disparition des Tulunides, le califat reprend, pour une trentaine d'années, le contrôle de l'Égypte, mais face à la poussée des Fatimides d'Ifriqiya, il lui fallait créer un État-tampon pour mieux assurer la sécurité. C'est ainsi qu'il nomma un officier turc, du nom de Muhammad ibn Tughj (935-946), comme gouverneur, en 935. Ce dernier se fit attribuer le titre d'al-Ikhshîd (ancien titre iranien porté par les princes du Farghana à l'époque pré-islamique). Une nouvelle dynastie de gouverneurs turcs autonomes est alors fondée, celle des Ikhshidides.
La famille de Muhammad ibn Tughj était originaire du Farghana et servait les Abbassides depuis deux générations. Muhammad, né à Bagdad, passa sa jeunesse en Syrie, où son père fut gouverneur de Damas et de Tibériade pour le compte des Tulunides. Après la chute de ces derniers, Muhammad connut une période difficile. En 909, il gagne l'Égypte où il sera le protégé du gouverneur qui lui confie des postes. À la mort de ce dernier, il fut nommé gouverneur, mais ne restera qu'un mois, car Bagdad venait de nommer un autre gouverneur. Il attendra dix ans pour éliminer ce dernier. En 936, il repousse la troisième invasion fatimide ; trois ans plus tard le calife al-Râdi le confirme dans son poste et lui donne le titre d'al-Ikhshid. Durant son règne, il eut à lutter, en Syrie, contre les Hamdanides, à qui il dut céder les provinces situées au nord de Damas. C'est dans cette ville que Muhammad meurt en juin 946, laissant deux fils qui seront ses successeurs officiels, tandis que le pouvoir sera exercé pendant vingt ans par Kâfur.

Kâfûr, un eunuque noir d'origine nubienne, esclave du fondateur de la dynastie qui lui avait confié le commandement en chef de son armée et qui fut aussi le tuteur de ses fils. En 961, à la mort du dernier Ikhshidide Ali, Kâfûr se déclara seul maître du royaume, qu'il dirigea jusqu'à sa mort en 968. Il avait ainsi gouverné pendant vingt-deux ans, malgré des crises intérieures et des difficultés économiques, l'Égypte et la Syrie méridionale. À l'extérieur, il eut à lutter contre les pressions des Qarmates, des Soudanais, des Hamdanides et surtout des Fatimides, dont il retardera l'invasion finale de l'Égypte. Il fut aussi connu dans l'histoire pour avoir accueilli et protégé le poète al-Mutannabi.

À la mort de Kâfûr, en 968, ce fut de nouveau un Ikhshidide, Ahmad, qui régna quelques mois avant l'attaque victorieuse des Fatimides sur Fustat en 969.
Ces Fatimides, qui incarnaient le chiisme, dès leur deuxième calife al-Aziz (975-996), introduisirent dans leur armée, jusqu'alors composée de Berbères et d'esclaves européens, des régiments d'esclaves Turcs, les Mamelouks qui plus tard seront appelés à devenir des rois.

Tulunides et Ikhshidides firent figure de musulmans orthodoxes et convaincus : membres de Dar al-Islam, de l'Umma, ils entendirent n'y introduire ni schisme, ni hérésie, ni particularisme.
Leur art et singulièrement leur architecture montrent à quel point ils furent des produits de l'Iraq abbasside : la splendide Mosquée d'Ibn Tulun, au Caire, n'est qu'une version, adaptée aux impératifs locaux, de la Grande Mosquée d'al-Mutawwakkil de Samarra.




 

Les Tulunides : 868-935

 
  Ahmad ibn Tulun :   868-884
  Khumarawayh :   884-896
  Jaysh :   896
  Harun :   896-905
  Shayban :   905
 

Les Ikhshidides : 935-969

 
  Muhammad ibn Tughj al-Ikhshid : 935-946
  Unujur ibn Muhammad : 946-961
  Ali ibn Muhammad :   961-966
  Kâfûr :   966-968
  Ahmad :   968-969
 



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Les Karakhanides : 992-1211

De tout autre importance allait être, quelques années plus tard, la conversion de peuples turcs, qu'on désigne comme les Karakhanides ou "Ilek Khanide", du titre de leur souverain, le "Kara Khan" (le Khan Noir). Ce nom s'applique à un système dynastique complexe, différentes branches de la famille des Karakhanides fournissant un grand Khan, un khan associé et des khans subordonnés, gouverneurs de régions. Ce système entraîna la formation de nombreuses principautés karakhanides qui ne furent jamais gouvernées par un seul khan. C'étaient des Yaghma, c'est-à-dire des Oghuz. Cette grande fédération s'était installée dans toute la région du lac Balkach et de la mer d'Aral. Ils nomadisaient autour de deux villes dont ils s'étaient rendus maîtres, Kachgar, à l'extrême Ouest du Tarim, Balasaghun, dans le bassin du lac Balkach.
Ces tribus turques adoptent l'Islam vers 950, sous le règne d'un personnage semi-mythique Satûq, qui portait le titre de Bughrâ-khân et qui prit alors le nom de Abd al-Karim (m.955). La dynastie régnera sur le Turkestan du Xe au XIIIe siècle et constituera le premier état vraiment turco-musulman.
Les Karakhanides étaient voisins à l'Est des Ouighours du bassin du Tarim, au Sud-ouest des Samanides, et ils attaquèrent très vite les uns et les autres. Ils obtinrent des résultats décisifs et rapides en Sogdiane. Dès 992, le petit-fils d'Abd al-Karim, Ali ibn-Mûsa de Balasaghun, lançait une première offensive contre la Transoxiane : Samarcande tombe, Bukhara est occupée un certain temps, mais, leur chef étant mort de maladie, les Karakhanides se replient avec le butin, ils ne reviendraient s'installer que sept ans plus tard en 999.

Deux lignées de grands khans se formèrent dans la descendance de Satuk Bughrâ Khan, déterminant la consolidation de deux khanats karakhanides, l'un oriental dans le Sud-est du Kazakhstan et de la Kachegarie, l'autre occidental, en Transoxiane. Leur séparation fut complète à partir de 1041. Balasaghoun, dans la vallée du Tchou, et Kachgar ont été les capitales successives du kkanat oriental, Uzgend (Uzkand), dans la vallée du Ferghana, puis Samarcande, celles du khanat occidental. Le cours moyen du Syr Daria représentait la limite entre les deux.

A l'automne 999, le Karakhanide Arslan Ilek Nasr, roi d'Uzkand, entra à Boukhara, captura le dernier Samanide et annexa la Transoxiane. Il profita, également, de l'absence de Mahmûd de Ghazni, alors en opérations aux Indes (1006), pour envahir le Khûrasan et la Bactriane, piller Nichapur et Balkh. Mais Mahmûd de Ghazni revient promptement et rétablit la situation. Ainsi commença une lutte sans merci que les Ghaznévides, Mahmûd et son successeur Masûd (1030-1040), soutinrent difficilement et qui se solda par la disparition de leur dynastie.
Ils eurent également à lutter contre les barbares du Nord et contre les Ouighours à l'Est. Mais la seule expédition d'envergure tentée par eux semble être celle de Kadir Kara Yusuf (mort en 1032) et qui se solda par la prise du Khotan bouddhique. La maîtrise sur la Transoxiane, le "mawarah an-Nahr" (l'au-delà du fleuve Amu Daria) et sur le Khûrasan, les préoccupait davantage. De sorte, les grandes cités de Boukhara, Samarcande et Tachkent ainsi que les régions agricoles d'Ouzbékistan, sauf celle du Khwarezm et du Tadjikistan, ont connu plus de cent cinquante ans de gouvernement karakhanide. Les principales tensions politiques extérieures durant cette période sont venues des autres empires turcs musulmans, ghaznévide, dans un premier temps, puis seldjoukide et khwarezmchahs au XIe et XIIe siècle.
Les khanats karakhanides furent contenus au nord de l'Amou Daria par les Ghaznévides et les Seldjoukides. Enfin, ils furent conquis par les Mongols Kara-khitaï, et les représentants de leurs dernières branches disparurent vers 1211, après que le chah du Khwarezm, Muhammad, devenu le principal rival des Kara-Khitaïs en Transoxiane, ait exécuté le khan de Samarcande, Uthman (1204-1211), l'un des derniers représentants des diverses branches karakhanides dont plusieurs avaient déjà disparu.


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Les Ghaznévides : 977-1186

À peu près à la même époque où s'effectuait la conversion des Karakhanides, se fondait, dans les limites de l'actuel Afghanistan, le premier royaume turc musulman, celui des Ghaznévides, du nom de la ville de Ghazni qu'il choisit pour capitale. Comme les Tulunides, les Ghaznévides étaient issus de Mamelouks ; comme eux, c'étaient des insurgés ; comme eux, ils établirent leur souveraineté sur une population non turque ; comme eux, enfin, ils incarnèrent une civilisation étrangère, iranienne ici, arabe là-bas.

Ainsi que les Abbassides, les Samanides, leurs grands vassaux d'Iran oriental, avaient leurs mercenaires turcs. Or, sous le règne de leur souverain Mansûr Ier (961-976), l'ancien commandant turc de la garde, un ghulâm, Alp Tegin, qui avait été nommé à la fin du règne de son prédécesseur, le jeune Abd al-Malik Ier (954-961), gouverneur du Khûrasan, pour l'éloigner de la capitale.

En 961, Alp, n'ayant pu imposer son candidat à la succession de l'émir samanide décédé, est destitué par Mansûr ibn Nûh, le successeur samanide dont il avait désapprouvé l'élévation au trône. Il refusa la décision et s'enfuit à Bactres (Balkh), avec un millier d'hommes de guerre. N'ayant pu se maintenir, il fut forcé de se replier vers le Sud-est jusqu'à Ghazni en Afghanistan, dont il fit sa capitale, après avoir renversé la dynastie locale, et où il se fixa (962). Cette ville était déjà partiellement peuplée de Turcs émigrés, et Alp Tegin s'y installa solidement, non sans se reconnaître vassal des Samanides. Ceux-ci renoncèrent à le poursuivre et traitèrent avec lui. Alp Tegin devint ainsi roi en Afghanistan, où il posa les fondements d'un État, comme jamais encore chef turc n'en avait créé en terre iranienne.

Alp Tegin meurt en 963, son fils Abû Ishâq Ibrahim lui succède, mais il ne réussit à se maintenir au pouvoir, face au souverain détrôné par son père, qu'avec l'aide des Samanides, dont l'État ghaznévide devint alors vassal.
Puis Ibrahim disparaît sans laisser d'enfants. Le pays va, alors, être soumis à un régime militaire de type mamelouk. Et ce sera ce régime militaire qui lui donnera pour successeur, un autre mamelouk, un ancien ghulam de son père, Bilga Tegin, qui exerça le pouvoir sa vie durant, soit pendant dix ans, puis un autre encore, Piri Tegin, et un troisième enfin, Sebuk Tegin (977-999), un officier supérieur de l'armée samanide, pour remplacer le précédent qui s'était révélé incapable.

Sebuk Tegin fut le véritable fondateur de la dynastie, qui tirera son nom de sa capitale, Ghazna (ou Ghazni), et qui durera plus de deux siècles à l'est de l'Iran et en Afghanistan, et à qui il impliqua son obédience sunnite.

Ce fut en fidèle officier des Samanides, du temps du Samanide Nûh (977-997), que Sebuk Tegin, profitant des luttes intestines et de l'affaiblissement des Samanides, rompt avec eux et s'allie avec les Karakhanides. Il occupa le Khûrasan en 994 ; il avait auparavant prit Kabul, Bactres, Kunduz, Kandahar et la Transoxiane.
En 997, il avait divisé ses possessions entre ses fils avant de disparaître : Mahmûd (998-1030), était le commandant de l'armée du Khûrasan samanide, et son demi-frère, Ismaïl, eut avec le gouvernement de Balkh, la charge de Ghazni. Mahmûd, se jugeant lésé, força son frère à lui laisser Ghazni et, en 999, sous couvert de venger le successeur de l'émir samanide, Nûh II, déposé, reconquit le Khûrasan samanide.

Durant ses trente années de règne, Mahmûd de Ghazni (998-1030), le plus grand souverain de la dynastie, s'illustra pour la postérité comme héros de l'Islam. Se donnant pour but d'assurer l'héritage samanide, il bâtit, pendant ses trente années de règne, le vaste État qu'il laissa à ses successeurs. Son pouvoir s'étendait non seulement à l'Iran du Nord, avec Hamadân, Rayy et Ispahan, mais aussi, vers l'Ouest, au Khûrasan et au Khwarezm et jusqu'aux confins des régions occidentales de l'Iran. Les princes locaux d'Afghanistan, aussi bien que les Saffarides du Sijistan, furent soumis ; les Turcs Karakhanides furent contenus au-delà de l'Oxus, mais si, en revanche, la Transoxiane ne put être reprise, l'autorité ghaznévide fut affirmée au sud de la Caspienne et jusqu'au Tabaristan, sur les Ziyarides.

En 1017, même le Khwarezm fut occupé et la dynastie locale remplacée par un gouverneur. Une grande principauté d'Orient s'est alors constituée, presque aussi vaste qu'un Empire. Les moyens d'un tel succès politique furent trouvés dans la guerre, essentiellement dans les expéditions annuelles menées dans l'Inde, déjà par le père de Mahmûd, puis par Mahmûd lui-même. Le pillage des Temples hindous servant à financer l'entretien d'une lourde armée de métier et des constructions somptueuses à Ghazni, dont il fit une grande métropole, rivale de Bagdad, et dans d'autres centres également. Il est vrai que la politique suivie se veut au service de l'Islam sunnite ; les expéditions dans l'Inde et l'annexion du Pendjab devant répandre l'Islam, et c'est également dans cette optique quand, à l'autre bout de l'émirat en 1029, l'affaiblissement des Bouwayhides permit à Mahmûd la mise à sac de Rayy et Ispahan. Il déclare, en effet, qu'il ne reconnaît que l'autorité du calife de Bagdad, al-Qadîr billâh, et face au protecteur chiite, se proclame défenseur du sunnisme. En récompense, le calife lui reconnaît ses conquêtes et reçoit le titre de "yamîn ad-dawla" (bras droit de l'Empire).

Mahmûd avait fait vœu d'envahir l'Inde chaque année ; il s'y rendra dix-sept fois en trente ans. Ces expéditions marquent le début de la pénétration musulmane dans le sous-continent indien. En 1000, Mahmûd prend le Pandjab et reçoit alors le titre de ghazi (celui qui combat les infidèles). En 1003, il s'empare du Sijistân et prend désormais le titre de Sultan : il fut le premier souverain à recevoir ce titre. Les campagnes furent nombreuses et apportaient à chaque fois un tribut important. En 1008, il bat une confédération de princes hindous, après avoir franchi l'Indus. Désormais, il viendra piller régulièrement les grands et riches temples brahmanes. En 1019, une brillante campagne le mena jusqu'au Gange, d'où il ramènera une fois de plus un énorme butin, dont une partie servira à la construction de la Grande Mosquée de Ghazni.

Le prestige et la richesse de Mahmûd furent sans égal. Depuis longtemps, l'Islam n'avait pas acquis, par la victoire des armes, d'importants territoires. Ghazni devint une immense cité, égale et rivale de Bagdad, la métropole de l'Asie islamique, avec de luxueux palais et de belles mosquées. La civilisation qui s'y développa alors présenta la particularité de promouvoir, face à l'arabe, une autre langue, le persan ; car les Ghaznévides, Mamelouks turcs, furent profondément iranisés et se posèrent comme les champions de l'iranisme. De toutes les régions du monde musulman, accoururent auprès d'eux : artistes, poètes, savants, l'élite intellectuelle de l'époque. À Ghazni, vint s'installer, en 1017, le célèbre al-Birûni (l'Aliboron du moyen âge), mathématicien, astronome, médecin... Un des plus grands savants de l'Islam, ou le non moins célèbre Firdousi (932-1020), grand poète persan, qui dédia à Mahmûd son "livre des rois", le shâh nâme, grandiose poème épique.

En 1030, Mahmûd avant de mourir avait désigné pour lui succéder, non son fils Masûd initialement choisi, mais son frère jumeau Muhammad. Masûd (1030-1040) s'imposa par la force et élimina ceux qui n'étaient pas ses propres fidèles. C'est un valeureux soldat. Il s'efforce de continuer l'œuvre de son père, mais l'administration est aux mains de fonctionnaires vénaux qui, en dissolvant l'appareil gouvernemental, vont conduire l'État à la catastrophe.
Mais l'Inde, surtout, occupa Masûd Ier : il y remporta des succès que Mahmûd n'avait pu obtenir, mais les multiples campagnes militaires aboutissent à une détérioration économique. D'autre part, le Khûrasan fut l'objet de moins d'attention. L'entrée des Turkmènes sur le territoire de l'émirat ajouta les pillages de ces groupes, à la dérive, que la lourde armée ghaznévide ne pouvait pas empêcher. Les Seldjoukides profitèrent de la situation pour se présenter comme Musulmans responsables, capables de faire cesser les pillages. Masûd tenta de réagir : il reprit Nichapûr, qui s'était donnée aux Seldjoukides en 1038. Mais sa défaite de Dandanakan près de Merv, en 1040, devant le Seldjoukide Thughrïl Beg, décide Masûd à leur abandonner tout l'Iran et les pays subcaspiens. Il décida alors de se retirer en Inde ; les troupes se révoltèrent sur l'Indus, le tinrent prisonnier un moment, puis l'exécutèrent (janvier 1041).

Son fils aîné, Mawdûd Ier (1041-1048), après quelques difficultés avec son oncle Muhammad, prend le pouvoir et tue son parent en 1042. Il put rétablir son autorité de chef de la famille ghaznévide dans l'Inde et à Ghazni. Mais il dut accepter, avec réalisme, un territoire réduit, qui ne comprenait plus ni le Khûrasan, ni Balkh, ni Hérat, et où Lahore était devenue la deuxième capitale après Ghazni. L'Émirat ghaznévide connut alors une seconde vie.

La disparition de Mawdûd, en 1048, ouvrit une période de troubles. Mais cette période prit fin en 1052, avec l'accession au pouvoir de son frère, Farrukh Zâd (1052-1059), puis après lui en 1059, d'un autre frère, Ibrahim (1059-1099), dont l'émirat devait durer quarante ans. Le fils de ce dernier, Masûd III (1099-1115), prolongea jusqu'en 1115 cette ère de stabilité. Toute idée de reconquête du Khûrasan est écartée et les relations avec les Seldjoukides rétablies.
Les pays sont mieux contrôlés et les émirs ghaznévides étendent leur autorité sur une partie au moins de la zone montagneuse du Ghûr, par l'intermédiaire de la famille Shansabâni.

La mort de Masûd III, en 1115 mit fin à la grandeur ghaznévide. Dans la lutte pour le pouvoir entre ses fils, qui suivit cette disparition, Bahrâm Shah (1118-1152), ne s'imposa à Ghazni qu'avec l'appui des troupes seldjoukides, qu'il avait sollicitées. Conséquences de cela le nom des princes Seldjoukides fut désormais mentionné, avant celui des Ghaznévides, dans la prière et un lourd tribut dut être versé. En 1135, Bahrâm Shah tenta de s'y soustraire, mais une seconde occupation de Ghazni par les Seldjoukides, le ramena à la soumission. En 1148, ce fut le tour des Shansabâni, les vassaux du Ghûr, d'intervenir ; ils occupèrent Ghazni. Bahrâm Shah ayant repris sa capitale et exécuté un des chefs ghûrides ; le frère de celui-ci, Ala al-Dîn Husayn, se porta sur Ghazni en 1150 et, pendant une semaine, livra la capitale au massacre, au pillage, à la destruction et à l'incendie ; incendie dans lequel disparut la bibliothèque du grand Ibn Sina. Grâce à l'intervention des Seldjoukides, Bahrâm Shah put rentrer à Ghazni et y achever, dans une capitale en ruines, en 1152, un des règnes les plus néfastes de l'histoire des Ghaznévides.

En 1160, son petit-fils, Khusraw Malik (1160-1186), le dernier de sa lignée, dut abandonner la ville à une bande de pillards Oghuz. Il se maintint jusqu'en 1186 à Lahore, dont les Ghûrides finirent par s'en emparer, mettant fin à la Dynastie ghaznévide.
Les Ghaznévides laissèrent, néanmoins, un souvenir de mécènes aussi actifs dans le domaine des sciences et des lettres que dans celui des arts, ayant attiré à leur cour, dès le début du XIe siècle, des érudits tels que le mathématicien al-Bîrûnî ou le grand poète persan Firdousi. Ils multiplièrent également des fondations architecturales de grande envergure.


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Les Seldjoukides : 1038-1307

Les Seldjoukides, famille de chefs turcs, appartenant à la tribu des Oghuz, une confédération de tribus de Turcs orientaux, ayant fait mouvement vers l'Ouest à la fin du VIIe siècle et qui, vers 985, vint établir son camp à Djand, une petite ville de Transoxiane, sur la rive droite du Syr Daria, dans une terre sous contrôle des Samanides. Elle fut illustrée par des Sultans fondateurs d'Empire, les Grands Seldjoukides, ainsi que par d'autres membres qui se partagèrent le pouvoir au XIe siècle en Iraq, en Iran ainsi qu'en Syrie ; avant que des descendants d'une branche collatérale, appelée Seldjoukides de Rum, ne connaissent à leur tour un brillant et plus tardif apogée.
Leur chef était un certain Seldjük, l'ancêtre éponyme de cette puissante famille, fils de Dukak. Il avait trois fils Isrâïl, Mikhâïl et Musa qui portaient tous trois le nom d'Arslan ("le lion"). Ils se fixèrent dans un premier temps à Djand et surent habilement tirer parti des querelles continuelles mettant aux prises les Samanides d'Iran, les Karakhanides de l'Asie centrale et les Ghaznévides, s'alliant tantôt aux uns tantôt aux autres, selon leur intérêt.
Seldjük fut le premier de sa famille à se convertir à l'Islam ; mais il n'eut guère de rôle spectaculaire.

Son fils Mikhâïl mourut jeune, tué au combat contre des Turcs non musulmans, tandis que Musa se révéla d'une presque totale discrétion ; il occupa pendant un temps le Sijistan et plus tard ses fils rallièrent leur cousin Tughrïl Beg. La famille dut ses succès au troisième enfant de Seldjük, Arslan-Isrâïl, au fils de celui-ci, Kutulmuch, et aux deux enfants d'Arslan-Mikhâïl, Tughril Beg et Tchaghri Beg ; tous éminents hommes de guerre à la tête de cohortes fidèles et organisées.
La famille allait se scinder en deux branches, celle d'Isrâïl et celle des fils de Mikhâïl.

En 1025, Arslan-Isrâïl, après la chute des Samanides, entré au service des Karakhanides, se trouva engagé dans une lutte malheureuse contre Mahmûd de Ghazni, fut vaincu et capturé par lui. Il ira finir sa vie en résidence dans l'Inde ghaznévide, tandis que ses troupes restent cantonnées dans les steppes du Khûrasan, autour de Merv ; elles en sont chassées et deviennent des bandes errantes allant se mettre au service des princes musulmans de la région.

Quant à Tughril Beg et Tchaghri Beg, avec d'autres éléments de la tribu Kinik, ils demeurent d'abord autour de Boukhara, puis s'en vont offrir leurs forces au gouverneur du Khwarezm, en rébellion contre le nouveau prince ghaznévide Masûd.

I-Les Grands Seldjoukides d'Iran : 1038-1194

Les premières conquêtes seldjoukides ont commencé au Khûrasan à l'époque du règne du Ghaznévide Masûd (1030-1041).

Tchaghri et Tughrïl quittèrent le Khwarezm, chassés par Masûd, s'établirent dans les steppes qui bordent au Nord le Jurjân et le Khûrasan. Dès 1037, Merv et Hérat furent occupées. En 1038, Nichapur, dont la population n'avait aucune sympathie pour les Ghaznévides, ouvre ses portes à Tughril et ses frères. Il évita les pillages et prit le titre de Sultan. Masûd réagit et alla à leur rencontre, il se fit écraser le 22 mai 1040 à "Dandanakan" près de Merv. Masûd ne dut son salut qu'à la fuite, mais sur le chemin de Ghazni, il est fait prisonnier par des partisans de son frère Muhammad ; il sera mis à mort l'année suivante (1041). Après leur succès, les Seldjoukides devinrent maîtres de tout le Khûrasan ; ils n'étaient plus qu'à quinze ans de Bagdad.
La prise de pouvoir par les Seldjoukides va alors marquer un tournant important dans l'histoire du Proche-Orient. Ce sera la fin de l'indépendance politique des Arabes et des peuples d'expression arabe. En effet, la nouvelle puissance seldjoukide va imposer son autorité au monde islamique, en particulier à ses voisins orientaux, les empires musulmans karakhanide et ghaznévide. Ce dernier résista mieux que les khanats karakhanides, où deux campagnes (1072, 1073) obligèrent le khan Chams al-Mulk Nasr (1068-1080) à accepter la suzeraineté seldjoukide sur la Transoxiane.

Le premier souci des nouveaux princes fut d'assurer leur emprise sur le Khûrasan et de l'étendre à l'aide de raids conduits par les divers membres de la famille, y compris de Kutulmuch, fils d'Arslan Isrâïl, libéré de son exil indien après les premiers succès de ses cousins.

Tchaghri Beg demeura au Khûrasan, pour surveiller le pays, empêcher un retour éventuel des Ghaznévides et tenir tête aux Karakhanides de Transoxiane. Il assuma sa tâche, mourut vers 1058 et son fils Alp Arslan lui succéda. Un autre de ses fils, Kâwurd Kara Arslan (1041-1073) tenta fortune au Kirman, dans l'Iran méridional, où il fonda une petite principauté autonome qui subsistera jusqu'à la fin du XIIe siècle.

Quant à Tughril Beg Ier (1038-1063), sunnite, il ambitionne de prendre la relève des Ghaznévides, comme champion de l'orthodoxie musulmane. Il partit conquérir l'Iran, où il se heurta aux Bouyides, chiites. En quatre ans, il occupa tout le nord et le nord-ouest du pays : en 1041, il occupa Rayy et Hamadan. En 1042, il prit provisoirement Rayy pour capitale avant de fixer son choix sur Isfahan (Ispahan), dont il chassa les Kâkûyides en 1059. Il était alors le maître de l'Iran, pendant que les princes buwayhides continuaient leurs luttes stériles pour une hégémonie familiale qui n'avait plus guère de sens.
À l'extérieur, il entreprit de faire la guerre sainte en Asie Mineure, entre 1048 et 1054. À l'intérieur, il se déclara protecteur du calife et du sunnisme. Il y trouva aussitôt sa récompense. En 1055, le calife al-Quaïm, qui incarnait l'Islam, mais n'était plus le maître, même à Bagdad, l'appela à son secours, contre la menace bouyide à Mossoul. Tughrïl entra en Mésopotamie, dans la capitale de l'Empire, d'où il chassa le dernier des Bouyides, émirs chiites dont le calife de Bagdad voulait se débarrasser, car ils étaient devenus incapables de maintenir l'ordre. Le calife reconnaissant lui décerna le titre de "Sultan" et celui de "roi des émirs d'Orient et d'Occident" (Malik Umarâ al-Mashraq wa al-Maghrib), chef politique suprême du monde musulman et lui confiant le soin de ramener tout l'Islam dans l'obédience sunnite. Le califat sunnite est désormais libéré du contrôle chiite et Tughrïl Beg avait les pleins pouvoirs.
À la mort de Tughril Beg (1063), le pouvoir passa à son neveu Alp Arslan, qui avait succédé auparavant à son père, Tchaghri Beg, dans la garde du Khûrasan. L'Empire des Grands Seldjoukides d'Iran était réellement fondé.

L'accession au pouvoir d'Alp Arslan (1063-1072), neveu de Tughril Beg, qui ne laissait pas d'héritier, ne se fit pas sans difficultés. Ses principaux compétiteurs, Kâwurd de Kirman et surtout Kutulmuch, qui menaçait Rayy, appuyés sur les Turkmènes et sur les groupes hétérodoxes de l'Iran septentrional, furent assez vite éliminés et Alp Arslan resta seul maître de l'ensemble des territoires seldjoukides, comprenant son fief du Khûrasan, hérité de son père, Tchaghri Beg, et les vastes possessions irano-mésopotamiennes de son oncle Thughril Beg. Cet Empire s'étend de l'Amu Daria à l'Euphrate.
À l'extérieur, il fit la guerre sainte aux Byzantins et, en 1064, il envahit l'Arménie, prend Ani et Kars puis s'avance en Syrie et en Anatolie. En 1070, il s'empare d'Alep.
C'était, essentiellement, un homme de guerre et il sut, très heureusement, confier l'administration à un homme de génie, l'Iranien Nizam al-Mulk ("Ordre du Pouvoir"), qui fut un grand ministre.

Pendant le règne d'Alp Arslan, des clans Oghuz, qui étaient restés longtemps confinés dans les limites de l'Iran et de la Mésopotamie, et d'autres Turkmènes avec eux, à leur suite, arrivèrent en nombre sans cesse croissant en Iran. D'autre part, les soldats, qui n'étaient plus des mercenaires, comme auparavant sous les califes abbassides, constituèrent un nouvel élément de la population. Au même moment, les Turkmènes basés en Azerbaïdjan et en Haute Mésopotamie lancèrent des assauts furieux contre l'Arménie et le centre de l'Asie Mineure. En 1054, on les vit opérer dans la région de Van ; en 1057, dans celle de Malatya et dans le Diyar Bakir. En 1064, Ani, la capitale de l'Arménie succomba. Ceci déclencha la réaction du nouveau basileus, Romain Diogène, un général qui ne manque pas d'énergie et qui se trouve à la tête de l'Empire byzantin. À la tête d'une armée hétéroclite, il se dirigea vers l'Iran. Alp Arslan, qui se trouvait devant Alep en direction de l'Égypte fatimide, où il devait intervenir, à l'appel du chef de l'armée de ce pays, contre l'émir al-Mustansîr, sentant ses frontières menacées, marcha à sa rencontre. Le 19 août 1071, il se heurta à lui, sur le cours supérieur de l'Euphrate, à l'est du lac de Van, à "Mantzikert" (Manâzgirt). Les Grecs furent battus et leur chef, Romain Diogène, le basileus, blessé, est fait prisonnier. La victoire était totale et nul doute qu'alors Alp Arslan eût pu occuper sans coup férir toute l'Asie Mineure. Mais, le Sultan se montra magnanime. Il libéra l'Empereur contre rançon, et évacua ses territoires.
En 1072, après sa grande victoire en Anatolie, Alp Arslan partit guerroyer contre les Karakhanides en Transoxiane, où les Seldjoukides ne renonçaient pas à exercer une influence. Ce faisant, il donnait naissance à une autre branche de la dynastie : celle des Seldjoukides de Rum, ou d'Anatolie. Il mourut brusquement, en janvier 1073, frappé à mort par un prisonnier, après avoir désigné comme héritier son fils, Malik Shâh, âgé de dix sept ans.

La mort inattendue d'Alp Arslan porta au sultanat le jeune héritier désigné, Malik Shâh Ier (1073-1092), le plus prestigieux des Seldjoukides. Il conserva Nizam al-Mulk comme grand vizir, jusqu'à son assassinat en 1092, et en reprenant aussitôt l'offensive contre les Karakhanides. À l'Est la paix régnait avec les Ghaznévides et le Sijistan saffaride avait reconnu la suzeraineté seldjoukide. Ce fut au Nord, en Transoxiane, qu'il fallut agir au plus tôt, le meurtre d'Alp Arslan ayant entraîné une invasion karakhanide ; la Transoxiane fut provisoirement occupée jusqu'à Samarcande, et, quelques années plus tard, en 1089, entièrement annexée.
Au Sud, il réduisit le royaume extrémiste musulman des Qarmates de Bahreïn et obtint du calife la garde des villes saintes de l'Islam, La Mecque et Médine. En Haute Mésopotamie, il s'empara de Diyar Bakir, l'une des plus puissantes places fortes d'Orient. Puis il intervint en Syrie, où opérait une bande oghuz conduite par un certain Atsiz qui avait pris Ramla, Jérusalem (1071, puis 1077) et Damas (1076) avant d'avoir maille à partir avec les Fatimides, ce qui l'obligea à appeler le Sultan à son secours. Celui-ci envoya son propre frère, Tutuch, qui redressa la situation, entra à Damas, où il s'empressa de faire périr Atsiz (1079) ; puis il répondit en personne à l'invitation des Alépins menacés par la campagne de Sulaymân ibn Kutulmuch. Il prit la ville et confia son gouvernement à Aq Sungur, le père du futur Zengi, fondateur de la Dynastie portant son nom (Zengides : 1127-1222). Enfin, il entra à Antioche en 1086, où il élimina le fils de Kutulmuch, Sulaymân, qui s'y était réfugié.
Malik Shâh pouvait alors paraître en Syrie du Nord et en Irak. Sa puissance s'étendait désormais de Samarcande à la Méditerranée. En 1087, il est à Bagdad où il marie une de ses filles au calife al-Muktadi, qui a succédé à son père al-Qaïm ; provisoirement, les relations sont bonnes entre les deux pouvoirs. À cette date, la domination des Seldjoukides ne peut plus être contestée.

Après l'apogée, aussitôt la décadence. Elle commença pour les Grands Seldjoukides dès 1092, année de la mort de Malik Shâh. La succession du sultan fut difficile. Les quatre fils du souverain se disputèrent le pouvoir. Après un bref règne de Mahmûd Ier (1092-1094), alors âgé de cinq ans, imposé par sa mère, la princesse Tarkan Khâtun, avec l'appui du nouveau vizir, les partisans de Nizam al-Mulk, qui avait été remplacé, dans son poste par Tâdj al-Mulk, imposèrent le choix de l'aîné des fils, Barkyârük (1094-1104), âgé de treize ans (âge pubère légal) et dont la mère était Zubayda Khâtun, une autre femme du sultan. Ce dernier ne put asseoir son pouvoir qu'au terme de longs combats, en particulier contre son oncle Tutuch, qui dominait la Syrie et qui dans une ultime bataille contre son neveu, en février 1095 au sud de Rayy, est tué. Il finit par admettre que ses deux autres frères, Muhammad et Sandjar, aient le gouvernement de provinces entières, le premier en Adherbaydjân et l'Arménie, le second au Khûrasan. Ceci n'empêcha pas des luttes entre frères et notamment avec Muhammad qui vaincu en 1103 dut s'enfuir en Arménie. Mais Barkyârûk après ce succès, regagne Bagdad, où il tombe malade. Fatigué, il accepte, en 1104, un véritable partage du sultanat et meurt en 1105 à l'âge de 25 ans.
À la mort de Barkyârük, la situation des domaines seldjoukides a bien changé, le morcellement de l'Empire va s'accentuer : les Ismaïliens d'Alamut se sont fortifiés dans le nord de l'Iran et jusque vers Ispahan, constituant un État dans l'État. En Iraq, les princes arabes mazyadides de Hilla sont devenus très puissants ; les fils du chef oghuz Artuk se sont constitué des principautés au Diyâr Bakir et à Mârdîn ; en Palestine, les croisés ont pu s'installer à Jérusalem (1099), sans réaction majeure des fils de Tutuch, Ridwân qui lui a succédé à Alep et Dukâk, à Damas. Les rivalités au sein de la famille seldjoukide ont rapidement compromis des résultats qui avaient été longs à acquérir.

À la mort de Barkyârük, Muhammad Ier (1105-1118), son demi-frère, s'empare de Mossoul, marche sur Bagdad et reçoit l'investiture du calife al-Mustansir aux dépens du prince héritier Malik Shâh II. Dès lors, il sera officiellement sultan. Son règne sera marqué par le retour à plus de fermeté. Les Ismaïliens d'Iran, organisés, depuis 1094, en mouvements sous la direction de Hassan-i-Sabbah, étaient passés à la pratique de l'assassinat politique. Sandjar, qui gouvernait à l'Est, et Muhammad les combattirent avec succès. Les autonomies locales qui s'étaient manifestées sous le sultanat précédent furent également contenues.

  Au Khûrasan et en Transoxiane (1118-1157)

Lorsque Muhammad Ier mourut en 1118, son fils, Mahmûd II, 14 ans, héritier désigné, dut lutter, sans grand succès, pour s'imposer à ses frères, soutenus par leurs atabegs. La direction de la famille seldjoukide revint alors à Sandjar (1118-1157), son oncle, le dernier des Grands Seldjoukides, qui gouvernait efficacement l'est de l'empire, jusqu'à Rayy ; à partir de Balkh sa première capitale, puis de Merv ; il ne vint à Bagdad à la tête d'une armée que pour imposer son autorité à son neveu. En décembre 1109, il réussit à maîtriser les Ismaïliens dans le Khûrasan. Il continua d'imposer son autorité à l'Orient, mais de nouveaux dangers sont apparus dans les steppes. Les Mongols des Kara Khitaï, en s'imposant aux Karakhanides de l'Est, lancent une première attaque contre la Transoxiane en 1137. En 1138, Sandjar intervient au Khwârezm contre le Khwârezm Shâh Atzi (1127-1156). Puis voulant soutenir son protégé Karakhanide, il fut battu au sud du Syr Daria, dans les steppes, par les Kara Khitaï en 1141.
La Transoxiane fut occupée et au-delà le territoire seldjoukide jusqu'à Balkh. Dès lors, les princes Kara Khitaï sont installés à Balasaghun, l'ancienne capitale karakhanide de l'Est.
En 1153, Sandjar voulut mater une révolte des tribus oghuz, aux environs de Balkh, fut vaincu par eux et placé en résidence surveillée dans sa capitale occupée ; il y reste trois ans. Pendant ce temps, ils se répandirent pour piller, de Nichapur à Ghazni. En 1156, Sandjar réussit à s'évader, avant de mourir l'année suivante. La branche seldjoukide de l'Est disparaissait ainsi la première.
La désagrégation finale de l'Empire des Grands Seldjoukides consacra à la fois la survivance de certaines branches de la famille dans des foyers locaux qu'elles s'étaient choisis et la naissance d'autres pouvoirs régionaux dynastiques fondés soit par d'anciens chefs tribaux d'origine turque, tels les Danichmendides d'Anatolie et les Artuqides de Haute-Mésopotamie, soit par d'anciens dignitaires de l'État seldjoukide ayant souvent porté le titre d'atabeg, tels les Bourides de Damas, les Zengides de Haute-Mésopotamie et de Syrie, les Eldiguzides d'Azerbaïdjan et les Salghourides du Fars. Parmi les branches familiales seljoukides directement liées aux Grands Sultans, celle de Syrie s'éteignit dès 1104 à Damas et en 1117 à Alep, tandis que celle du Kirman subsistait jusqu'en 1187 et celle d'Irak jusqu'en 1194. En effet, à cette date le Khwarezm Chah Ala al-Dîn Tekich fut le vainqueur de Tughril III ibn Arslan (1176-1194), le dernier des Grands Seldjoukides dont la dynastie disparaît alors d'Iran.

Leur contribution fut cependant très importante dans le domaine de l'art et de l'architecture, notamment dans la diffusion du modèle des madrasas (institutions d'enseignement supérieur) dans le monde musulman.

  Seldjoukides de kirman : 1041-1086

Les Seldjoukides de Kirman forment le rameau le moins brillant de la famille. Ils développèrent leur propre pouvoir parallèlement à celui de la dynastie suzeraine des Grands Seldjoukides et ils régnèrent sur une province de l'Iran où ils jouissaient d'une autonomie quasi complète.
Ils descendent d'un fils de Tchaghri Beg, Kara Arslan Kâwurd (1041-1073), parti avec un groupe d'Oghuz pour le sud de l'Iran, qui avait su dès 1042 profiter des succès de l'invasion turque pour s'établir prince de Badasîr, capitale de la région de Kirman. Il fut exécuté après sa tentative armée de 1073. Son fils ne s'en vit pas moins confirmer par Malik Shâh la possession du Kirman, où ce prince vassal et ses descendants s'efforcent de résister à un nouvel afflux de bandes incontrôlables de la tribu des Oghuz. Moins d'un siècle plus tard, celles-ci mirent définitivement fin à leur semi-indépendance en s'emparant de Bardasîr en 1187.


  Les Seldjoukides de Syrie : (1078-1117)

Une fraction d'Oghuz partit pour la Palestine sous la direction d'Atsiz, un émir turcoman, qui avait fait campagne en Anatolie sous le règne d'Alp Arslan. Lorsque, cherchant à maîtriser les Bédouins pillards qui dévastaient la Palestine, province alors contrôlée par les Fatimides d'Égypte, Badr al-Djamâli, commandant en chef de l'armée fatimide, s'adresse aux Turcomans pour demander leur aide. Atsiz se présente avec sa bande ; il réussit rapidement à mettre les Bédouins de la Palestine à la raison pour le compte du calife fatimide al-Mustansir. Puis s'estimant insuffisamment récompensé, il s'empare du pays pour son compte et crée une principauté turcomane à Jérusalem. Badr al-Djamâli, véritable dirigeant de l'Égypte, va chercher des alliés contre lui. Il engage alors les quatre fils de Kutulmuch. En 1075, au cours d'un engagement, tandis que Mansûr et Sulaymân, réussissent à s'échapper, Atsiz fait prisonnier les deux autres fils de Kutulmuch et les envoie à Malik Shâh, en témoignage de vassalité. Le Caire s'inquiète, essaye de réagir, mais Atsiz, avec l'appui des renforts envoyés par Malik Shâh, parvint, en 1076, à s'installer à Damas. Puis en 1077, encouragé par ce succès, il entreprend d'attaquer l'Égypte, mais fut mis en échec par les forces fatimides. Puis craignant une offensive d'envergure de l'armée égyptienne contre la Syrie, Atsiz fait appel à Malik Shâh, qui lui dépêche Tutuch (1078-1095), fils d'Alp Arslan. Tutush redressa la situation, entra dans Damas (1079), où il se débarrassa d'Atsiz, en le faisant périr l'année suivante. Tutush devient donc souverain d'un domaine qui, en dehors de Damas, embrassait la Syrie centrale et la Palestine. Il reçut en renfort l'émir Artuq, récent vainqueur des Qarmates au Bahraïn (1077) et futur fondateur de la dynastie artuqide. En 1085, Alep, dont le prince vient de périr au combat, se sent menacée par les visées de Sulaymän ibn Kutulmuch, le Seldjoukide de Rum. La population appelle Tutush à l'aide. L'émir part vers le Nord avec Artuq. Non loin d'Alep, il rencontre les troupes de Sulaymân ibn Kutulmuch et celui-ci périt au combat. Tutush devient alors maître de toute la Syrie. Malik Shâh trouve son frère cadet trop envahissant et prend prétexte d'un appel de la population pour venir sur place. Il procède à une redistribution des domaines situés à l'ouest de son Empire. Son frère Tutush conserve Damas et la Palestine, où Artuq reste gouverneur jusqu'à sa mort en 1091. Alep est confiée à Ak Sungur aux dépens de Tutuch. Zengi, le fils d'Ak Sungur, fondera la dynastie des Zengides, à laquelle Alep doit tant, en particulier dans le domaine architectural.
Par-delà la Syrie, Malik Shâh n'abandonnait pas le projet de son père d'aller lutter en Égypte contre les Fatimides, qui ne cessaient pas d'intriguer contre les Seldjoukides. Mais Malik Shâh mourra sans avoir réalisé son projet.

Quand Barkiyârûk succéda à Malik Shâh, Tutush, qui n'a pas pardonné qu'on ne lui ait pas remis Alep, se pose en rival de son neveu, mais il est vaincu et tué sur le champ de bataille. Ses deux fils, Ridwan (1095-1113) et Dukâk (1095-1104), n'en obtiennent pas moins la souveraineté, le premier d'Alep, le second de Damas. Ces deux villes sont alors florissantes, mais sans réelle puissance, aux prises avec les croisés et avec toutes les principautés musulmanes qui les entourent, ainsi qu'avec les Ismaïliens qui s'installèrent à Alep, constituant des milices de bâtiniens qui vont déployer une grande activité à partir de leur forteresse de Bâniyâs au sud de la Syrie.
La Syrie est redevenue aussi morcelée qu'elle l'était avant l'intervention seldjoukide. Comme les Seldjoukides d'Iraq, ceux de Syrie laissent la réalité du pouvoir aux atabegs. Celui de Dukâk, le Turc Tugh Tegin (m.1128), finit par fonder sa propre dynastie, celle des Burides. Dès 1128, la petite principauté d'Alep est conquise par l'atabeg Zengi de Mossoul. Zengi (1127-1146) se rendra assez rapidement maître de tout le pays, à l'exception de Damas, qui sera conquise par ses successeurs, Nûr al-Dîn et Salah al-Dîn ("Saladin"), en même temps que l'Égypte, mettant fin à la dynastie des Seldjoukides de Syrie.

  Seldjoukides d'Iraq (1118-1194)

C'est donc en Occident que la famille seldjoukide a survécu le plus longtemps. À la mort de Muhammad Ier (1118), son fils, Mahmûd II (1118-1131), fut proclamé souverain de tout l'Empire à l'exception du Khûrasan et des régions avoisinantes où régnait Sandjar. En fait, son royaume se limita à l'Iran occidental et à l'Iraq.

Des provinces entières : le Khûsistan, le Fars, l'Azerbaïdjan, l'Arménie, et même la Mésopotamie, relèvent d'atabegs, qui se servent de la tutelle qu'ils exercent sur de jeunes princes de la famille seldjoukide pour asseoir leur pouvoir. Après la mort de Mahmûd II en 1131, son frère Masûd (1134-1152) ne put l'emporter sur les divers princes qu'en 1135.
À Bagdad, le calife al-Nasir (1180-1225), profitant de cette dégénérescence, pour devenir le véritable souverain indépendant de Bagdad, qu'il entreprenait alors de reconstruire, voulant ainsi affirmer la puissance du califat. Masûd dut lui faire la guerre, le contraignant à s'engager à ne plus jouer de rôle politique, puis le fit assassiner en 1135. Son fils et successeur, al-Rashid, refusa de reconnaître l'accord signé par son père sous la contrainte et reprit les armes. Masûd s'empara alors de Bagdad et déposa le calife, qui fut assassiné deux ans plus tard à Ispahan, et le remplaça par son oncle al-Muqtafi, en 1136. Mais l'affrontement à découvert entre le calife et le sultan, affaibli, s'amplifia.

Lorsque Masûd mourut à Hamadan en 1152, le domaine seldjoukide de l'Ouest n'était plus qu'un ensemble de petits pouvoirs en compétition et d'où émergeait une nouvelle légitimité, celle de Zengi et ses deux fils, dont l'un, Sayf ad-Dîn Ghâzi, resta à Mossoul après la mort de son père (1146) et l'autre, Nûr ad Dîn Muhammad, héritait de la Syrie et bâtissait sa fortune politique sur la lutte contre les croisés.
À Bagdad, le calife al-Muqtafi, qui a occupé le domaine des Mazyadides d'al-Hilla, expulse le gouvernement seldjoukide de Bagdad et confisque ses palais. Le califat poursuit ainsi sa lutte pour son indépendance vis-à-vis de la tutelle seldjoukide. L'action du califat est encore plus vigoureuse avec l'accession au pouvoir du calife al Nâsir (1180). En 1187, de nouveau, les palais sultaniens sont rasés à Bagdad, et une armée califale est envoyée, sans succès, contre Hamadan. Puis on fit appel au Khwârezm Shâh, Tekish. Le dernier Seldjoukide, Tughril III (1176-1194), meurt au combat devant Rayy (1194). Les Abbassides pouvaient, ainsi, célébrer leur libération d'un pouvoir qui était apparu comme leur sauveur, face aux Bouyides, plus d'un siècle auparavant.

II-Les Seldjoukides d'Asie Mineure ou de Rum : 1077-1307

Ils ont le prestige d'être apparentés à la famille impériale d'Iran et de descendre comme elle en droite ligne de Seldjük.
Leur chef, Sulayman ibn kutulmush (1077-1086), est l'arrière-petit-fils du fondateur, dont le père s'était naguère révolté contre Alp Arslan. Il vivait soit dans les montagnes du Taurus, soit dans les plaines qui s'étendent à leurs pieds. Avec ses trois frères, il devait aider les Fatimides d'Égypte en Syrie, contre Atsiz. Celui-ci capture deux des fils de Kutulmush, qu'il envoie à Malik Shâh en guise de vassalité. Le Sultan seldjoukide expédie en Asie Mineure un de ses généraux, Bursuq, contre les deux rescapés, Mansûr est tué, mais il ne peut venir à bout de Sulaymân. Peu après, ce dernier est chargé par le sultan de se porter en Anatolie pour aider le basileus qui demande son appui. Il va alors mener une politique de bascule entre les différents partis byzantins. Il loue ses services aux uns et aux autres, contre des villes et territoires. En 1077, Sulaymân conquiert Konya ; l'année suivante, les mercenaires turcs arrivent sur le rivage de la Marmara et installent une garnison à Iznik.

Lorsque Alexis Ier Comnène monte sur le trône en 1081, dix ans après Mantzikert, il signe avec lui un accord qui lui permet de faire de Nicée sa capitale, à quelques lieues à peine du Bosphore, au voisinage immédiat de Constantinople. Il disposait, dorénavant, de forces non-négligeables, d'une bonne audience populaire et, enfin, avec Nicée, d'une prestigieuse capitale. Il s'en servit. La même année, profitant des querelles qui éclatèrent à Antioche, Sulaymân se déclare indépendant des Byzantins, pour fonder le sultanat seldjoukide de Rum.
En 1084, il occupa Iconium, dont il fit Konya, puis il attaqua la petite Arménie de Cilicie, née de la migration des populations de la grande Arménie, après la prise d'Ani et la bataille de MantziKert. En 1085, il prit Antioche provoquant dans le monde entier une immense émotion. Puis il marcha sur Alep. La population fit alors appel aux Grands Seldjoukides. Malik Shâh envoie son frère Tutuch. Sulaymân fut tué devant la ville, son fils Kilitch Arslan emmené en captivité, et le sultan recueille l'héritage de Sulaymân et procède alors à une redistribution des domaines situés à l'ouest de son empire. Son frère Tutuch conserve Damas et la Palestine, et Alep est confiée à Ak-Sungur, l'ancêtre des Zengides. Tout semblait fini à peine commencé, l'édifice des Seldjoukides en Anatolie semble s'ébranler.

Les croisades, prêchées pour la délivrance de la Terre sainte, vont profiter de ces circonstances favorables. Kilitch Arslan Ier (1092-1107), enfin libre et entré en possession de son royaume, accourt à leur rencontre. Il est vaincu à Dorylée, près de l'actuelle Eskisehir, en l'été 1097, et doit abandonner Nicée, ainsi qu'Antioche (Antakya) en 1098. L'avance turque est stoppée pour deux siècles.
Les Turcs ont conscience que la route de l'Ouest leur est fermée. Ils vont chercher à s'ouvrir celle de l'Est. En 1106, Kilitch Arslan prit Mayyafarikin aux Artuqides et Maltaya, qu'il convoitait depuis longtemps. Appelé par la population de Mossoul Kilitch Arslan, lui répond, entre dans la grande ville iraqienne, où il se fit proclamer Sultan (1107), effaçant ainsi sa défaite de Dorylée et se posant en rival affirmé du Grand Seldjoukide d'Iran. Vaincu par celui-ci, il fut contraint de se replier et se noya en traversant un fleuve. Sa défaite et sa mort marquent la fin du rêve oriental ; les Seldjoukides de Rum se résignent donc à rester enfermés sur le plateau anatolien, instituant un sultanat centralisé autour de leur nouvelle capitale, Konya (Iconium).

Masûd Ier (1116-1156) chasse du trône son frère, Malik Shâh Ier (1107-1116), qui s'épuisait dans de vaines attaques contre Byzance. Lors de la deuxième croisade, il bat les troupes de Conrad III (octobre 1147), et oblige celles de Louis VII à gagner par la mer la Terre sainte. Cependant, la situation reste plus que précaire pour les Seldjoukides.

Kilitch Arslan II (1156-1192), nouvellement intronisé, comprend qu'il ne peut subsister qu'en faisant l'unité de l'Anatolie musulmane. Pour ce faire, il se rendit à Constantinople où il se reconnut vassal du Basileus (1162). Puis il se tourna contre les Danichmendides, les défit, conquit Elbistan, Larende (Karaman), Kayseri, Ancyre (Ankara) et Sivas. Au moment de disparaître de l'histoire, les Danichmendides tentèrent un dernier effort et sollicitèrent l'intervention des Byzantins, que commençaient à inquiéter les succès de leur prétendu vassal. En 1176, ceux-ci furent une nouvelle fois écrasés par les Turcs : un siècle après Mantzikert.
L'Anatolie, où s'entassaient les tribus venues du centre de l'Asie, était devenue entièrement turque ; et Kilitch Arslan II vraiment le Sultan de la Turquie.

À la mort de Kilitch Arslan, ses douze enfants, se disputèrent le pouvoir, et la guerre civile ravagea le Royaume. L'unité se refit douze ans après, sous Kay Khusraw Ier (1192-1196 et 1204-1210), qui va s'ouvrir un débouché sur la méditerranée en prenant Antalya. Kay Kawûs (1210-1221), quand vient son règne, atteint la mer Noire en enlevant Sinop (1214). Sous Ala al-Dîn Kay Qubâd (1219-1237), les Seldjoukides de Rum sont à leur apogée. Ils firent de Konya leur capitale.

Mais, déjà plane partout l'ombre immense des Mongols de Gengis Khan. Pendant l'hiver 1242-1243, si loin de leurs bases, à bout de course, les Mongols pénètrent en Mésopotamie et leur général Baïdjü prend Erzurum, ce qui lui permet, au printemps, de s'avancer en Asie Mineure. Le Sultan Kay Khusraw II (1237-1246) lève contre eux une armée. Baïdjü le surprend le 26 juin 1243, l'armée seldjoukide n'existe plus ; les Seldjoukides ne sont plus que l'ombre d'eux-mêmes.
Les Mongols assujettissent Sivas et Kayseri. Le Sultan s'enfuit vers Ankara. La souple et rapide politique du grand vizir, le Premier ministre, sauve le pays de la dévastation. Il va voir Baïdjü au sud de la Caspienne, traite avec lui : il sera son serviteur et paiera tribut annuel en or et en argent. Mais les mongols multiplient les raids, et les Turcs ne s'entendent plus entre eux. Pendant un temps, trois souverains se partagent le pouvoir : Kay Kawus II (1246-1257) à Konya, Kilitch Arslan IV (1249-1265) à Sivas, Ala al-Dîn Kay kubâd II (1249-1257) à Malatya. L'Empire seldjoukide de Rum subsistera plus d'un demi-siècle encore, mais humilié, impuissant, vassal. En vain, dans les dernières années du XIIIe siècle, les Seldjoukides tentèrent de se ressaisir et de se libérer.

En 1303, mourut sans descendance directe le dernier souverain seldjoukide Ala al-Dîn Kay Kubâd III (1293-1307). Avec lui disparut la Dynastie. Il ne resta dans le pays qu'une kyrielle de principautés, dressées les unes contre les autres et, à l'extrême occident, l'une des plus modestes, appelée à l'un des plus orgueilleux destins, celle de la famille d'Osman : la Dynastie des Ottomans.


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L'Islam aux Indes
Les Sultans de Delhi : 1206-1555

C'est très tôt que les Arabes s'intéressèrent au sous-continent indien, puisque Makran, dans le Baloutchistan, fut conquise dès l'époque du deuxième calife Umar et que le Sind fut annexé à la Transoxiane par Muhammad ibn Qâsim, neveu de Hajjâj, gouverneur umeyyade de l'Iraq sous le califat umeyyade de Walid Ier, infligeant une sévère défaite au souverain hindou et s'emparant de Multân, en 713, avant de bâtir une nouvelle capitale Mansûra (737).

En 977, les Ismaïliens, qui étaient basés au Yémen, s'emparent de Multân et, en 985, investissent la totalité du Sind, créant un état chiite indépendant et dont les souverains faisaient allégeance au calife fatimide du Caire, plutôt qu'au calife abbasside de Bagdad. Ce dernier chargea alors le Ghaznévide, Mahmûd, alors au faîte de sa gloire, de le reconquérir. Mahmûd envahit Multân dans l'hiver 1005, puis à nouveau en 1010 où il captura le gouverneur ismaïlien. Puis en 1018, il lança un raid jusqu'à Delhi et en 1026, la victoire de Somnâth, dans le Kathiawar, fit de lui le maître du Pendjab. La domination sur la vallée de l'Indus devait durer près de cent cinquante ans.

Lors de la dernière partie du règne du Ghaznévide, Yamîn ad-Dawla Bahrâm Shâh (1118-1152), le gouverneur de la région de Ghûr, entre Hérat et Kabul, en Afghanistan, Ala al-Dîn (mort en 1161), qui avait fondé un petit état iranien prospère, connu comme étant celui des Ghurides (1150-1215), lui infligea une défaite avant de s'emparer de Ghazni, qu'il détruisit (1150). D'où s'en suivit une fuite éperdue des Ghaznévides jusqu'en Inde. Les Ghurides les y suivirent, les traquèrent et partout les remplacèrent.

Muhammad Ghiyat ad-Dîn Ghuri (1163-1203), l'un des frères et successeur de Ala al-Dîn, s'empara de Multan en 1175, pour réduire les Ismaïliens du Sind et mettre fin à leur monopole sur le commerce maritime dans l'Océan Indien. Après avoir cherché à étendre son empire vers le Gujarat, il conquit Debal en 1182, avant de se lancer à l'assaut de Lahore. En 1186, il prit la cité pour la troisième fois et captura Khusraw Malik, marquant la fin de la dynastie ghaznévide. Puis, il décida de pousser en avant vers l'Est et remporta une importante bataille, en 1191, marquant ainsi le début de la domination turque en Inde.

1-Les Turcs Ilbarîdes : 1211-1290

En 1192, Ghiyath al-Dîn occupa Ajmer et Delhi, puis intervint dans la vallée du Gange. Son lieutenant, Muhammad ibn Bakhtiyar, conquit le Bihar et le Bengale. Puis, après avoir assiégé Delhi et imposé un tribut au prince local, il décida de rentrer à Ghazni, confiant à son général, Qutb al-Dîn Aybek, la mission de consolider et d'agrandir les nouvelles conquêtes.

En 1206, à la mort du sultan ghuride, Muizz al-Dîn Muhammad, assassiné à Ghazni, les Turcs contrôlaient l'Inde du Nord de Ghazni à l'Assam. Et n'ayant pas de fils, et n'ayant pas désigné de successeur, l'un de ses ghulâms (ou Mamelouks), Yilduz, fut proclamé sultan à Ghazni. Simultanément, le général turc, qui commandait les mercenaires engagés aux Indes, Qûtb al-Dîn Aybak (1150-1210), se proclama "Sultan des Turcs et des Persans" et fonda l'Empire musulman de Delhi, appelé à un si grand destin. Après une offensive contre Yilduz, il se consacra à consolider l'administration du Sultanat de Delhi, avant de mourir en 1210. Son fils, Aram Shâh (1210-1211), trop faible, fut rapidement vaincu en 1211 par l'un des ghulâms, Iltutmish, gendre d'Aybak.

Shams al-Dîn Iltutmish (1211-1236), fut l'un des plus grands souverains de l'Inde. Il allait fonder la première véritable dynastie musulmane dont l'Empire occupait une partie de l'Inde. Elle est connue sous le nom de Dynastie des Turcs Ilbarîdes, ou Mamelouks, parce qu'il appartenait à la tribu des Ilbarîs.
Iltutmish passa les dix premières années de son règne à écarter ses rivaux. Il renforça son autorité au sud du Gange avant de mettre fin à l'existence du Sultanat indépendant du Bengale en 1229. La même année, il reçut l'investiture officielle du calife abbasside, al-Mustansir. C'est sous son règne que les Mongols firent leur apparition sur la scène proche-orientale. Gengis Khan conquit alors la Transoxiane en 1220, puis atteignit l'Indus avant de rebrousser chemin.

La mort d'Iltutmish laissa le sultanat en proie aux intrigues familiales. Après un court règne de son fils Rukn al-Din Firûz Shah (1236), sa fille Radiya s'empara du pouvoir. Elle ne régna que quatre ans (1236-1240), assassinée par un fanatique hindou. L'année suivante, les Mongols franchirent l'Indus et mirent à sac Lahore.
Puis le sultan désigna un certain Ghiyath al-Dîn Balban à la fonction de nâïb ou régent. En 1266, à la mort du sultan, Balban devint sultan à son tour. Ghiyath al-Dîn Balban (1266-1287), descendant d'une grande famille turque d'Asie Centrale, avait été vendu comme esclave à Iltutmish.
D'abord ministre puis sultan, à la mort du souverain légitime, il interviendra à plusieurs reprises au Bengale où un chef turc, Tughrîl, s'était déclaré indépendant. Il réussira à y mettre en place son fils, Bughra Khan (1280). Mais son principal souci resta les incursions mongoles. En 1285, une armée mongole parut soudainement sur les rives de l'Indus. Son fils aîné, Muhammad Shah, se porta à sa rencontre. Victorieux, il fut néanmoins tué dans la bataille.

À la mort de Muhammad Shah en 1287, ses descendants, souvent manipulés par des factions de maliks, se disputèrent son héritage. L'une de ces factions, celle des Khaldjis s'empara du trône en 1290, mettant fin à la Dynastie des Mamelouks de Delhi.

L'œuvre des Ilbarîdes avait été considérable, elle avait permis l'affermissement de la puissance turco-afghane dans le sous-continent et la pénétration de l'Islam dans les masses hindoues. C'est à elle, également, que l'on doit les premiers grands monuments musulmans de l'Inde, dont les Mosquées d'Ajmeer et de Delhi.

2-Les Khaldjis : 1290-1320

En 1290, Firuz Chah, un Turc iranisé, de la tribu Khaldji vivant à la cour de Delhi, avait enlevé le trône impérial à l'un des descendants de Balban, instituant par la violence une deuxième dynastie ; et s'y installa sous le nom de Jalâl al-Dîn Khaldji (1290-1296). Entre 1290 et 1292, il réussit à stopper une nouvelle invasion mongole. Mais, en juillet 1296, il est assassiné et remplacé par son neveu Ala al-Dîn Muhammad.

Les premières années du règne de Ala al-Dîn Muhammad (1296-1316) furent consacrées à la lutte contre les Mongols, qui, en 1297, atteignirent Kîlî, près de Delhi. En 1299, une armée commandée par deux de ses frères, s'empara du Gujarat. Il s'empara, également, du Deccan jusqu'au royaume de Pândya, à l'extrême sud de la péninsule, sans annexer leurs territoires ; il contraignit cependant les souverains à lui payer un tribut annuel.
Le Sultanat rayonnait alors d'une vive lumière, due en partie à l'arrivée de nombreuses élites du Moyen-Orient, qui s'étaient réfugiées après avoir fui l'invasion mongole.
Le plus grand conquérant du Sultanat de Delhi s'éteignit en janvier 1316. Ce sultan illettré protégea les arts, comme en témoigne son œuvre architecturale, et s'entoura de poètes comme Amîr Khusraw (1253-1325).

Son fils, Qutb al-Dîn Mubârak Shah (1316-1320), prit des mesures économiques en faveur de la population, mais en 1320, il est assassiné. Ghâzi Malik, issu d'une autre tribu turque, devint sultan en septembre 1320, sous le nom de Ghiyath al-Dîn Tughluk Shah.

3-Les Tughluqs ou Tughluquides : 1320-1414

Le règne de Ghiyath al-Dîn Tughluk Shah (1320-1325), fut empreint de modération. En 1325, après avoir réduit des révoltes dans le Gujarat et le Bengale, il périt accidentellement en juillet 1325. Son fils lui succéda sous le nom de Sultan Ghiyath al-Dîn Muhammad Shah ibn Tughluk (1325-1351). Il dut immédiatement repousser une invasion mongole, puis réduire une rébellion vers Gulbarga. Les rébellions étaient, de fait, nombreuses ; et c'est sous son règne que le rêve de fonder un Sultanat de Delhi, qui contrôlerait toute l'Inde, s'évanouit. Très vite, les provinces avaient fait sécession. Sayyid Ahsan Shah fondait le Sultanat indépendant de Madurai ; puis c'était le tour du Bengale, dès 1338 et plus complètement en 1352, le Jaunpur en 1384, le Gujarat en 1396. Au Deccan, il s'était établi, en 1347, le Sultanat musulman des Bahmanides.

Son cousin Firûz Shah III (1351-1388) lui succéda en 1351. Après trente sept ans de règne, les dernières années furent marquées par le déclin du pouvoir central. Son petit-fils, Tughluk Shah II devint sultan à sa mort en septembre 1388.
De nouveaux royaumes se déclarèrent indépendants : le Jawnpur en 1384, le Gujarat en 1396. Puis en 1397, Pîr Muhammad, le petit-fils de Tamerlan, s'empara de Multân. En septembre de l'année suivante, Tamerlan traversa l'Indus. Il rencontra l'armée du sultan Nasir al-Dîn Muhammad Shah (1392-1412), aux portes de Delhi, le 17 septembre. Le 18, il entrait triomphalement dans la ville. Il y resta quinze jours avant de reprendre la route de Samarcande, non sans avoir décimé les habitants, hindous comme musulmans. Timur ne reparut plus. Il ne serait pour l'Inde qu'un cauchemar de plus. Dans la vallée indo-gangétique, comme ailleurs après le départ de Timur, rien n'avait été construit. L'anarchie avait régné jusqu'en 1414, date où le gouverneur timouride, un Turc iranisé, avait fondé l'éphémère Dynastie des Sayyids.

4-Les Sayyids : 1414-1451

Tamerlan, avant de quitter l'Inde, laissa pour le représenter, en 1399, Malik Sulayman, un officier afghan, qui se prétendait descendre du Prophète, à qui succéda son fils, Khizr Khan Sayyid (1414-1421). Celui-ci réussit à s'emparer de Delhi en 1414 et renverse le sultan Dawla Khan Lodi, et donna à sa dynastie le nom de Sayyids (1414-1451), qui exprime cette sainte filiation. À sa mort, son fils Muizz al-Dîn Mubarak Shah (1421-1435), lui succède. Sous le règne du sultan Muhammad Shah (1434-1445), le sultan de Mâlwa envahit Delhi et la situation faillit être compromise pour les Sayyids sans l'intervention d'un certain Bahlûl Lodi. Mais sous le règne de son fils, Ala al-Dîn Alam Shah (1446-1451), Bahlûl Lodi conquit Delhi et devint sultan de Delhi en 1451.

5-Les Lodis : 1451-1526

Les Lodi appartenaient à une tribu implantée à l'ouest de l'Indus. Sous le règne du fils de Bahlûl Lodi (1451-1489), Nizam Khan Sikandar (1489-1517), le Sultanat retrouva son prestige. Le Sultan conquit ou soumit divers royaumes hindous. Puis la dynastie se termina sous la tyrannie d'Ibrahim Shah (1517-1526), fils et successeur de Sikandar. Les Afghans, inquiétés par les persécutions de ce dernier, firent appel au souverain de Kaboul, Bâbur, qui prit Delhi, après sa victoire à Panipat, le 21 avril 1526, mettant fin à la dynastie des Lodis et fonda, en Inde, l'Empire des Moghols.

Même le retour en 1540, sur le trône du sultanat de Delhi, d'une nouvelle lignée de maîtres afghans, issus du vainqueur de l'empereur moghol Humâyûn en 1540, Shîr Shâh le Sûri (1540-1545), ne fut qu'un épisode d'une quinzaine d'années.

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Les Mamelouks d'Égypte et de Syrie: 1250-1517

1-Les Bahrites : 1250-1382

Il y avait longtemps que les Mamelouks, les mercenaires, les esclaves blancs des souverains, servaient en Égypte et qu'ils jouaient un rôle de premier plan, depuis surtout que le souverain ayyubide al-Malik al-Salih les avaient recrutés pour résister aux attaques des croisés menés par Louis IX. C'est ainsi que, au début du XIIIe siècle, sous les sultans ayyubides, successeurs de Saladin, leur nombre s'était accru dans des proportions considérables, et ils formaient un corps d'élite, fort bien organisé, que l'on cantonnait principalement dans l'île de "Rawda al-Bahr al-Nil" (l'île du Nil), d'où le nom de Bahrites qu'on leur donna. C'étaient, comme jadis, surtout des Turcs originaires du Khwârezm et du Kiptchak, auxquels se mêlaient les représentants d'autres ethnies, toutes sortes de gens achetés ou enlevés en Asie.

Les opérations des croisés contre l'Égypte ayyubide donna l'occasion aux Mamelouks de s'emparer du pouvoir. Dès le concile de Latran en 1215, l'Europe avait compris que la basse vallée du Nil était devenue le cœur et le cerveau du monde musulman, que c'était elle qu'il fallait vaincre pour sauver le royaume de Jérusalem. Après l'échec de la cinquième croisade, Saint-Louis décida d'attaquer l'Égypte ayyubide. Il débarqua à Damiette le 6 juin 1249. En février 1250, à la bataille de Mansourah, aux prises avec la faim, la peste et les soldats égyptiens, son armée fut décimée, puis tout entière capturée ; le roi lui-même fut fait prisonnier. Mais ce n'était pas une victoire ayyubide, c'était une victoire mamelouke. Il n'allait plus y avoir d'Ayyubides. Le sultan Turân Shah, qui avait succédé à son père en 1249, est assassiné le 2 mai 1250, et sa veuve, Shajar al-Durr, proclamée reine.

Al-Muizz Izz al-Dîn Aybak (1250-1257), prit le pouvoir, et pour légitimer le coup d'État, épousa la reine, Shajar al-Durr (1250-1257), qui le fera périr en 1257 et qui sera assassinée à son tour quelques jours plus tard. L'esclave khwarezmien al-Muzaffar Sayf al-Dîn Qutuz (1259-1260) fut proclamé à sa place. C'était l'année où Hülegü triomphait en Syrie. Le Mongol envoya un ultimatum à l'Égyptien pour qu'il se plaçât sous son protectorat. Celui-ci refusa, tua l'ambassadeur. Et se fut alors que l'histoire se précipita.

Qutuz partit pour la Palestine, écrasa la petite garnison mongole de Gaza, puis atteignit l'armée mongole, commandée par Kitbuga, à Aïn Djalut, le 3 septembre 1260, et la vainquit, libérant la Syrie jusqu'à l'Euphrate et mettant fin à la progression mongole, vers l'Ouest, entamée par Gengis Khan. Pour la première fois, depuis un demi-siècle, qu'ils faisaient trembler la terre, les Mongols avaient été vaincus. Les Mamelouks en retirèrent un prestige immense.

Sur le retour de l'armée victorieuse, le général mamelouk, d'origine kiptchak, à qui était dû le succès de la journée, al-Zahir Rukn al-Dîn Baybars (1260-1277), renversa Qutuz (24 octobre 1260). Ce sera l'un des plus grands souverains de l'Islam et un farouche adversaire des Mongols. Il eut l'intelligence d'accueillir au Caire, en 1261, un membre de la famille abbasside, rescapé du massacre de Bagdad, qu'il fit reconnaître comme calife et dont l'autorité, quelque peu fictive, suffisait à légitimer le pouvoir exercé par les sultans. Ces derniers prirent également soin de protéger les villes saintes d'Arabie, dont ils avaient obtenu le contrôle. Ainsi, l'autorité suprême et les hautes fonctions se trouvèrent entre les mains d'une autorité militaire de mamelûk, c'est-à-dire d'anciens esclaves affranchis, de races diverses, mais à majorité turque.

Mais les rivalités entre groupes de mamlouks continuèrent à croître à la mort du sultan. D'autre part, les esclaves d'origine circassienne ou tcherkesse, que Qalaoun avait commencé à recruter, ne cessèrent de devenir de plus en plus nombreux et influents, jusqu'à ce que l'un d'eux, Sayf al-Dîn Barqûq, renversa le pouvoir des Mamelouks turcs bahrites, pour instaurer celui de la deuxième période du sultanat, celle des Mamelouks originaires du Caucase, appelés burdjites.

Les Burdjites : 1382-1517

Nommés ainsi, car casernés dans la citadelle, ou burdj, ces nouveaux mamelouks constituèrent la deuxième période du sultanat des Mamelouks indépendants d'Égypte et de Syrie, qui débuta en 1382 pour s'achever avec la conquête ottomane de 1517.

De 1260 à ce jour de 1517 où Yavuz Sultan Selim, l'Ottoman, envahit la Syrie et infligea une sévère défaite aux Mamelouks et à leur sultan, al-Ashraf Qansuh al-Ghuri (1501-1517), avant de détrôner le dernier sultan mamelouk al-Ashraf Tuman Bay (1517) et occupait l'Égypte, le sultanat mamelouk resta, malgré un déclin au XVIe siècle et l'invasion de Tamerlan, qui dévasta la Syrie et saccagea Damas, en 1400, ce qui eut de graves conséquences financières et économiques, une des grandes puissances méditerranéennes. Il mena l'Égypte et la Syrie unies, à une haute prospérité et leur donna une civilisation puissante et raffinée.

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Les Ilkhans d'Iran : 1256-1353

Après un millénaire de puissance turque en Mongolie et, en conséquence, dans toute l'Asie Centrale, l'ère des Mongols est venue. Parents plus ou moins proches des Turcs, désormais installés sur le même sol où ils avaient puisé leur énergie, depuis quelque cent ans, les Mongols cherchaient à s'organiser et à assurer leur suprématie. C'était un Empire des steppes en devenir.

Temudjin, le futur Gengis Khan, né vers 1162, fut nommé souverain des Mongols en 1196. Il prit alors le titre de Tchinggis Kaghan, Gengis Khan pour les occidentaux. En 1211, il entreprit la conquête de la Chine, qui ne fut réalisée dans son intégralité qu'en 1279, sous le règne de Khubilaï.

En 1219, il s'attaque à la Perse. Alors s'abat sur le monde iranien, pendant cinq ans, la plus épouvantable force de destruction que le monde ait connue. Tout est dévasté, tout brûlé. Les champs cultivés sont rendus au désert. Les villes, Samarcande, Bactres, Merv, Nichapur, Hérat, Rayy, qui depuis l'antiquité cultivaient une civilisation raffinée, sont impitoyablement détruites. Des monceaux de cadavres les recouvrent. Une folle panique s'empare des populations. Le Shâh de Khwârezm, Ala al-Dîn Muhammad, est frappé de stupeur. Il n'offre pas de combat. Il fuit dans une île de la Caspienne où il meurt en 1220. Son fils, Djalal ad-Dîn Mengû Berti, replié à Ghazni, résiste. Attaqué par Gengis Khan, chassé de la ville, acculé sur l'Indus et battu en 1221, il dut se réfugier chez le Sultan de Delhi. Mais Gengis Khan n'est pas demeuré en Iran : il semble s'en désintéresser après lui avoir fait tant de mal. Revenu en Asie Centrale, il mourut le 18 août 1227.

Comme Gengis Khan n'était pas resté en Iran, Djalal ad-Dîn pût y revenir (1224) et entrer en possession de l'héritage paternel. Il reprit à son compte le rêve expansionniste des Turcs vers l'Ouest. Tous ceux qu'il rencontra furent ses ennemis, Syriens, Anatoliens, Géorgiens. Mais au cours de l'hiver 1230-1231, les Hordes gengiskhanides reprirent la route du pays encore exsangue qui pansait ses plaies. Djalal ad-Dîn dut fuir. Il mourra assassiné une dizaine d'années plus tard.

En 1256, un fils de Tuluï, cadet de Gengis Khan, Hülegü, frère du troisième Grand Khan alors sur le trône, Mongka, arriva en Iran avec le titre de Gouverneur ; il y fit aussitôt figure de Roi, soucieux de former un État héréditaire. Et ce serait, en effet, le puissant Khanat des Mongols d'Iran, le pays des IlKhan ("le pays des Princes impériaux"). Il s'islamiserait bien sûr totalement, sans réserve, au point de faire figure d'une des grandes puissances musulmanes.
Aussitôt arrivé, Hülegü (1256-1265) se débarrassa de la secte des Ismaïliens d'Alamut, les "Assassins" ou haschashins, qui s'enivraient de hashish pour perpétrer des meurtres politiques dont ils ont fait leur spécialité et dont les Seldjoukides n'étaient jamais venus à bout, puis il occupa Bagdad (1258). La chute de la prestigieuse capitale abbasside, de la ville des "Mille et une nuits", l'exécution du calife al-Mustasim (1242-1258), auxquels les Bouyides chiites eux-mêmes, jadis, n'avaient pas oser toucher. Ainsi finit la famille abbasside, dont un des ultimes héritiers alla chercher refuge au Caire, où il joua un rôle purement figuratif jusqu'à la conquête ottomane au XVIe siècle. La chute de Bagdad et la mort du calife soulevèrent, dans le monde entier, une vive émotion. Cet événement était égal ou supérieur à celui qu'aurait, deux siècles plus tard, la prise de Constantinople, par Mehemet Fatih.

Hülegü choisit comme résidences Tabriz et Maragha, en Azerbaïdjan. En septembre 1259, il partit d'Iran pour la Syrie. Il prit Nusaïbin. Édesse et Harran se soumirent. Alep fut assiégée et tomba le 24 janvier 1260. La Syrie, saisie de frayeur, cessa toute résistance : Damas fut occupée le 1er mars 1260. Puis les armées mongoles passèrent en Palestine, enlevèrent Naplouse et s'avancèrent jusqu'à Gaza. Mais la mort du Grand Khan, Mongka (11 août 1259) en Chine, amena l'arrêt de l'offensive et le repli des troupes d'invasion. Hülegü quitta la Syrie en y laissant un gouverneur mongol et une force d'occupation de quelque 20.000 hommes, sous le commandement de Kitbuga. Elle serait balayée, après Aïn Djalut (3 septembre 1260), par les mamelouks de l'armée égyptienne commandée par Baïbars, et Kitbuga tué. C'était la première défaite des Mongols. Le sultan Qutuz fit à Damas une entrée triomphale. Toute la Syrie musulmane jusqu'à l'Euphrate fut annexée par les Mamelouks.
En décembre 1260, Hülegü essaya de revenir en Syrie. Il parvint jusqu'à Alep, mais fut repoussé près de Homs. Et après lui, son fils aîné et successeur, Abaga (1265-1282), qui en 1271 lança sans succès une offensive contre Alep ; mais toutes les tentatives des Mongols furent vaines. En octobre 1281, notamment, l'armée d'Abaga fut vaincue par le sultan mamelouk Qalaoun près de Homs. Abaga ne survécut pas à ce cuisant échec. Il mourut peu après, le 1er avril 1282.
Son frère, et septième fils d'Hülegü, Teküder (1282-1284), lui succéda. Il se convertit à l'Islam et prit le nom d'Ahmad. Il ouvrit des pourparler de paix avec les Mamelouks, mais Qalaoun les repoussa. Il fut renversé et remplacé, en août 1284 par un fils d'Abaga, Arghun (1284-1291), alors gouverneur du Khûrasan. Puis sous le gouvernement de son frère, Ghaïkhatu (1291-1295), qui voulant réduire l'autorité des émirs mongols fut assassiné et remplacé par son cousin germain, Baïdu, qui, à son tour, ne put régner que quelques mois. Il fut arrêté et mis à mort le 5 octobre 1295. Ghazan accéda alors au trône.

Le khanat mongol d'Iran commença à perdre ses vertus sous Mahmûd Ghazan (1295-1304). Ce fils d'Arghun était un esprit ouvert et de haute culture, mais le début de son règne fut marqué par un déchaînement de violence. Au printemps 1303, après bien de tentatives, il partit en campagne en Syrie. Le 21 avril 1303, il se fit battre à Mardj al-Saffar. Ce fut la dernière bataille que les Mongols livreront en pays musulman. Il mourut un an plus tard, laissant le trône à son frère cadet Oldjaïtu (1304-1316).
Puis Abu Saïd (1317-1336), succéda à son père Oldjaïtu, au début de 1317. Il se révéla aussi médiocre souverain que son père s'était montré brillant. Il mourut, empoisonné par son vizir. Le khanat se disloqua totalement, des princes mongols purent conserver quelques principautés dans l'Ouest, mais, à l'Est des dynasties iraniennes le remplacèrent. Tout serait emporté quelques décennies plus tard, au XIVe siècle, par la nouvelle tourmente qui soufflerait sur l'Orient, turque celle-là, bien que se réclamant du gengiskhanisme et qui aura pour nom : Timur Lang, notre Tamerlan.


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L'Empire Ottoman : 1299-1924

L'Empire ottoman fut l'un des plus grands empires et l'une des plus importantes civilisations du IIe millénaire de notre ère. Il fut, avec l'empire des Habsbourg, le seul à avoir duré aussi longtemps, sous la direction d'une seule dynastie. La famille d'Osman, en effet, conserva le trône pendant six cent quarante-quatre années, de 1280 à 1924.

Les Ottomans, ou Osmanli ("les enfants d'Osman"), formaient au XIIIe siècle un beylicat situé à l'extrémité nord-ouest des territoires seldjoukides, en Anatolie. Ils descendaient de la tribu oghuz des Kayi, qui avait émigré en Arménie, soit au temps des invasions seldjoukides, soit plus tard, fuyant l'Asie Centrale envahie par les Mongols. Ils furent installés par le sultan seldjoukide, Kay Kubadh Ier vers 1225, dans la région d'Ahlat, sur le lac Van, avec pour mission de protéger les Seldjoukides contre l'Empire byzantin (d'où leur nom de "ghazi" ou combattants de la foi), et placés sous l'autorité d'un certain Suleyman Shah.

C'est avec le petit-fils de Suleyman, Osman, que commence vraiment l'histoire des Ottomans. Il est le fondateur de l'Empire dont il est l'éponyme et qui durera près de six siècles et demi.
Dès 1290, Osman Ier Ghazi (1280-1324), qui avait hérité de son père, Ertoghrül, d'un petit patrimoine autour de Sögüt et de Domaniç, coincé entre l'État byzantin et des territoires tenus par d'autres chefs turkmènes nomades, profitant du déclin de la puissance seldjoukide, affaiblie par l'invasion mongole, s'empara de plusieurs places-fortes et s'installa à Yenisehir. Puis, à partir de 1317, il laissa le commandement de ses armées, bien organisées, à son fils Orhan.

Orhan (1324-1362) entra dans Brousse (Bursa) en 1326 et en fit sa capitale. Secondé par son frère Ala ad-Dîn (mort en 1333), dont il fit son vizir, Orhan se montra un organisateur de premier ordre et fut ainsi le véritable fondateur de l'Empire. La réorganisation de ses forces militaires, vers 1330, fut un de ses traits de génie. Il créa, parallèlement aux irréguliers, une armée de métier, les yeniçeri ("nouvelles milices" ou Janissaires). Selon le même principe, la cavalerie fut divisée en deux corps, dont l'un comprenait les soldats professionnels, parmi lesquels les sipahi (spahis).
Quant à la politique extérieure de Orhan, elle s'éloigna de celle, si prudente, de son père. Tout en continuant à porter l'essentiel de son effort contre les Byzantins auxquels il arracha Nicée (Iznik) en 1331, Nicomédie (Izmit) en 1337, il se retourna contre ses voisins turcs les plus proches et, entre 1335 et 1345, annexa le beylicat de Karesi (région de Balikesir), profitant des divisions internes qui secouaient la principauté turcomène, permettant aux Ottomans d'étendre leur territoire tout au long de la mer de Marmara, jusque et y compris les Dardanelles. En 1553, il est appelé par le Basileus Jean VI Cantacuzène (usurpateur du trône byzantin), dont il avait épousé la fille, Théodora, pour l'aider dans sa lutte contre les Serbes ; il fit passer, pour la première fois, ses troupes en Europe (1346) et s'installa à Gallipoli (Gelibolu) en 1354.
L'installation des Ottomans en Europe, d'une façon permanente, était un événement considérable ; car le passage du bras de mer des Détroits mettait Constantinople sous la menace d'encerclement.

Son fils Hüdavendigâr Murat Ier "le seigneur" (1362-1389), en 1363, après avoir franchi les Dardanelles, s'empara d'Andrinople, dont il fit sa capitale européenne, Édirne. Son général en chef, le beylerbey ("émir des émirs"), ayant de son côté pris Philippopolis (Plovdiv), la Thrace presque tout entière fut entre ses mains. L'Occident s'affole. Le Pape Urbain V prêche la croisade. Seuls les Orientaux les plus directement menacés y répondirent : Bulgares, Serbes, Bosniaques, Hongrois, Valaches ; ils furent vaincus en 1363, sur la Maritza, et totalement anéantis le 15 juin 1389 à la bataille de Kosovo, dominant ainsi la Thrace et la Macédoine. Mais Murat y perdit la vie au cours de la bataille.

Les Ottomans, tandis qu'ils se taillaient un Royaume balkanique, ne se désintéressaient pas pour autant des affaires turques et entendaient surveiller l'Anatolie. Yildirim Bayezit Ier, "la foudre" (1389-1402), le Bajazet des Occidentaux, s'y engagea à fond. En quelques années, il fit main basse sur Konya, Antalya, Nigde, Karaman, Kayseri, Tokat, Sivas, Kastamonu, Amasya, sur toute l'ancienne Asie Mineure seldjoukide, jusqu'aux rives de l'Euphrate. Ses succès en Europe ne furent pas moindres. Les généraux ottomans faisaient des incursions en Valachie, en Bosnie, en Hongrie, et assiégeaient Constantinople pendant sept ans. La grande armée, où se coudoyaient les chevaliers Teutoniques et les chevaliers de Rhodes, réunie par Sigismond de Hongrie, se fit vaincre à Nicopolis le 25 septembre 1396, par Bayazid. Le vainqueur occupa la Thessalie et le Péloponnèse avec Athènes et mit le siège sur la ville reine : Constantinople (1396-97).

Mais le mauvais sort voulut que Bayezit "la foudre" vécut à la même époque que Timur Lang "le boiteux", pour qui "il ne pouvait exister qu'un seul roi sur la terre". Les deux souverains marchèrent l'un contre l'autre, avec toutes leurs armes. Ils se rencontrèrent près d'Ancyre -Ankara- le 30 juillet 1402. Et à la tombée de la nuit, l'Empire Ottoman était vaincu et le Padichah fait prisonnier ; il en mourut quelques mois plus tard. L'Anatolie tout entière se donne à Tamerlan. Seules demeurent de l'Empire ottoman leurs possessions européennes.
Il aura fallu neuf ans aux Ottomans pour reconstituer leur Empire après le raid timouride, malgré la restauration des anciens beylicats anatoliens par Tamerlan et malgré les guerres que se livrèrent les fils de Bayezit jusqu'en 1413.

Après ces années d'interrègne, l'un d'eux, Mehmet Ier Tchelebi, "le Seigneur" (1413-1421), se débarrassa de ses frères, s'allia à Byzance pour reconquérir les émirats et maîtriser les agitations sociales et refaire ainsi l'unité de l'Empire morcelé. Son fils Murat II (1421-1451) eut tout d'abord plus de difficultés ; il assiégea vainement Constantinople, échoua dans une tentative contre Belgrade, ne put résister à une nouvelle croisade et dut signer la paix d'Édirne qui lui était défavorable (1444). Mais en 1448, il prit sa revanche en écrasant les croisés à Varna, puis dans une deuxième bataille du Kosovo (1448). Ce fut la déroute complète de l'Occident et la perte de tout espoir pour l'Europe de sauver Byzance.

L'Apogée : 1461-1566

C'est au jeune Mehemet II (1451-1481), qui serait nommé Fatih, le "Conquérant", que revint l'honneur de posséder Constantinople. Depuis huit siècles, l'Islam la convoitait. Après sept semaines de siège, il prenait Constantinople et à cheval, Mehemet Fatih entra dans la basilique de Sainte-Sophie et célébra l'office de la prière le 29 mai 1453. Une intense émotion saisit la chrétienté. Et se fut aussi une totale impuissance, un abandon général : la Serbie, la Bosnie, l'Herzégovine, l'Albanie, la Karamanie, Trébizonde, les comptoirs génois de la mer Noire furent annexés. Le Khan de Crimée se reconnut vassal. La mer Noire devenait un lac turc. Dans sa nouvelle capitale, la future Istanbul, Mehmet II se fit administrateur.

À la mort de Mehmet II, son fils Veli Bayezit II (1481-1512), "le Saint", était gouverneur d'Amaysa. Le nouveau souverain était un pacifique qui préférait les négociations aux campagnes, mais c'est à lui que revint, à la fin du XVe siècle l'idée de créer une importante flotte avec de nombreux bateaux et de recruter le long des côtes de milliers de marins, ce qui lui permit, en 1499, de remporter sa première victoire, triomphant des Vénitiens. Mais cela ne convint pas à son troisième fils, Yavuz Sultan Selim Ier (1512-1520), "le terrible". Il le détrôna et, par prudence, fit exécuter toute sa propre famille.
Avec Selim Ier, commença une ère nouvelle de conquêtes. Dirigées dans une autre direction, elles allaient modifier le visage de l'Empire. Il raffermit son autorité en Asie Mineure et s'empara du Kurdistan. Puis il décida l'annexion de la Syrie et de l'Égypte, mettant fin à la dynastie des Mamelouks. En 1516, il prit Alep, Homs, Damas, Jérusalem. Le 22 février 1517, la bataille engagée aux portes du Caire, lui livra le Royaume mamelouk. Le Chérif de La Mecque lui confia du coup la protection des Lieux Saints d'Arabie. Retournant à Constantinople, il ramena avec lui le dernier Calife abbasside, al-Mutawakkil, mettant fin définitivement au califat. Les Ottomans devenaient ainsi les protecteurs de l'Islam.

Le règne de Kanuni Sultan Süleyman Ier, "le législateur" (1520-1566), plus connu sous le nom de "Soliman le Magnifique" est considéré comme marquant l'apogée des Ottomans. Ses offensives, presque toujours couronnées de succès, font atteindre à l'Empire ses plus grandes dimensions. Il s'empare de Bagdad et de l'Iraq, de Belgrade, de Buda (Budapest) et de la Hongrie qui devint turque pour cent cinquante ans. En 1529, il met pour la première fois le siège devant Vienne. D'autre part, des Corsaires grecs convertis à l'Islam, les frères Barbaros, Arouj et surtout Khaïreddine (1466-1546), plus connus sous le nom de "Barberousse", donnent aux Ottomans la maîtrise absolue de la mer Méditerranée et s'installent à Alger, à Tunis, à Djerba, à Tripoli, à Rhodes, à Aden. Les frères Barbaros se taillent en Afrique du Nord un royaume que Khaïreddine offre à Süleyman qui le nomme "Kapudan Pacha", amiral en chef de toutes les marines turques, et construit pour lui, en quelques mois, la grande flotte ottomane, la plus puissante qui ait encore jamais navigué.

   "Tout le monde arabe, à l'exception du Maroc, passe sous la coupe ottomane".


Avec Süleyman, c'est un des grands sommets de la civilisation universelle qui est atteint. Les arts y brillent. Les architectes, entraînés par le grand Mimar Sinan (1491-1588), érigent dans la capitale et les provinces de puissants monuments, tels que la Mosquée Süleymaniye d'Istanbul ou la Mosquée Selimiye d'Édirne. En 1577, un observatoire d'astronomie fut installé à Galata, sur ordre du sultan, l'un des deux plus perfectionnés d'Europe.




Le Déclin

Dans la seconde moitié du XVIe siècle, les succès militaires continuèrent. En 1571, la première grande défaite navale que subit l'Empire à Lépante (à laquelle participa Cervantès) entraîna bien le soulèvement des provinces, mais le calme revint vite, Selim II dut reconstituer entièrement sa flotte, en quelques mois, en y ajoutant huit des plus grands navires jamais vus en Méditerranée.

À partir de la fin du XVIe siècle, le Trésor ottoman accusa de grands déficits et les besoins militaires étaient en continuelle augmentation. Pour renflouer ses caisses, l'État augmenta les impôts. L'Empire commença alors à être secoué par des révoltes populaires. La "grande fuite" des paysans, rôdant dans les campagnes et dans les grandes villes, pour survivre de la faim et formant des bandes de brigands qui, entre 1595 et 1610, ravagèrent l'Anatolie, avant d'être vaincus et massacrés. Les survivants se réfugièrent en Iran ou dans les provinces de Syrie et d'Iraq.
C'est de cette époque que date également la dégénérescence des janissaires qui, de bras droit du pouvoir central, devinrent une menace pour celui-ci.

Sous le règne de Murat III (1574-1595) et de Mehmet III (1595-1603), le harem prit de l'importance dans la politique de l'Empire, l'épouse et la mère des deux Padichah, gouverne à travers les hommes. Ahmet Ier (1603-1617) parvient à s'en débarrasser, mais se montre tellement incapable que ses ministres, lassés, le remplacent. Avec lui s'achève la succession au trône en ligne directe.

Jusqu'à la fin du XVIIe siècle, l'Empire ne crût guère, mais ne diminua pas non plus. La paix de Sivatorok, en 1606, marque son extension extrême. Il est démesuré. Il couvre, outre l'actuelle Turquie, la Transcaucasie et le Caucase, la Crimée, l'Ukraine méridionale, ce qui constitue aujourd'hui les états de Roumanie, de Yougoslavie, de Bulgarie, de Grèce, de Hongrie, les états de Syrie, de Palestine, du Liban, une partie de celui d'Iraq, l'Arabie y compris le Yémen, l'Égypte, la Cyrénaïque et la Tripolitaine, la Tunisie et l'Algérie. C'est comme sous Soliman, la première puissance du monde. Le crépuscule est pourtant venu.

La décadence et la mort de l'Empire

Dans cet Empire, multinational et démesuré, il y avait impossibilité de faire vivre ensemble des peuples que rien n'avait jamais rapprochés. Dès la seconde moitié du XVIIIe siècle, il se vit attaquer et démembrer, de l'intérieur par l'éveil des nationalités, de l'extérieur par l'appétit des grandes puissances. Ceci aboutit à la disparition de l'Empire ottoman, en 1923-1924.

À la fin de la guerre de 1914, il n'en restait rien. On connaît les étapes de la désagrégation : le XVIIIe siècle fut celui des défaites, le XIXe siècle fut celui du démembrement. La Grèce fit son unité entre 1828 et 1913. Les pays yougoslaves et l'Albanie se séparèrent de l'Empire entre 1830 et 1878. La Roumanie se constitua entre 1858 et 1878. L'Algérie fut conquise par la France à partir de 1830. La Tunisie, autonome depuis 1705, accepta le protectorat français en 1881. L'Égypte, sous contrôle franco-anglais, puis seulement anglais, ne fut plus turque après 1882.

Au XXe siècle l'effondrement continua et l'Empire Ottoman périt : la Bulgarie accéda à l'indépendance en 1912 et, la même année, l'Italie conquérait la Cyrénaïque et la Tripolitaine. Le 31 octobre 1914, la Turquie, entra dans la guerre à côté des Empires centraux. Elle fut alors obligée, exsangue, de signer l'armistice de Moudros (30 octobre 1918). Il conduirait au Traité de Sèvres (août 1920) et par lequel elle perdait les quatre cinquièmes de ses anciens territoires.

Le 1er novembre 1922, la monarchie est abolie. Mehemet VI, déposé, s'enfuit d'Istanbul le 17 novembre. Son cousin Abdülmecit II est proclamé, le lendemain, simple calife, sans devenir empereur. Le 29 octobre 1923, est fondée la République turque, avec pour capitale Ankara. Le 3 mars 1924, le califat est aboli. La Turquie, dernier État successeur de l'Empire ottoman était née.

Généalogie des Ottomans


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Les Djalayirides ou Jalaïrides: 1336-1432

Ce fut également des Mongols, les Djalayirides, qui se proclamèrent indépendants à Bagdad en 1340, sous l'autorité du gouverneur de l'Asie Mineure, Burzug Hasan, "Hasan le Long" (1336-1356). Après que la Horde d'Or eut évacué Tabriz, qu'elle avait momentanément occupée, un autre Hasan dit "le Petit", Kutchuk Hasan" (1338-1343), s'empara de la capitale de l'Azerbaïdjan (1338). Lui d'abord, puis son frère et successeur Achraf (1343-1355), s'y maintinrent jusqu'à ce que ce dernier fût vaincu et tué au cours d'une incursion des Mongols Qiptchaq.

Ce désastre profita aux Djalayirides, qui n'avaient plus dès lors devant eux d'adversaires sérieux. En 1358, Uwais (1357-1374), fils de Burzug Hasan, entra dans l'ancienne capitale des Ilkhans. Maîtres de deux cités prestigieuses, Bagdad et Tabriz, les Djalayirides tinrent grand rang pendant quelques décennies. Ils ne purent cependant pas résister à Tamerlan, qui les défit à deux reprises, en 1393 et en 1401, et s'ils retrouvèrent leur trône, après le passage du terrible conquérant (1405), ce ne fut que pour un court laps de temps. Ils furent balayés en 1410 par les Turkmènes de la fédération des Kara koyunlu ("les gens aux moutons noirs"), originaires de Much, et dont l'activité s'était déjà manifestée avant le cataclysme timouride.

 

Les Jalaïrides souverains de Bagdad

 
  Taj al-Dîn Hasan Buzurg : 1336-1356
  Uways Ier :   1356-1374
  Jalal al-Dîn Husayn Ier : 1374-1382
 

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Tamerlan et les Timourides : 1370-1506

Tamerlan, le fondateur de la Dynastie des Timourides, fut un des plus grands conquérants d'Asie, mais aussi le plus controversé. Timur, de son vrai nom, fils de Taragaï, chef du clan des Barlas (Mongols turquisés), est né le 8 avril 1336, près de la ville de Kech, à une centaine de kilomètres au sud de Samarcande, au coeur de la Transoxiane du khanat de Djaghataï. Il fut surnommé "le boiteux" (lang en persan) après une chute de cheval et ce fut de ce nom composé, Timur-i Lang, "Timur le Boiteux", que la tradition occidentale en fit "Tamerlan".
Lorsque le Khan du Mogholistan, Tughluk Timur (1347-1363), conquiert la Transoxiane, il laisse comme vice-roi à Samarcande son fils, Ilyas Khodja, pour la gouverner. Celui-ci voit en Tamerlan un fidèle vassal et le choisit comme principal ministre. Mais Tamerlan, en 1363, le chasse de la Transoxiane. En 1370, il conquit Bactres et se fait proclamer Khan. Prétendant restaurer l'Empire de Gengis Khan, il laissa toujours subsister l'ombre gigantesque du Grand Khan et ne porta guère d'autres titres que celui d'Émir.

Il lui fallut dix ans de luttes incessantes pour s'imposer en Transoxiane et au Khwârezm, avec prise d'Urgentch en 1379. À partir de la Transoxiane, sa base arrière, la Perse, l'Iraq et l'Inde vont faire partie de son rayon d'intervention militaire, en s'appuyant toujours sur le principe de la légitimité islamique, combinée à la légitimité gengiskhanide, pour établir son pouvoir. Il lui fallut par deux fois entrer dans Bagdad ; de lancer par deux fois de vastes forces contre le Mogholistan, quatre fois mener campagne contre le Khan de Kiptchak... De 1370 à 1404, il va bouleverser l'Asie intérieure sans jamais connaître de défaites.

Le Grand Émir parvint à construire un vaste Empire englobant la Transoxiane, le Khwârezm, le Mogholistan, l'Iran tout entier, la Mésopotamie, l'Arménie, le Caucase, l'Anatolie orientale, et à s'assurer la suprématie en Asie Mineure, ainsi que sur tout le territoire de la Horde d'Or, punissant, par la même occasion, Tuqtamich (1378-1408), qu'il avait contribué à porter au trône et qui l'en paya de la plus noire ingratitude. En effet, fort de ses succès sur la Horde d'Or, quatre ans, après qu'il soit venu jusqu'à Samarcande pour demander l'appui de Tamerlan, Tuqtamich a tenté de se libérer de la tutelle de l'émir de Transoxiane. La discorde éclata en 1386 à propos de l'Azerbaïdjan. La guerre entre Tuqtamich et Tamerlan fut ouverte dès 1387, avec des raids de Tuqtamich en Transoxiane en 1387-1388, et elle fut totale quand Tamerlan partit en campagne dans l'actuel Kazakstan en 1391. Il écrasa Tuqtamich en juin 1391, installa un petit-fils d'Urus Khan (1361-1377) sur le trône de la Horde d'Or, puis détruisit Saray, la capitale de la Horde d'Or, au cours des campagnes de 1395 et 1396. Tuqtamich, isolé, fut assassiné quelques années plus tard en Sibérie.
En 1398, précédé par son petit-fils, Pir Muhammad, qui traversa l'Indus et prit Multan après six mois de siège, Tamerlan se tourne vers le sous-continent indien, remporte une victoire sur Muhammad Shah (1392-1412), en septembre 1398 et saccage Delhi, qui mettra plus d'un siècle à se relever ; avant de reprendre la route de Samarcande. Il laissa pour le représenter Khizir Khan, un officier afghan qui, vingt ans plus tard, devait se faire couronner sultan à Delhi et donner à sa dynastie le nom de Sayyid (1414-1444). Timur ne reparut plus, il ne serait pour l'Inde qu'un cauchemar de plus.

En octobre 1400, Timur, qui se trouvait dans la région de Malatya, se mit en route vers Alep, attaque les Mamelouks, maîtres de la Syrie et de l'Égypte : Alep est ravagée et pillée. Il s'empare de Hama, de Homs, de Baalbek et vint se présenter devant Damas. La ville envoya, pour négocier sa reddition, une ambassade qui comptait parmi ses membres le Grand Ibn Kaldoun, une des gloires de l'Islam. Timur, qui savait reconnaître le talent, reçut son hôte avec la plus grande courtoisie. Cela aurait pu sauver la ville si la citadelle n'avait pas résisté pendant quarante-trois jours. Elle fut saignée à blanc. Un incendie, détruisit même en partie la Grande Mosquée des Umeyyades, la plus ancienne mosquée de l'Islam. Un cauchemar de plus !

Tamerlan repartit comme il était venu et les Mamelouks purent récupérer la Syrie. Dans Bagdad, enlevée l'année suivante, la population est massacrée et presque tous les monuments détruits. Puis il passe en Anatolie où il se heurte aux Ottomans : vainqueur du Sultan Yildirim Bayazid Ier (1389-1403), "la foudre", qu'il fit prisonnier, à la bataille d'Ancyre (Ankara) le 20 juillet 1402, et qui mourut quelques mois plus tard.
Tamerlan parcourut l'Asie Mineure, atteignant les rivages de la mer Égée, restaurant les beylicats en Anatolie, pillant la capitale des Ottomans. Il repart une fois de plus pour Samarcande, non sans avoir au préalable enlevé Smyrne aux Chevaliers de Rhodes.

Il allait pour conquérir la Chine, quand il mourut à Otrar, sur le moyen Syr Daria. C'était le 19 janvier 1405. Pendant un tiers de siècle Timur avait parcouru l'espace en le parsemant de ruines, incendiant les villes, massacrant les populations avec cruauté et sauvagerie, en y déployant le spectacle de la perversité, en y affichant les preuves de sa toute-puissance destructrice. Tout comme pour Gengis Khan, qu'il essaya d'imiter, la terreur est conçue comme une arme dissuasive ne laissant d'autres alternatives que la capitulation inconditionnelle ou l'anéantissement total. Et, ce qui est impensable, c'est que ces massacres se firent au nom de l'Islam et que les Musulmans eux-mêmes ne furent pas épargnés : le résultat de son règne fut la destruction de toutes les puissances musulmanes de l'époque ; l'Empire ottoman, l'Empire des Indes, l'Empire du Kiptchak ; seul l'Empire Mamelouk lui échappa.

Il mourut sans avoir réussi à constituer un Empire stable et durable, car il était dans le génie de Tamerlan de toujours réussir, mais de ne jamais aller jusqu'au bout. Mais s'il fut tristement célèbre par la manière dont il soumettait au pillage et à la ruine les villes dont il s'emparait, Tamerlan n'en avait pas moins favorisé les activités intellectuelles et les artistes en même temps qu'il encourageait la vie économique, faisant construire à Samarcande des monuments prestigieux, encore visibles aujourd'hui, et exécuter en divers lieux des travaux d'intérêt public.

Tamerlan avait eu quatre fils et de nombreux petits-fils. Deux de ses fils étaient morts, un autre était fou, Mirân Shâh, gouverneur d'Azerbaïdjan et d'Iraq, qui donna lui-même naissance à un incapable, Khalil. Il ne lui fallut pas plus de trois ans pour détruire l'œuvre timouride à l'ouest de l'Empire. Il dilapida le trésor, fit l'unanimité contre lui, plongea le pays dans l'anarchie. Dès 1405, Ahmad Djalaïr, l'ancien gouverneur mongol de Bagdad, s'y rétablit. Dès 1408, le Khan des Kara Koyunlu, Kara Yusuf, exilé en Égypte, fit son retour au Caucase, vainquit Mirân Shâh et construisit sur ses possessions un royaume, qui fut l'une des plus grandes puissances du Moyen-Orient, avant de disparaître sous les coups de l'Ak Koyunlu, Uzan Hasan. En Iraq et dans le sud-ouest de l'Iran, il ne fut plus question des Timourides.

Le quatrième fils de Tamerlan, Shâh Rukh (1407-1447), musulman pieux, eut du génie ; il sut faire reconnaître son autorité sur la Transoxiane, le Khûrasan et la Perse orientale. Il se tint à l'écart des querelles timourides, se contentant de réprimer les tendances séparatistes de ses vassaux. Il fut, dans une perspective entièrement iranienne, le premier artisan de la "Renaissance timouride". Il s'établit à Hérat (1409) d'où il gouverna le Khûrasan, le Mazandéran, la Transoxiane, le Fars avec Chiraz et Ispahan et noua des relations avec la Chine.
Le fils, Ulu Beg (1447-1449), savant éminent, poète, musicien, philosophe, mathématicien et astronome, connu pour ses Tables astronomiques, dites "Tables d'Ulu Beg", gouverna la Transoxiane. Il se fit vaincre sur ses frontières septentrionales par les Uzbeks (1447), des Turcs gengiskhanides, et se montra incapable de gouverner. Il fut assassiné par son propre fils.

Du conflit qui suivit ce meurtre, c'est Abu Saïd (1451-1469), un petit-fils de Miran Chah, qui s'imposa à la tête des maisons timourides en 1451. Car après cette date, les princes timourides ne reconnaissent plus de primauté au souverain de Samarcande, plusieurs souverains timourides se partageaient un domaine territorial graduellement réduit. Il fut un héros malheureux qui finira exécuté par Uzan Hasan (1469-1478), des Ak Koyunlu. Ses descendants ne régneraient plus que sur une Transoxiane déchirée par les querelles.

Sous Sultan Husaïn Mirza, dit aussi Husaïn Baïkara (1469-1506), "la renaissance timouride" s'épanouit pleinement. Il était l'arrière-petit-fils de Timur par son fils Miran Shah et arrière-petit-neveu de Shâh Rukh. Ce prince, doux et raffiné, fit de Hérat, la capitale, une ville florissante pour les sciences, l'éducation, les arts et la littérature.

Ce furent finalement les Uzbeks de Chaybani Khan qui firent disparaître les Timourides, entre 1500 et 1506. Zakhreddin Muhammad Babur, autre frère du Sultan Husaïn Mirza, se réfugia à Kaboul en 1513. Cette ville lui servira plus tard de base de départ pour sa conquête de l'Inde où il a fondé la Dynastie des Grands Moghols (1526-1858).


Généalogie des Timourides

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Les Turkmènes Kara Koyunlu
et Ak Koyunlu : 1380-1524

En Haute Mésopotamie, en Anatolie, en Transcaucasie, au Kurdistan, en Azerbaïdjan, des Turcs nomades d'origine oghuz composés de divers clans, arrivés avec les Seldjoulides ou avec les Hordes gengiskhanides, continuaient à faire régner un ordre étranger au pays. Parmi eux, deux confédérations avaient acquis une puissance considérable, celle des Kara Koyunlu, "les Gens aux moutons noirs", et celle des Ak Koyunlu, "les Gens aux moutons blancs". Ces deux groupes rivaux avaient été fondés à peu près en même temps au milieu du XIVe siècle. Le champ d'action principal des Kara Koyunlu était l'Azerbaïdjan et l'Iraq, où ils avaient soumis le district de Mush en 1365, puis avaient pris Mossoul, Sindjar et enfin Tabriz, en 1338. Celui des Ak Koyunlu était le Diyarbakir, le haut du Tigre, c'est-à-dire les régions orientales de l'actuelle Turquie.

Ils devaient inévitablement se heurter, quand Tamerlan survint. Ils ne pesèrent pas lourd. Les Ak Koyunlu rallièrent le conquérant et se firent ses fidèles alliés. Les Kara Koyunlu lui opposèrent au contraire une résistance acharnée, jusqu'à ce que Kara Yusuf (1389-1420) soit obligé de se réfugier en Égypte. Malgré ces différentes attitudes, les uns et les autres, recouvrèrent, sans difficulté majeure, leur pleine souveraineté dès 1406, à la mort de Tamerlan. Dès 1408, le khan des Kara Koyunlu, Kara Yusufrevint de son exil en Égypte, vainquit le Timouride Miran Shâh.

Après des années d'anarchie, sous le règne de Djihan Chah (1439-1467), sultan et kaghan (roi), leur organisation militaire et politique, leur bon personnel administratif, leur richesse, leurs activités et l'étendue de leur territoire (Iraq, Sultaniye, Qazvin, Rayy, Ispahan, Fars, Kirman) firent des Kara Koyunlu l'une des quatre grandes puissances du monde musulman de l'époque.
En 1467, l'expédition menée par Djihan Chah contre l'Ak Koyunlu, Uzan Hasan (1453-1478), s'acheva en complet désastre. Le prince et l'un de ses fils y perdirent la vie. L'héritier du trône, Hasan Ali (1467-1469), ne put tenir tête à l'orage et préféra se donner la mort. Yusuf (1469), qui lui succéda et qui avait été auparavant aveuglé par Uzun Hasan, fut assassiné par son fils. Tous les territoires des Kara Koyunlu passèrent aux Ak Koyunlu.

Uzun Hasan fut un grand roi. Un an après avoir si totalement triomphé des Kara Koyunlu, il vainquit le grand Khan timouride Abu Saïd. À son tour, il fit belle figure et son Empire atteignit à son apogée. Au Diyarbakir, que lui avait reconnu Tamerlan, il avait joint Bagdad, Hérat, Tabriz. L'Iran était en passe de refaire son unité.
Mais après le règne de Yakub (1478-1490), ses fils et ses neveux se disputèrent le pouvoir, tandis que se développait une intense propagande chiite. En 1503, Chah Ismaïl le Séfévide, le père de l'Iran moderne, le seul état officiellement chiite, vainquit le douzième souverain Ak Koyunlu, Alwand ibn Yusuf (1498-1504), le petit-fils d'Uzan Hasan. Son successeur, Murad tenta de continuer la lutte, mais dut finalement se réfugier à Constantinople. Il mourut en 1524 et la dynastie s'éteignit avec lui.

L'éclat de la civilisation des Turkmènes trouve encore des témoins dans la Mosquée Bleue de Tabriz, construite par Djihan Chah, une des gloires architecturales de l'Iran.

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Les Séfévides en Iran : 1501-1736

C'est dans le milieu turkmène de l'Anatolie orientale que prit naissance le mouvement séfévide, qui allait aboutir à la fondation de la Dynastie portant ce nom et à laquelle on se plaît à reconnaître la création de l'Iran moderne. Les Séfévides prétendaient descendre d'un cheikh d'Ardebil, en Azerbaïdjan, nommé Safi ad-Dîn (1253-1334), qui avait créé un ordre religieux, celui des Safaviya ou Séfévides. Sunnite à l'origine, il avait adopté, dans le courant du XVe siècle, un chiisme assez extrémiste, et croyait que ses cheikhs héréditaires descendaient du septième imam, Musa al-Kazîm, donc d'Ali, gendre du Prophète, et de la fille du dernier souverain sassanide Yezdegerd III, et revendiquait, à ce titre, un pouvoir politique.
Plus tard, un successeur, le Cheikh Djunaïd (1447-1460) et ceux qui l'entouraient avaient compris qu'il leur fallait une force armée pour parvenir à leurs fins. Ils avaient, pour cela, commencé une active propagande auprès des tribus turcophones de l'Azerbaïdjan, de l'Arménie et de l'Anatolie orientale.
Les menées du cheikh Djunaïd déplaisaient à Djihan Chah, des Kara Koyunlu, et, en 1449, il fut chassé d'Ardebil. Après avoir un peu erré, il trouva refuge auprès d'un homme qui n'était pas encore puissant, mais il allait le devenir, l'Ak Koyunlu Uzun Hasan. Mais quand Uzan Hasan eut vaincu Djihan Chah (1467), le nouveau cheikh de l'ordre, son gendre, Haydar (1460-1488), lui parut aussi dangereux que Djunaïd l'avait été aux yeux des Kara Koyunlu. Il le fit périr. Ses fils jurèrent de le venger. L'aîné, Sultan Hasan, ne vécut pas longtemps, et, en 1494, il désigna pour lui succéder son jeune frère, Ismaïl Ier (1501-1524), âgé de sept ans. Et si leur mère, fille de Uzun Hacène, était Turque, leur père, Haydar, était Iranien.
En août 1499, l'adolescent qui n'avait encore que treize ans, se décida à tenter sa chance, encouragé par la décadence des Ak Koyunlu, qui depuis la mort de Yakub (1478-1490) n'arrivaient pas à se donner un chef.
En 1501, il enleva Bakou, vainquit l'Ak Koyunlu Alwand (1498-1504), ce qui lui livra tout l'Azerbaïdjan ; puis il entra à Tabriz, où se faisant couronner Shah (1502), il fonda la dynastie des Séfévides. Le nouveau roi était un génie précoce.
L'année suivante, en juin, il remporta une grande victoire contre un autre Ak Koyunlu, Murad (1497-1508), qui le rendit possesseur du Fars et de l'Iraq. En 1510, il se heurta à Muhammad Shaybani, à Merv, et le vainquit. La nation iranienne était née.

La défaite que lui infligea le 25 août 1514, à Tchaldiran, au nord-est du lac de Van, l'Ottoman Selim Ier, équipé d'une artillerie moderne, et s'emparant de la moitié orientale de l'Anatolie, lui enleva toute possibilité d'extension vers l'Ouest ; son Empire serait iranien et non pas mésopotamien ou anatolien. Il s'occupa de le construire et, de 1529 à 1530, son unification fut parachevée par son successeur, Tahmasp Ier (1524-1576), qui conquit le Khûrasan. L'Iran, malgré quelques rectifications de frontières, consécutives aux guerres ultérieures, eut, dès lors, à peu près l'étendue que nous lui connaissons aujourd'hui. Les Turcs y étaient minoritaires, mais oligarchiques. Leurs beys occupèrent les plus hauts postes civils et militaires. Cela n'empêcha pas le Royaume turc d'Iran de devenir pleinement un Royaume iranien. La capitale Ispahan, avec ses monuments éclatants et ses mosquées, par le génie séfévide qui les érigea et les aménagea, porte l'inoubliable témoignage du triomphe de l'iranisme avec le chiisme comme religion d'État.

L'accession au trône de Chah Abbas sauve l'Iran de ses deux ennemis héréditaires. En 1597, le nouveau souverain repousse les Uzbeks au-delà de l'Oxus. En 1603-1604, il chasse les Ottomans de leurs possessions (la Géorgie et l'Azerbaïdjan) et ramène les frontières où elles étaient en 1576. Il fonde une nouvelle capitale, Ispahan, ancienne capitale des Seldjoukides, dont il fera la plus belle ville de l'Iran.

La politique de Chah Abbas pour contenir les tribus turques en Iran, n'enleva rien à leur puissance. Celle-ci se manifesta pleinement dans les guerres civiles qui entraînèrent la chute des Séfévides, effective en 1722, si légale en 1736 seulement, et pendant les décennies qui s'en suivirent.

À la mort de Chah Abbas (1629), chaque souverain de la famille séfévide se révéla inférieur à son prédécesseur. De Chah Safi (1629-1642) et de Abbas II (1642-1666), on ne retiendra que la construction de quelques monuments remarquables, comme le pont-barrage de Khwadju et le palais des Quarante colonnes à Ispahan. De Sulayman Chah (1667-1694), on retiendra le délicieux palais des Huit Paradis. Sous Chah Sultan Husayn (1694-1722), son fanatisme religieux et ses persécutions des sunnites provoqueront la révolte afghane, qui ne va pas tarder à éclater. L'armée séfévide est vaincue par la tribu des Afchars, Ispahan pillée (1722). L'Iran est enfin sous le contrôle politique d'Iraniens, sunnites cette fois.

Des neuf souverains séfévides qui régnèrent sur l'Iran entre 1501 et 1722, deux s'élevèrent au-dessus de la norme par leur personnalité et leur œuvre : Chah Ismaïl et Chah Abbas Ier le Grand (1588-1629). C'est à eux que la dynastie doit sa réputation brillante et l'éclat indéniable qu'elle donna à l'Iran.

 

Les Séfévides

 
  Ismaïl Ier :   1501-1524
  Tahmasp Ier :   1524-1576
  Ismaïl II :   1576-1578
  Muhammad Khudabanda : 1578-1588
  Chah Abbas Ier :   1588-1629
  Safi Ier :   1629-1642
  Abbas II :   1642-1666
  Sulayman Ier :   1666-1694
  Husayn Ier :   1694-1722
 


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Les Grands Moghols : 1526-1858
ou l'Empire des Indes

En 1526, une branche des Timourides se rendit maîtresse de l'Inde du Nord et fonda le Grand Empire des Moghols. Le conquérant, Zahir al-Dîn Bâbur Chah (1526-1530), est un descendant en ligne directe de Tamerlan, par Miran Chah, et de Gengis Khan par sa mère, d'où le nom de "moghol", qui vient de l'arabo-persan mughal, qui signifie Mongol. Babur, donc, en créant l'Empire des Indes, pensait restaurer l'œuvre gengiskhanide et c'est pourquoi ce Turc, ce Musulman, se référait aux Mongols ou Moghols.

 

Origine de Babur Chah

 
Gengis Khan
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Djaghataï
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|   Tamerlan
Yunus Khan
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Kutlug Nigar Hanim
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épouse Miran Chah
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  Babur Chah  
 

La principauté de Ferghana, dont il avait hérité, ne satisfaisant pas son appétit de pouvoir, il chercha en vain à s'emparer de Samarcande, la ville de ses ancêtres, et à se tailler un Empire en Asie Centrale. Puis renonçant à Samarcande, il prit Kaboul, d'où il lance les premiers raids contre le sous-continent, avant d'être appelé par les Afghans de l'Inde révoltés contre Ibrahim Lodi.
Le le 17 novembre 1525, Bâbur quitte sa capitale, et entreprit la conquête des Indes. Il descend les passes de Khyber, traverse l'Indus, prend Sialcot et Mâlwa. Le 21 avril 1526, il se heurte à l'armée du puissant sultan de Delhi, Ibrahim Lodi, et le vainc, lors d'une bataille décisive à Panipat, à quelques kilomètres de Delhi. Le lendemain, il fait son entrée à Delhi, où il se fit introniser. La même année, il soumit toutes les plaines du Nord, jusqu'au Bengale, et installe sa capitale à Agra, au nord de l'Inde.
Il parvint à unifier presque entièrement le sous-continent et le fit briller, se faisant le promoteur et le protecteur d'une des cultures les plus raffinées et les plus resplendissantes qui soient. Il meurt quatre ans plus tard, le 26 décembre 1530, sans avoir eu le temps d'organiser réellement son Empire. En créant l'Empire des Indes, il pensait restaurer l'œuvre gengiskhanide et c'est pourquoi il se référait aux Mongols ou Moghols.

Son fils, Nasir al-Dîn Humayun (1530-1540 et 1555-1556), qui lui succéda à sa mort en décembre 1530, était lui aussi un lettré, mais il ne possédait pas les qualités militaires de son père. Il fut chassé par un usurpateur afghan du Bihar, un homme d'un rare talent, Sher Shah Sûr, qui lui infligea une défaite en 1540 et qui fonda l'éphémère Dynastie des Surs ou Suris (1540-1555). Humayun alla chercher refuge à la cour du Séfévide de Perse, Shah Tahmasp Ier. Mais en décembre 1555, après quinze ans d'exil, il trouva néanmoins en lui la force de reconquérir Delhi ; il mourut le mois suivant, en janvier 1556, laissant l'Empire en héritage à son fils de treize ans, Akbar.

Akbar et la construction de l'Empire moghol (1556-1605)

C'est avec Akbar que l'Empire moghol fut doté d'institutions durables. Né en 1542, dans le Sind, alors que son père fuyait vers la Perse, il n'avait que treize ans et demi lorsque ce dernier mourut. Akbar fut à la fois un homme d'État, un conquérant et un mystique.
Débarrassé de la tutelle maternelle et de son atabeg, Akbar se montra aussi grand conquérant que brillant administrateur. Il annexa, tour à tour, le Malwa, le Gujarat (1573), le Bengale (1576), une partie de l'Orissa, le Cachemire, le Sind, le Baloutchistan (1572-1594) et s'engagea au Deccan. Il n'avait consacré que seize ans à la construction de l'Empire moghol.
Il imposa de grandes réformes, qui firent de lui le premier homme politique au sens moderne du terme, le premier qui eut des préoccupations sociales. La liberté religieuse fut la pierre angulaire de son système politique.

En 1575, il fonda dans sa capitale, Fathehpur-Sikri, une "maison d'adoration", "Ibadet Khane", où prêtres hindouistes, jaïns, parsis, ulémas musulmans, missionnaires chrétiens furent invités à débattre en sa présence de leurs diverses croyances.
Craignant la menace ouzbeke à l'Ouest, Akbar décida de consolider la marche et pour cela, il fonda une nouvelle capitale à Lahore. Il mourut en 1605, ayant transformé un petit royaume en un grand et splendide empire. Il fut sans conteste le plus grand des Empereurs moghols.

Ses successeurs, Nûr al-Dîn Jahangir (1605-1627) et Shihab al-Dîn Shah Jahân (1628-1658), sans rompre directement avec la politique d'Akbar, s'efforcèrent de donner des gages aux Musulmans. Leur politique, tant intérieure qu'extérieur, ne fut pas couronnée d'un grand succès, mais, sous leur règne, l'Empire atteint son apogée et l'âge d'or de son architecture. Un seul monument, parmi tant d'autres, suffit par sa gloire, à résumer le règne ; "le Tâj Mahal" d'Agra, construit pour recevoir le corps de l'épouse du souverain Shah Jahân. Mausolée qui reste le joyau de l'architecture moghole.

Le fils de Chah Jahan, Mahiu al-Dîn Aurangzeb, (1658-1707), impatient d'arriver au pouvoir, détrôna son père. Musulman dévot et fanatique, il prit à peu près en tout le contre-pied d'Akbar ; il renforça l'orthodoxie islamique.
Il conduisit à sa plus grande extension l'Empire moghol, lui faisant recouvrir les Indes presque toutes entières, mais les ruinant et éveillant des haines religieuses ou raciales, provoquées par son fanatisme religieux et sa politique hostile aux Hindous. Lorsqu'il mourut en 1707, le processus de désintégration de l'Empire avait déjà commencé.

Après Aurangzeb, il n'y eut plus guère de souverains dont le nom méritât d'être rappelé. Le pouvoir central s'affaiblit, l'opposition entre Hindous et Musulmans s'accrut, des invasions perses et afghanes accélèrent la chute de l'Empire. Les provinces orientales devinrent, peu à peu, autonomes, donnant naissance à de véritables dynasties. Ce fut le cas au Bengale (1740), à Oudh (1725) et Hyderabad (1724).

En 1858, l'Angleterre renversait Bahadur Shah II (1837-1858), le dernier descendant de Babur et d'Akbar.

 

Les Grands Moghols

 
  Zahir al-Dîn Babur :   1526-1530
  Nasir al-Dîn Humayun : 1530-1540
  Usurpation de Sher Shah :
  (Dynastie Sur)
1540-1555
 
  Humayun :   1555-1556
  Jalal al-Dîn Akbar Ier : 1556-1605
  Nûr al-Dîn Jahangir : 1605-1627
  Dawar Bakhsh :   1627-1628
  Shihab al-Dîn Shah Jahan Ier : 1628-1657
  Muhiu al-Dîn Aurangzeb : 1658-1707
  ....................................................................  
  Siraj al-Dîn Bahadur Shah II : 1837-1858
 
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